L’e-sport attire les grands du divertissement et de la télévision

L’intérêt croissant pour l’e-sport attire les groupes intégrés de divertissement tels que Webedia et Vivendi en France, chacun avec des perspectives de développement sur le plan international. Les chaînes commencent à diffuser les premiers programmes dédiés à l’e-sport, mais en dehors des écrans généralistes en clair.

Avec la tenue du salon Paris Games Week en novembre 2016 où Webedia a affiché ses ambitions dans l’e-sport, et après l’accueil et l’organisation par Vivendi d’une compétition de l’ESL (Eletronic Sports League) en décembre 2016, les acteurs français des médias, du jeu vidéo et des télécommunications commencent à prendre la mesure de ce nouveau sport aux frontières du divertissement, alors que l’e-sport est déjà populaire en Asie. L’e-sport consiste à pratiquer des compétitions en tant que joueur professionnel de jeux vidéo, les performances du joueur étant suffisamment intéressantes pour captiver un public qui les regardera soit sur internet en vidéo, soit lors de grands rassemblements à l’occasion de tournois. Certes, les chiffres sont rares pour en mesurer la portée réelle.

L’ESL revendique ainsi 7 millions de joueurs, la plate-forme Twitch, rachetée par Amazon en 2014, accueille les gamers et diffuse des compétitions d’e-sport, rassemblant quotidiennement quelque 9,7 millions d’utilisateurs actifs début 2017. En termes économiques, une étude du cabinet Newzoo, citée par Les Echos, estime à 256 millions le nombre d’internautes regardant des parties de jeux vidéo en ligne, un marché évalué à 463 millions de dollars dans le monde en 2016, mais qui devrait représenter un milliard de dollars en 2019, soit une croissance très rapide qui attire les acteurs du jeu vidéo, du divertissement, des réseaux sociaux (voir La rem n°40, p.64) et même les opérateurs de télécommunications qui savent combien le jeu vidéo en ligne est consommateur de bande passante, donc essentiel pour valoriser les performances de leurs réseaux. Les revenus issus de l’e-sport sont principalement la publicité en ligne et le sponsoring quand les compétitions sont diffusées sur internet, et la billetterie pour les grands événements. Parce que l’e-sport a un pied dans les médias, avec une forte présence de la vidéo en ligne – mais désormais aussi sur les chaînes de télévision – et un pied dans l’événementiel, il attire prioritairement les sociétés intégrées capables de proposer un dispositif complet autour d’une compétition, du marketing en ligne à l’organisation du tournoi dans une salle de spectacle.

Webedia en est un bel exemple. Le groupe français se présente comme l’un des principaux acteurs de l’e-sport dans les pays où il est implanté. Le groupe, constitué progressivement par rachat de sociétés, s’est positionné dans le secteur du divertissement, d’abord en ligne, ensuite hors ligne, autour de cinq thématiques : le cinéma, les jeux vidéo, la gastronomie, la mode et la beauté, enfin le tourisme. Chaque thématique est exploitée à partir de plusieurs entrées. Ainsi, pour le jeu vidéo, Webedia contrôle depuis 2014 le site leader en France, Jeuxvideo.com, ainsi que Millenium, un site dédié à l’e-sport. Le 4 octobre 2016, le groupe a annoncé vouloir s’imposer parmi les acteurs mondiaux de l’e-sport avec le rachat d’Oxent, une jeune société qui organise l’ESWC (Electronic Sports World Cup), l’une des compétitions mondiales d’e-sport qui se tient chaque année durant le Paris Games Week.

Oxent contrôle aussi le site Toornament, qui permet d’organiser des tournois en ligne. Le même jour, Webedia annonçait être entré en négociations exclusives avec Bang Bang Management, société qui regroupe des agents chargés de la gestion de la carrière de joueurs d’e-sport, mais également celle des commentateurs de tournois. Enfin, une troisième annonce a complété les deux premières : Webedia s’associe au Paris Saint-Germain qui va sous sa marque créer une équipe d’e-sport, très probablement pour des tournois de jeux vidéo dédiés au football, à charge pour Webedia de recruter les joueurs et de les entraîner. Webedia, qui dispose déjà d’une équipe de joueurs professionnels avec Millenium, se contente ici d’étendre une activité déjà développée. Enfin, Webedia possède depuis septembre 2015 son arena, un espace équipé de PC ultra-puissants et réservé aux joueurs professionnels, situé dans les locaux du siège social du groupe, à Levallois-Perret.

Ce positionnement de Webedia – qui va d’un site d’information sur les jeux vidéo et l’e-sport à l’organisation d’événements, des équipes d’e-sport aux agents chargés des joueurs et des commentateurs – lui permet de contrôler toute la chaîne de valeur du marché et de s’associer facilement aux acteurs qui souhaitent s’y positionner. Ainsi, après le PSG, la Française des jeux (FDJ) a annoncé en février 2017 vouloir lancer une FDJ Masters League d’e-sport, la FDJ espérant que les paris sur les compétitions d’e-sport seront un jour autorisés. En mai 2017, le Groupe Barrière a annoncé le lancement du Barrière eSport Tour, une compétition d’e-sport qui se tiendra dans ses casinos, là encore avec Webedia (Fimalac, qui contrôle Webedia, est également présent au capital du Groupe Barrière). Enfin, Webedia est associé à BeIN Sports pour qui elle réalise depuis décembre 2016 deux magazines chaque semaine sur l’e-Ligue 1, une compétition d’e-sport proposée par la Ligue de football professionnel (LFP).

