Observations sur CJUE, 4e Ch., 17 février 2016,
Sanoma Media Finland Oy-Nelonen Media c./ Viestintävirasto, n°C-314/14.
Dans son arrêt du 17 février 2016, la Cour de justice fournit d’importantes précisions sur le régime juridique de la publicité télévisée et du parrainage.
L’affaire prenait sa source dans une décision de sanction de l’autorité finlandaise de régulation de la communication audiovisuelle infligée à l’éditeur d’un service de télévision. Celui-ci s’était vu reprocher plusieurs manquements à la législation nationale, notamment un dépassement du temps horaire maximal de diffusion des publicités télévisées, ainsi qu’un non-respect du principe de séparation entre celles-ci et les autres programmes audiovisuels.
L’autorité affirmait en effet que les « secondes noires » séparant les différents spots publicitaires devaient être comptabilisées dans le temps horaire maximal, tout comme les apparitions de signes de parrainage hors des programmes parrainés. De même, elle estimait que la technique de « l’écran partagé », appliquée par l’éditeur au moment du générique de fin des programmes qui précèdent une séquence publicitaire, ne garantissait pas une nette séparation entre ces catégories de contenus audiovisuels. L’éditeur saisit les juridictions administratives afin d’obtenir l’annulation de cette sanction. Sa demande étant rejetée, un recours est exercé devant la Cour administrative suprême.
Celle-ci décida de surseoir à statuer, afin de saisir la Cour de justice de l’Union européenne de trois questions préjudicielles relatives à l’interprétation de plusieurs dispositions de la directive n° 2010/13/UE, du 10 mars 2010, dite « Services de médias audiovisuels » :
– la technique de « l’écran partagé » est-elle conforme au principe de séparation des séquences publicitaires et des autres programmes audiovisuels lorsqu’elle n’est pas accompagnée d’un signal sonore ou visuel ?
– les dispositions de la directive s’opposent-elles à ce que les signes de parrainage placés hors des programmes parrainés soient comptabilisés dans le temps maximal horaire réservé aux séquences publicitaires ?
– les dispositions de la directive s’opposent-elles à ce que les « secondes noires » séparant les spots publicitaires soient comptabilisées dans le temps maximal horaire réservé aux séquences publicitaires ?
En répondant à ces questions, la Cour va réaffirmer la nécessité de l’encadrement des publicités audiovisuelles, tout en rappelant que celui-ci peut être d’une certaine souplesse.
L’inclusion des signes de parrainage hors programmes et des « secondes noires » dans le temps horaire maximal de publicité
La Cour va apporter des réponses logiques aux deux dernières questions, en réaffirmant l’objectif de protection des consommateurs contre la publicité excessive1.
S’agissant de l’apparition hors programmes des signes de parrainage, la Cour se fonde sur le lien consubstantiel de ces signes avec les programmes parrainés. En tant que tels, ils garantissent une certaine transparence pour le téléspectateur, en l’informant de l’existence d’un accord avec le parrain. C’est pourquoi elle en déduit que ces signes doivent figurer au début ou à la fin des programmes parrainés. Cette exigence vise également à éviter les contournements du temps horaire maximal de diffusion des messages publicitaires. Dès lors, l’apparition de ces signes hors des programmes parrainés doit être considérée comme un tel message et être comptabilisée dans ce temps, limité à 20 % par heure d’horloge.
La même solution s’impose pour les « secondes noires » insérées entre les spots. Leur non-prise en compte conduirait à augmenter artificiellement le temps réservé aux séquences publicitaires, en réduisant celui des contenus éditoriaux. La Cour précise toutefois que cette exigence ne s’applique que dans l’hypothèse où l’Etat n’a pas prévu de dispositions plus restrictives dans son droit national, en retenant un temps horaire maximal de publicité plus court. Tel était le cas en l’espèce. Cette précision vise à garantir le socle minimal d’harmonisation du droit communautaire. Elle offre également une contrepartie aux éditeurs qui se situeraient dans des Etats dont la législation est plus sévère, et qui seraient implicitement autorisés à dépasser le temps prévu, tant que le dépassement ne repose que sur les « secondes noires ».
La première question préjudicielle était de loin la plus remarquable dans cette décision.
La technique de « l’écran partagé » et le principe de séparation
Les messages publicitaires doivent être clairement annoncés et identifiés comme tels dans les services de télévision.
