Alors que la précédente étude « GAFANOMICS : new economy, new rules » publiée en 2014 par Fabernovel (voir La REM n°33, p.66) s’attachait à décrire les stratégies respectives de Google, Apple, Facebook et Amazon, les GAFA, cette deuxième étude s’intéresse aux nouvelles start-up, les NATU (pour Netflix, Airbnb, Tesla et Uber) qui, s’appuyant sur les GAFA, « ont saisi l’importance de muter vers un modèle de distributeur de valeur ».
La nouvelle étude de Fabernovel commence par un bilan. En juillet 2014, la capitalisation boursière des GAFA était inférieure de 300 milliards de dollars à la capitalisation boursière des entreprises du CAC 40 ; en juillet 2015, leur capitalisation est de 200 milliards supérieure aux entreprises du CAC 40. Apple et Google sont les marques les plus valorisées dans le monde, détrônant même Coca-Cola, qui détenait ce titre depuis douze ans, alors qu’Amazon et Facebook sont classées au 10e et 23e rang. A eux quatre, les GAFA cumulaient 118 milliards de dollars de liquidités en 2014. La même année, la capitalisation boursière d’Apple dépassait le PIB de la Suisse, celle d’Amazon dépassait celle de Wallmart, le nombre d’utilisateurs de Facebook était supérieur au nombre d’habitants en Chine, et Google générait plus de revenus que ceux combinés de WPP, Omnicom et Publicis. L’étude poursuit la présentation de ces chiffres démesurés en comparant, d’une part, les revenus des GAFA, 350 milliards de dollars en 2014, avec le PIB de l’Afrique du Sud, 32e au classement des PIB mondiaux, et d’autre part, le nombre de travailleurs, les GAFA employant 296 800 personnes, soit 64 fois moins que l’Afrique du Sud avec19 millions. La stratégie menée par les GAFA révise la notion de client, incluant même « celui qui ne paie pas », redéfinit la création de valeur, en « aidant les gens à économiser du temps et des efforts dans leur vie quotidienne », et bouleverse les méthodes de management et de recrutement.
Mais le monde change vite. Alors que les GAFA avaient la capacité financière d’acheter les 50 premières start-up mondiales en 2014, ils ne pourraient aujourd’hui acheter « que » les trois premières. Dans cette étude, Fabernovel s’est intéressé aux « licornes », ces nouvelles start-up hyper-valorisées qui ont su profiter de l’émergence des modèles en réseau. Comme les GAFA, les licornes ont saisi l’importance de muter vers un modèle de distributeur de valeur, selon lequel, organisées en réseau, elles identifient des points de valeur et les redistribuent. Plus de la moitié des licornes sont nées en s’appuyant sur les infrastructures des GAFA. Uber est un bon exemple : l’application est disponible sur l’App Store d’Apple, et le Google Play Store, elle s’appuie sur Google Maps pour géolocaliser les voitures et les utilisateurs du service, ainsi que pour offrir aux chauffeurs un service de navigation ; elle a utilisé, à ses débuts, les services de stockage et de gestion de données d’Amazon Web Services ; enfin elle recourt à Apple Pay et Google Wallet comme moyen de paiement.
En moyenne, les licornes ont atteint une valorisation de 1 milliard de dollars en 18 à 24 mois, alors qu’il aura fallu 8 ans à Google pour atteindre la même valorisation, et 20 ans pour une entreprise classique du Fortune 500. Le nombre de licornes est ainsi passé de 42 à 119 entre janvier 2014 et juillet 2015, bousculant au passage bon nombre de marchés détenus jusqu’alors par des acteurs traditionnels.
Ces NATU obéissent aux mêmes règles que les GAFA. Centré sur l’utilisateur, Netflix propose un premier mois d’abonnement gratuit, Airbnb offre 22 euros de remise sur une première réservation, Tesla donne à ses clients la possibilité de recharger leur voiture électrique gratuitement et à vie, et pour les nouveaux clients d’Uber la première course est gratuite. Concernant la valeur ajoutée au service, Netflix recommande des contenus à ses clients en fonction de leurs goûts, Airbnb et Uber misent sur une expérience de mise en relation sans faille, et Tesla, sur une mise à jour constante du logiciel de la voiture pour améliorer l’expérience du conducteur. Quant aux méthodes de recrutement et de management, Netflix propose des congés illimités pour ses salariés, Airbnb offre un processus de recrutement très rapide (trois jours maximum), le patron de Tesla Elon Musk tweete lui-même les offres d’emploi du groupe en donnant son adresse électronique personnelle, et Uber, sans management intermédiaire, s’appuie sur un système de notation qui gère l’ensemble de la flotte.
