Publiée par la Commission européenne en novembre 2016, l’enquête « Pluralisme des médias et démocratie » permet de dresser un bilan pour le moins inquiétant quant au crédit accordé aux médias par les citoyens de l’Union européenne et au rôle des médias sociaux qui relayent couramment discours de haine, menaces et insultes.
Menée entre le 24 septembre et le 3 octobre 2016 dans les 28 États membres par TNS Opinion & Social, cette enquête a recueilli l’opinion de 27 768 citoyens de l’UE issus de différentes catégories sociales et démographiques, interrogés en face à face, à leur domicile et dans leur langue maternelle. Le constat est alarmant au regard de la menace constante du terrorisme et de la montée des mouvements extrémistes, sachant qu’en outre, l’année 2016 a été marquée par des événements politiques majeurs comme le Brexit et l’élection présidentielle américaine.
Deux tiers des Européens (66 %) considèrent que les médias de leur pays reflètent une diversité d’opinions et une courte majorité (53 %) estime que les médias fournissent des informations dignes de confiance. Mais, paradoxalement, 57 % d’entre eux ne croient pourtant pas à l’indépendance des médias vis-à-vis des pressions politiques ou commerciales : notamment en Grèce (87 %), en Espagne (71 %) et en France (69 %). Concernant les médias de service public en particulier, la tendance est encore plus marquée : 60 % des personnes interrogées pensent que ces organismes subissent des pressions politiques : dans une proportion plus forte qu’ailleurs, en Grèce (90 %), en France (77 %) et en Espagne (75 %). Pour une majorité d’Européens (63 %), les médias sont au moins aussi libres et indépendants qu’il y a cinq ans, alors que plus d’un quart (28 %) considère au contraire qu’ils le sont moins (3 % « ça dépend » et 6 % « ne sait pas »). Une opinion que ne partagent pas près de 4 personnes interrogées sur 10 en France, en Grèce et en Hongrie considérant que les médias sont aujourd’hui moins libres et moins indépendants qu’il y a cinq ans.
L’opinion que les citoyens se font de l’indépendance des médias conditionne assurément le niveau de confiance qu’ils leur accordent. Une courte majorité d’Européens (53 %) considère que les médias nationaux offrent des informations dignes de confiance : en Finlande (88 %), en Suède et au Danemark (77 % chacun).
En revanche, 73 % des personnes interrogées en Grèce, 63 % en France et 59 % en Espagne ne sont pas de cet avis. La radio est considérée comme le média le plus fiable dans 25 pays de l’Union européenne : 66 % des personnes interrogées accordent leur confiance à ce média (93 % en Finlande, 91 % au Danemark, 88 % en Suède). Les journaux imprimés ou en ligne et la télévision sont estimés fiables par 55 % des Européens. La Grèce fait figure d’exception avec 56 % des personnes interrogées déclarant que la radio n’est pas fiable, 83 % pour la télévision et 59 % pour les journaux. 65 % de personnes interrogées en Espagne et 57 % en France considèrent également que la télévision n’est pas un média digne de confiance.
Tous les États membres ont mis en place un organisme de régulation des médias audiovisuels. Pourtant, 65 % des Européens interrogés répondent ne pas connaître cette institution de supervision du secteur de l’audiovisuel dans leur pays. Seulement 1 Européen sur 5 (21 %) donne le nom correct de cet organisme et 10 % un nom incorrect. En additionnant les réponses de ceux qui ne le connaissent pas, de ceux qui se trompent de nom et de ceux qui répondent « ne sait pas », en définitive, cela fait 8 Européens sur 10 qui ignorent l’existence de l’organisme de régulation de l’audiovisuel.
La France s’inscrit dans cette tendance : 56 % des personnes interrogées déclarent ne pas connaître le nom de l’autorité de régulation de l’audiovisuel et 9 % se trompent de nom. En outre, plus d’1 Français sur 2 (54 %) juge que le Conseil supérieur de l’audiovisuel n’est pas libre ni indépendant des pressions politiques, gouvernementales ou commerciales et 13 % ne savent pas.
Concernant les médias sociaux, l’actualité récente a montré leur importance grandissante. Ainsi, 1 Européen sur 2 (53 %) déclare y recourir pour suivre des débats : 9 % très souvent, 26 % parfois et 18 % rarement. Plus d’un tiers (37 %) ne suit jamais des débats sur les médias sociaux (et 9 % déclarent spontanément ne pas utiliser internet). Tandis que seulement un quart (28 %) déclare y participer, par exemple en publiant des commentaires sur des articles, sur les réseaux sociaux ou sur des blogs : 2 % très souvent, 12 % parfois et 14 % rarement. Près des deux tiers (61 %) répondent ne jamais prendre part aux débats en ligne (et 10 % déclarent spontanément ne pas utiliser internet). Néanmoins, la majorité des personnes interrogées (55 %) pense que les médias sociaux ne sont pas fiables, particulièrement en Suède, aux Pays-Bas et en Finlande. Elles sont 66 % en France à partager cet avis, et même 47 % à déclarer ne jamais suivre des débats en ligne, 76 % à ne jamais y participer. L’Autriche est le seul État membre où plus de la moitié des personnes interrogées participe aux débats en publiant des commentaires sur des articles sur les réseaux sociaux ou sur des blogs.
