Délit de consultation habituelle de sites internet terroristes, constitutif d’atteinte à la liberté de communication

Conseil constitutionnel, décision n° 2016-611 QPC, du 10 février 2017.

Par sa décision du 10 février 2017, prise dans le cadre d’une procédure de « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC), le Conseil constitutionnel a déclaré que le délit de consultation habituelle de sites internet terroristes, tel qu’il est introduit dans le code pénal par la loi du 3 juin 2016, est contraire à la Constitution en ce qu’il porte atteinte à la liberté de communication. La disposition litigieuse se trouve, de ce fait, abrogée. Apparaît, à cet égard, la nécessité d’assurer un juste équilibre entre deux droits apparemment contradictoires tels que, au nom de l’ordre et de la sécurité publique, la lutte contre le terrorisme d’un côté, et la garantie de la liberté de communication, de l’autre.

Lutte contre le terrorisme

L’ordre et la sécurité nécessitent, entre autres, que soient mis en œuvre différents moyens de lutte contre le terrorisme. Diverses dispositions pénales ont été adoptées à cette fin. Cela pouvait-il, comme le législateur avait souhaité le faire, aller jusqu’à la répression de la consultation de sites internet en relation avec le terrorisme ?

La disposition contestée visait à réprimer « le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie ».

Afin de garantir la liberté de communication, le même article prévoyait qu’il n’était « pas applicable lorsque la consultation est effectuée de bonne foi, résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public ». S’agit-il, une fois encore (comme cela est notamment posé en matière de protection des sources d’information, d’exclusion de responsabilité pour recel de violation de secrets ou de constitution et d’exploitation de traitements de données à caractère personnel) d’accorder des avantages ou privilèges aux journalistes ?

Liberté de communication

Se fondant sur le caractère primordial du principe de liberté de communication, et afin d’assurer l’équilibre des droits, le Conseil constitutionnel encadre, s’agissant de la consultation habituelle de sites internet terroristes, les limitations de la liberté de communication.

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel invoque l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, aux termes duquel « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

Comme dans plusieurs décisions précédentes, le Conseil constitutionnel indique que « la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés ». Il ajoute que, « en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services ».

Les limitations apportées à la liberté de communication doivent elles-mêmes être encadrées. L’auteur de la QPC soutenait notamment ici que « les dispositions contestées méconnaissent la liberté de communication […] dès lors qu’elles répriment la seule consultation d’un service de communication au public en ligne sans que soit exigée concomitamment la preuve de ce que la personne est animée d’intentions illégales » et qu’elles contreviennent « au principe de légalité des délits et des peines et à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi ». Il soulignait encore que, contrairement au principe d’égalité, « la consultation des contenus provoquant à la commission d’actes terroristes est seulement sanctionnée lorsqu’elle a lieu par internet, à l’exclusion d’autres supports » de communication.

Pour le Conseil constitutionnel, il est de la liberté et de la responsabilité du « législateur d’édicter des règles de nature à concilier la poursuite de l’objectif de lutte contre l’incitation et la provocation au terrorisme sur les services de communication au public en ligne, qui participe de l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions, avec l’exercice du droit de libre communication ».

Pour cela, des limitations peuvent être apportées à la liberté de communication. Néanmoins, « les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi ».

S’agissant « des exigences d’adaptation et de proportionnalité requises en matière d’atteinte à la liberté de communication », le Conseil constitutionnel note que « les dispositions contestées », intervenant dans un processus de prévention, « n’imposent pas que l’auteur de la consultation habituelle des services de communication au public en ligne concernés ait la volonté de commettre des actes terroristes, ni même la preuve que cette consultation s’accompagne d’une manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée sur ces services » et qu’elles répriment donc, sans autre condition, « le simple fait de consulter à plusieurs reprises un service de communication au public en ligne, quelle que soit l’intention de l’auteur de la consultation, dès lors que cette consultation ne résulte pas de l’exercice normal » – qu’est-ce à dire ? – « d’une profession ayant pour objet d’informer le public ».

Le Conseil constitutionnel conclut que « les dispositions contestées portent une atteinte à l’exercice de la liberté de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée », et, par voie de conséquence, que « l’article 421-2-5-2 du code pénal doit donc […] être déclaré contraire à la Constitution ».

Afin de ne pas enfreindre ses propres principes, un État de droit, de type démocratique, doit, dans la détermination des moyens de lutte contre le terrorisme, respecter les exigences de nécessité et de proportionnalité des règles posées, s’agissant notamment des limitations apportées à la liberté de communication. C’est ce qui fonde la déclaration de non-conformité à la Constitution de la disposition qui visait à réprimer la consultation habituelle de sites internet terroristes.

La même solution ne devrait-elle pas notamment être retenue à l’encontre de l’article du code pénal qui réprime « le fait de consulter habituellement […] un service de communication au public en ligne » qui permet d’accéder à des représentations à caractère pornographique ?

Il est à noter que, dans les jours qui ont suivi la présente décision, a été adoptée une nouvelle rédaction de l’article en cause. La loi n° 2017-258, du 28 février 2017, relative à la sécurité publique, a ainsi réintroduit une nouvelle rédaction dudit article L. 421-2-5-2 du code pénal. Est désormais susceptible d’être réprimé « le fait de consulter habituellement et sans motif légitime un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie […] lorsque cette consultation s’accompagne d’une manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée sur ce service ». Subsiste, par ailleurs, notamment en faveur des « professionnels » des médias, la dérogation concernant la consultation résultant « de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public ».

La conciliation de droits et de libertés concurrents est toujours incertaine et délicate. Il en est ainsi, au regard du principe de liberté de communication, du souci de réprimer la consultation de pareils services de manière à prévenir tout risque d’influence et de passage à l’acte.

Professeur à l’Université Paris 2

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