Fabernovel explique également que, traditionnellement, la valeur circulant de manière linéaire, est capturée tout au long d’une « chaîne » allant des fournisseurs aux clients finaux à travers un mécanisme classique d’achat et de vente. Avec les nouveaux modèles de distribution, la valeur circule en « boucle » car elle est constamment capturée et créée à la fois par l’entreprise et par le client, sous des formes variées : un service, du temps, de l’argent ou des données. Les entreprises innovantes, qui dépassent en revenu et en marge les entreprises traditionnelles, sont celles qui orchestrent un réseau dans lequel les membres créent et partagent la valeur.
Pour comprendre et maîtriser cette organisation en réseau, les entreprises devraient, selon Fabernovel, s’appuyer sur quatre « super-pouvoirs », que l’on pourrait appeler leviers de performance :
- « Magnétique, l’entreprise exploite et monétise des micro-points de valeur ». Ces entreprises en réseau doivent être capables de « détecter, organiser et animer de très petites unités de valeur », leur avantage concurrentiel étant de « traiter efficacement avec des milliards de petites transactions ». Airbnb, par exemple, identifie des appartements disponibles et met en relation les propriétaires avec les demandeurs, pouvant ainsi offrir deux fois plus de chambres que le groupe Hilton, à un coût marginal nul.
- « Temps réel, l’entreprise adapte en temps réel ses produits, son offre et son expérience à l’histoire et au projet futur de chaque client ». Les entreprises en réseau utilisent en temps réel des données pour optimiser leur marché et améliorer la valeur de leur produit, contrairement aux entreprises traditionnelles qui lancent un produit sur le marché et attendent des mois pour connaître les réactions de leurs clients. En analysant les requêtes des utilisateurs sur son moteur de recherche, Google s’est aperçu qu’en 2000, de nombreux internautes recherchaient une photo de Jennifer Lopez lors des Grammy Awards : c’est ainsi que Google Images serait né.
- « Infini, l’entreprise atteint une taille critique à un coût marginal d’acquisition client supplémentaire quasiment nul». Les entreprises en réseau utilisent des logiciels et des services hautement évolutifs afin d’obtenir des coûts de livraison quasiment nuls lorsqu’est atteinte une masse critique d’utilisateurs. Grâce aux effets de réseau et à un coût marginal zéro, elles peuvent ainsi croître indéfiniment avec un faible impact sur les coûts. Lancée en 2009, Waze est une application de navigation et de géolocalisation dont les données sont directement issues des utilisateurs, ce qui lui a permis de se développer, à un coût marginal nul, les réseaux sociaux ayant facilité la distribution virale de l’application. Waze, qui a atteint 50 millions d’utilisateurs dans 200 pays, a été rachetée par Google en 2013 pour 1,15 milliard de dollars.
- « Intime, l’entreprise connaît ses clients et les engage de manière à leur donner l’impression de discuter avec un ami et pas un commerçant ». Les entreprises traditionnelles produisent en masse des produits identiques qu’elles vendent à leurs clients. Les entreprises en réseau, quant à elles, se distinguent en offrant à leurs clients et leurs utilisateurs des produits personnalisés, créant une relation intime et à long terme. Ainsi, 75 % des contenus consommés sur Netflix sont issus de recommandations ciblées, qui permettent de créer un catalogue unique de films pour chaque utilisateur. Netflix s’appuie sur l’analyse du comportement de ses abonnés et, grâce à de puissants algorithmes, adapte son catalogue à chaque client, suivant ses goûts, ses habitudes et selon le moment de la journée.
Pour Fabernovel, tous les domaines de l’entreprise sont concernés : l’acquisition et la fidélisation des clients, avec Amazon ou Google Adwords ; la vente et la satisfaction des clients, avec Facebook ; le design des produits et des services avec Kickstarter ; l’élaboration et la mise en place des services, avec Alibaba ; le recrutement et le management des talents, avec LinkedIn ; ou encore la rationalisation des opérations, avec Google for Work ou Salesforce. Dans un monde dominé par les GAFAnomics, les entreprises historiques peuvent au choix se connecter à des réseaux existants, à l’instar d’Audi, qui s’est lié à Amazon pour tester à Munich un service de livraison de commerce électronique dans le coffre du véhicule de ses clients. Ou encore créer leur propre réseau, comme la société BMW et l’entreprise de location de voitures SIXT, qui se sont associées pour offrir un service de partage de véhicules, DriveNow, qui compte aujourd’hui 330 000 clients dans six pays.
Pour Fabernovel, c’est en se structurant en réseau que les entreprises traditionnelles pourront bénéficier de ces quatre « super-pouvoirs », et auront une chance de devenir compétitives au sein de la nouvelle économie.
GAFANOMICS saison 2 : 4 super-pouvoirs pour exceller dans la network economy, Fabernovel, 5 novembre 2015.