Les trois quarts des Européens (75 %) déclarent « avoir déjà entendu, lu, vu ou personnellement expérimenté des cas où des insultes, des discours de haine ou des menaces étaient adressées à des journalistes, des blogueurs, des personnes actives sur les médias sociaux » (14 % très souvent, 40 % parfois, 21 % rarement). Néanmoins, à la question « De tels cas vous font-ils hésiter à participer à de tels débats ? », 50 % des Européens répondent que non. En France, 7 personnes sur 10 ont vu ou expérimenté sur internet des insultes, des discours de haine ou des menaces mais 43 % d’entre elles n’hésitent pas pour autant à s’engager dans de tels débats. C’est également le choix d’au moins 60 % des personnes ayant vécu cette expérience en Grèce, en Slovénie, au Portugal et en Lituanie.
À l’occasion du deuxième colloque annuel sur les droits fondamentaux organisé sous l’égide de la Commission européenne en novembre 2016, en préparation duquel cette consultation des citoyens européens a été effectuée, le premier vice-président Frans Timmermans a déclaré : « Des médias libres et pluralistes sont la colonne vertébrale de nos sociétés démocratiques. Sans médias de qualité, le débat public ne saurait s’épanouir. C’est pourquoi nous devons faire en sorte que les journalistes puissent exercer leur métier en totale liberté. Pour garantir le bon fonctionnement de nos démocraties, il importe que les citoyens européens puissent avoir confiance dans l’indépendance de la presse. » Commissaire chargée de la justice, des consommateurs et de l’égalité des genres, Vĕra Jourová d’ajouter : « L’importance des discours de haine en ligne révélée par notre enquête Eurobaromètre met en exergue les effets des abus et des menaces dont sont victimes les journalistes et les acteurs des nouveaux médias. Il convient d’y mettre un terme de tout urgence. Les citoyens doivent se sentir libres de s’exprimer dans l’environnement en ligne et les journalistes doivent pouvoir exercer leur métier sans subir la moindre ingérence. »
S’appuyant sur un rapport publié en novembre 2016 par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, la commissaire à la justice a averti les grandes plates-formes américaines – Facebook, Twitter, Google (YouTube) et Microsoft –, en décembre 2016, qu’elle envisageait d’en passer par la loi si elles continuaient de ne pas respecter le code de bonne conduite qu’ils ont signé sous l’égide de Bruxelles en mai 2016. Les acteurs d’internet s’étaient en effet engagés à examiner sous 24 heures, et le cas échéant à supprimer, les contenus haineux, d’incitation à la violence, au terrorisme signalés sur leur plate-forme. Cet accord prévoit également de lutter contre les messages de haine par la production de contenus contradictoires en collaboration avec des organisations représentantes de la société civile. Mais seuls 40 % des signalements sont examinés par les plates-formes en moins de 24 heures, 80 % dans un délai trop long de 48 heures.
Sur 600 signalements émis par des ONG en six semaines, 169 contenus ont été supprimés contre 322 jugés inacceptables par la Commission européenne. En outre, de fortes disparités existent d’un pays à l’autre : l’Allemagne et la France, qui disposent d’une législation préexistante engageant la modération des sites internet, enregistrent plus de 50 % de messages haineux effacés contre seulement 11 % en Autriche et 4 % en Italie. Pour les organisations de défense des droits de l’homme, il est par ailleurs inconcevable de laisser des entreprises privées américaines trancher la question de savoir ce qui relève ou non du respect de la liberté d’expression, appréciation qui est du ressort de la justice ou de la police, et apprécier la teneur des ripostes à formuler. En novembre 2016, le parquet de Munich a lancé une enquête pour « incitation à la haine » visant Mark Zuckerberg ainsi que neuf cadres dirigeants de Facebook, afin de déterminer si le non-retrait de contenus haineux en ligne est pénalement répréhensive au regard du droit allemand.
Le tableau dressé par l’enquête de la Commission européenne sur le pluralisme des médias et la démocratie démontre notamment, d’une part, une fois encore, l’importance de l’éducation aux médias et d’autre part, l’impératif de traiter les défis liés à la diffusion de l’information sur les plates-formes internet et les médias sociaux.
Sources :
- « Mark Zuckerberg visé par une enquête pour incitation à la haine », avec AFP, Le Monde, 9 novembre 2016.
- « Promouvoir le pluralisme des médias et la démocratie. La Commission accueille le deuxième colloque annuel sur les droits fondamentaux », communiqué de presse IP/16/3690, Commission européenne, europa.eu, 17 novembre 2016.
- Pluralisme des médias et démocratie, Eurobaromètre spécial 452 – Vague EB86.1 – TNS Opinion & Social, ec.europa.eu, novembre 2016.
- Incitement in media content and political discourse in EU Member States, Contribution to the second Annual Colloquium on Fundamental Rights, European Union Agency for Fundamental Rights (FRA) fra.europa.eu, November 2016.
- « Haine sur internet : l’UE menace les géants américains », Sylvain Rolland, LaTribune.fr, 5 décembre 2016.
- « Discours de haine : l’Europe tance les médias sociaux », Sébastien Dumoulin, Le Monde, 6 décembre 2016.