La règle se comprend, historiquement, au regard du caractère linéaire des programmes diffusés par ces services, le téléspectateur ne pouvant intervenir sur l’ordre de diffusion. Il serait donc d’autant plus propice à être induit en erreur sur la nature des messages en cause, si ceux-ci n’étaient pas suffisamment individualisés dans le temps. De là a été consacré, dès la directive « Télévision sans frontières »2, un principe de séparation entre les messages publicitaires et le contenu éditorial. Selon le texte d’origine, la séparation pouvait être effectuée par des moyens optiques et/ou acoustiques. L’apparition de nouvelles techniques a dû toutefois être prise en compte à l’aune des exigences de la directive.
Tel est le cas avec la technique de « l’écran partagé », qui permet de diffuser simultanément un message publicitaire et un contenu rédactionnel. La Commission a estimé, en 2004, que cette nouvelle forme de publicité télévisuelle n’était pas contraire aux exigences de la directive, à condition que la séparation spatiale des contenus soit clairement établie par des moyens acoustiques et/ou optiques3. La directive « Services de médias audiovisuels » a pris en compte ces évolutions, et précise désormais que le principe de séparation peut être respecté par des moyens acoustiques et/ou optiques et/ou spatiaux. Ceux-ci sont donc alternatifs et non cumulatifs. Aussi, la Cour estime qu’un seul de ces moyens peut être utilisé s’il est de nature à garantir le principe de séparation. La législation de transposition ne peut donc être interprétée comme exigeant l’ajout d’un signal optique ou sonore. L’écran partagé pourrait donc à lui seul constituer un moyen de séparation spatiale, à la condition qu’il permette d’individualiser les séquences publicitaires.
En l’espèce, ce sera à la juridiction de renvoi de l’apprécier. On notera que l’écran partagé utilisé par l’éditeur ne contenait aucun message de nature publicitaire, mais se limitait à afficher les programmes à venir en parallèle du générique de fin d’une émission. Il n’est donc pas sûr que ce moyen soit conforme aux exigences de la directive.
Perspectives
La Cour ne manque pas de rappeler plusieurs considérants de la directive selon lesquels l’encadrement de la publicité télévisuelle se doit d’être souple et adapté aux évolutions technologiques4.
Cela est essentiel alors que les téléspectateurs disposent d’une offre accrue de canaux de diffusion et de procédés de fixation qui leur permettent de contourner les contenus publicitaires. De même, il importe de tenir compte du rapprochement entre les services de médias audiovisuels et ceux de la société de l’information, qui se traduisent par des mutualisations de contenus éditoriaux, mais aussi publicitaires. On comprend dès lors que les réponses de la Cour s’attachent surtout à maintenir des exigences minimales au niveau du temps de diffusion et de l’information des téléspectateurs relative à la nature des contenus.
L’admission de « l’écran partagé » comme moyen propre à respecter le principe de séparation, sous les réserves susmentionnées, est à ce titre remarquable alors que le développement de la télévision connectée est voué à en multiplier les apparitions, de même que celles des écrans superposés. On peut néanmoins se demander dans quelle mesure de tels écrans pourront être à même de respecter ce principe en l’absence de toute indication sonore ou visuelle, ne serait-ce que l’intitulé « publicité »5. La question peut se poser en des termes identiques pour les écrans publicitaires contextuels, qui pourront être brièvement insérés avant ou au cours d’un programme, et qui seront directement en rapport avec celui-ci. Il en ressort un risque important de confusion dans l’esprit des téléspectateurs consommateurs, d’autant plus qu’ils pourront être amenés à interagir par un moyen de communication en ligne.
Ce sont là des questions importantes qui seront très probablement posées dans le futur à la Cour.
Sources :
- CJCE, 5e Ch., 23 octobre 2003, RTL Television GmbH, n° C-245/01, pt 64, et CJUE, 2e Ch., 18 juillet 2013, Sky Italia srl, n° C-234/12, pt 17.
- Directive 89/552/CE du Conseil visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle.
- § 3 de la Communication interprétative de la Commission relative à certains aspects des dispositions de la directive « Télévision sans frontières » concernant la publicité télévisée, Journal officiel n° C 102 du 28 avril 2004.
- Points 81 et 83 du préambule de la directive 2010/13/UE.
- Statuant sur ce point, voir la décision de la Chambre fédérale autrichienne des communications du 23 juillet 2013 (GZ 11.001/0001-BKS/2013).