Comme Webedia, Vivendi a la possibilité de devenir un acteur intégré de l’e-sport. Il contrôle un éditeur de jeux vidéo, Gameloft, et il a une participation importante au sein d’Ubisoft (voir La rem n°38-39, p.65). Vivendi dispose également d’un réseau de salles en France et d’une expertise dans l’organisation d’événements. Enfin, depuis le 28 octobre 2016, Canal+ diffuse un magazine dédié à l’e-sport, le Canal eSport Club, qui s’inspire du Canal Football Club. Parce que ce type d’émissions vise d’abord un public jeune et passionné de jeux vidéo, donc un public qui n’est pas nécessairement abonné à Canal+, et parce que l’e-sport ne touche pas encore le grand public, le Canal eSport Club est gratuit en replay, afin de rassembler la plus large communauté possible. Enfin, Vivendi assure l’organisation événementielle des tournois français de l’Electronic Sports League (ESL) depuis 2016 et mobilise toutes les ressources du groupe : l’Olympia pour l’accueil de la manifestation, le service de billetterie Digitick, Canal+ pour la retransmission télévisée, mais aussi Dailymotion, et enfin Universal Music Group qui gère les entractes musicaux.

Il n’est pas toutefois nécessaire d’être un acteur intégré pour profiter de la visibilité montante de l’e-sport. En effet, de nombreuses chaînes de télévision développent une programmation consacrée à l’e-sport, qu’elles diffusent soit à l’écran soit en ligne, selon leur positionnement éditorial et leur statut. La chaîne TF1 a renoncé jusqu’à présent à programmer des émissions d’e-sport sur ses écrans, le sujet n’étant pas assez populaire, mais elle organise et filme des tournois en ligne qu’elle propose directement sur son service de replay dans la section dédiée aux bonus en ligne, MyTF1 XTRA. TF1 avait par ailleurs répondu à l’appel d’offres pour les droits de retransmission de l’e-League 1, finalement cédés à BeIN Sports. Enfin, TF1 travaille à une émission sur le modèle de Star Academy, qui suivrait l’entraînement de joueurs d’e-sport en vue de leur qualification pour un tournoi. Toutes ces activités sont financées par la publicité et le parrainage et gérées par la régie de TF1, une régie performante sur l’e-sport puisque Twitch lui a confié la gestion de ses espaces publicitaires pour la France.

De son côté, la chaîne L’Équipe diffuse depuis 2015 des programmes en lien avec l’e-sport, parce que son positionnement éditorial le justifie et parce que l’e-sport reste accessible pour une chaîne de la TNT en clair quand il s’agit de négocier les droits de diffusion. L’Équipe organise comme TF1 ses propres compétitions, notamment un championnat de football sur console. Enfin, des sociétés de production spécialisées dans l’e-sport émergent qui travaillent pour les chaînes comme pour des web TV. Parmi ces sociétés, la française Eclypsia s’illustre. Éditrice de trois web TV dédiées à l’e-sport, détentrice d’une équipe professionnelle d’e-sport, la Team Eclypsia, elle produit les émissions d’e-sport de TF1, mais également de Game One (une chaîne dépendante de MTV et consacrée aux jeux vidéo).

Sources :

  • « Le PSG et Webedia s’associent dans l’e-sport » Chloé Woitier, Le Figaro, 5 octobre 2016.
  • « Webedia accélère dans l’e-sport », Nicolas Rauline, Les Echos, 5 octobre 2016.
  • « Vivendi et Canal+ font à leur tour le pari de l’e-sport », Nicolas Madelaine, Les Echos, 12 octobre 2016.
  • « La folie e-sport gagne les médias », Chloé Woitier, Le Figaro, 27 octobre 2016.
  • « BeIN Sports mise sur l’e-sport version premium », Chloé Woitier, Le Figaro, 18 novembre 2016.
  • « L’e-sport cherche son modèle à la télé », Chloé Woitier, Le Figaro, 17 février 2017.
  • « Nous voulons développer l’attractivité de la France dans l’e-sport », interview de Stéphane Pallez, PDG de La française des jeux et de Véronique Morali, présidente du directoire de Webedia, par Antoine Boudet et Christophe Palierse, Les Echos, 17 février 2017.
  • « Le marché de l’e-sport attise les convoitises des groupes médias », interview d’Arnaud Dassier, président d’Eclypsia, par Chloé Woitier, Le Figaro, 20 février 2017.
  • « Le groupe Barrière veut séduire les fans d’e-sport », Chloé Woitier, Le Figaro, 16 mai 2017.

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