Épilogue de l’affaire « LuxLeaks » : la peine d’Antoine Deltour suspendue

La justice luxembourgeoise a réalisé une prouesse : organiser, en deux années seulement, un procès en correctionnelle, deux procès en appel et un pourvoi devant la Cour de cassation. Une diligence judiciaire à laquelle, en France, on est peu habitué. C’est ainsi que, malgré de nombreux épisodes et quelques rebondissements, l’affaire « LuxLeaks » touche déjà à sa fin, du moins pour son principal protagoniste : Antoine Deltour.

Alors qu’il avait dérobé, dans les locaux de son ancien employeur, le cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers, divers documents juridiquement protégés par le secret professionnel et celui des affaires, la question était de savoir si son infraction devait être jugée non seulement en droit, mais aussi d’un point de vue éthique et moral. Son acte serait, certes, constitutif de faits pénalement condamnables, mais, agissant comme un lanceur d’alerte, il aurait commis un « délit altruiste » ou une « infraction d’intérêt général ». Il est difficile alors pour les magistrats de prendre la bonne décision – qui n’existe sans doute pas – dans un tel cas : doivent-ils considérer que « dura lex sed lex » (la loi est dure mais c’est la loi), ou bien leur revient-il de prendre leurs distances avec le droit positif et de s’ouvrir à quelque forme de droit « naturel » ?

Ces difficultés expliquent les tergiversations de la justice luxembourgeoise (voir La rem n°40, p.7 ; n°42-43, p.6 et n°45, p.5). Le 11 janvier 2018, la Cour de cassation luxembourgeoise a rendu un arrêt important reconnaissant à Antoine Deltour le statut de lanceur d’alerte. L’affaire a été renvoyée devant la cour d’appel de Luxembourg. Celle-ci s’est prononcée le 15 mai 2018. Elle a décidé de suspendre la peine de six mois de prison avec sursis et l’amende de 1 500 euros d’amende, qu’elle avait prononcée à l’encontre du ressortissant français le 15 mars 2017.

Antoine Deltour demeure jugé coupable de différentes infractions – il ne pouvait pas en aller autrement d’un point de vue juridique –, mais aucune sanction n’est prononcée à son encontre – il pouvait difficilement en être autrement d’un point de vue moral. Il devra seulement verser un euro de dommages et intérêts à la partie civile, c’est-à-dire au cabinet PricewaterhouseCoopers. Les juges ont toutefois décidé de le soumettre à une mise à l’épreuve de trois ans. En conséquence, s’il venait à commettre une nouvelle infraction, sa peine ne serait plus suspendue et viendrait s’ajouter à l’éventuelle nouvelle condamnation.

Les « LuxLeaks » ne devraient pour autant pas disparaître de l’actualité. Raphaël Halet, ancien collègue d’Antoine Deltour, qui avait dérobé d’autres documents secrets de PricewaterhouseCoopers, demande à être lui aussi reconnu comme lanceur d’alerte, alors que la Cour de cassation a maintenu sa condamnation. C’est pourquoi il a décidé de porter son cas devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Sources :

  • « Un plan européen pour protéger les lanceurs d’alerte », Derek Perrotte, LesEchos.fr, 22 avril 2018.
  • « LuxLeaks : une victoire et des regrets », Fabien Grasser, Lequotidien.lu, 16 mai 2018.

 

Docteur en droit, attaché temporaire d’enseignement et de recherche, Laboratoire interdisciplinaire de droit des médias et des mutations sociales (LID2MS EA n° 4328), Université d’Aix-Marseille

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