Perquisition en présence d’un journaliste

Conformité à la Constitution des dispositions de l’article 11 du code de procédure pénale relatives au secret de l’enquête et de l’instruction : QPC, décision n° 2017-693 du Conseil constitutionnel, 2 mars 2018.

L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC), du 26 août 1789, consacre « la libre communication des pensées et des opinions […] sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». Énonçant le principe du secret de l’enquête et de l’instruction, l’article 11 du code de procédure pénale (CPP) dispose que « la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète ». La Cour de cassation ayant, en une affaire, conclu à la nullité de la procédure en raison de la présence d’un journaliste, autorisée en cela par un magistrat, lors d’une perquisition dont il avait pu réaliser un reportage télévisé, une circulaire du garde des Sceaux en a rappelé le principe. Considérant qu’il était ainsi porté atteinte à la liberté de communication, un recours en annulation de ladite circulaire fut l’occasion de soulever une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui fut, par le Conseil d’État, transmise au Conseil constitutionnel. Dans la décision n° 2017-693 QPC, du 2 mars 2018, celui-ci conclut que l’article 11 CPP « est conforme à la Constitution » et qu’il n’est pas, de ce fait, porté une atteinte abusive à la liberté d’information des journalistes.

Aux arguments à l’appui de la contestation de la conformité à la Constitution de l’article 11 CPP, s’oppose l’affirmation de la conformité de cet article, telle qu’énoncée par le Conseil constitutionnel dans la présente décision. En l’état actuel du droit, c’est ainsi que, parmi d’autres éléments, est encadrée la façon dont, à ce stade, les journalistes, même s’ils ne sont pas eux-mêmes directement et personnellement tenus par le secret de l’enquête et de l’instruction, peuvent ou ne peuvent pas rendre compte de l’action de la police et de la justice.

Contestation de la conformité

C’est au soutien d’une requête tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de la circulaire du garde des Sceaux, n° 2017-0063-A8, du 27 avril 2017, adoptée à la suite de l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 10 janvier 2017, n° 16-84740, se prononçant sur les conséquences de la présence d’un journaliste lors d’une perquisition, que fut soulevée la question de la conformité à la Constitution des dispositions de l’article 11 CPP. Pour une juste compréhension, un bref rappel de l’arrêt de la Cour de cassation, dont ladite circulaire rappelle la portée, précédera la mention des éléments de contestation formulés devant le Conseil d’État, puis devant le Conseil constitutionnel saisi de la question.

Devant la Cour de cassation, il avait été reproché à la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris d’avoir, dans un arrêt du 27 juin 2016, rejeté la requête en nullité des procès-verbaux d’une perquisition opérée en présence d’un journaliste et ayant été l’objet d’un reportage télévisé. Considérant qu’avaient ainsi été violées notamment les dispositions de l’article 9-1 du code civil relatif au respect de la présomption d’innocence, de l’article 11 du code de procédure pénale concernant le secret de l’enquête et de l’instruction, et de l’article 56 du même code encadrant la procédure de perquisition, la Haute juridiction prononça la cassation.

Tirant les conséquences de cet arrêt quant à la portée du « secret de l’enquête et de l’instruction sur les autorisations de reportages journalistiques délivrées par les autorités judiciaires », fut élaborée la circulaire du 27 avril 2017. L’Association de la presse judiciaire contesta sa conformité à la Constitution.

Pour ladite association, les dispositions contestées auraient « pour effet d’interdire de façon absolue à tout tiers, et donc à tout journaliste, d’assister à un acte d’enquête tel qu’une perquisition » et méconnaîtraient ainsi « la liberté d’expression et de communication garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ».

Considérant que « ce moyen soulève une question présentant un caractère sérieux », le Conseil d’État, dans un arrêt du 27 décembre 2017, n° 411915, décide, conformément à la procédure en vigueur s’agissant desdites QPC, de renvoyer au Conseil constitutionnel « la question de la conformité à la Constitution des articles 11 et 56 du Code de procédure pénale ».

À l’appui de sa contestation, l’association requérante, reprenant la même argumentation que précédemment, « reproche à ces dispositions, telles qu’interprétées par la Cour de cassation, d’interdire toute présence d’un journaliste ou d’un tiers lors d’une perquisition, pour en capter le son ou l’image ». Selon elle, « il en résulterait une méconnaissance de la liberté d’expression et de communication, protégée par l’article 11 »(DDHC), ainsi que du « droit du public à recevoir des informations d’intérêt général, qui en constituerait le corollaire ».

Ainsi saisi de la contestation de la conformité à la Constitution des dispositions en cause, le Conseil constitutionnel conclut cependant différemment.

Affirmation de la conformité

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel retient qu’ « en instaurant le secret de l’enquête et de l’instruction, le législateur a entendu, d’une part, garantir le bon déroulement de l’enquête et de l’instruction, poursuivant ainsi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions » et, « d’autre part, protéger les personnes concernées par une enquête ou une instruction, afin de garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d’innocence ».

Il relève par ailleurs que « la portée du secret instauré par les dispositions contestées est limitée aux actes d’enquête et d’instruction et à la durée des investigations correspondantes » et que « ces dispositions ne privent pas les tiers, en particulier les journalistes, de la possibilité de rendre compte d’une procédure pénale et de relater les différentes étapes d’une enquête et d’une instruction ». Il estime en conséquence que « l’atteinte portée à l’exercice de la liberté d’expression et de communication est limitée ».

Mention est également faite que « le législateur a prévu plusieurs dérogations au secret de l’enquête et de l’instruction » et notamment que le troisième alinéa de l’article 11 CPP permet au procureur de la République de « rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé sur les charges retenues contre les personnes mises en cause ».

La décision note en outre qu’il « ressort des dispositions contestées que le secret de l’enquête et de l’instruction s’entend « sans préjudice des droits de la défense » » et que « les parties et leurs avocats peuvent en conséquence communiquer des informations sur le déroulement de l’enquête ou de l’instruction ».

Pour le Conseil constitutionnel, il résulte que « l’atteinte à l’exercice de la liberté d’expression », qui découle des « dispositions contestées, est nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi » et que, dès lors, « le grief tiré de la méconnaissance de l’article 11 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté ». Il en conclut que « l’article 11 du Code de procédure pénale, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution ».

Ouvrant la voie à une possible réforme législative, le Conseil constitutionnel pose que cela n’interdit pas au législateur, s’il le souhaite, « d’autoriser la captation, par un tiers, du son et de l’image à certaines des phases de l’enquête et de l’instruction dans des conditions garantissant le respect des exigences constitutionnelles » précédemment mentionnées.

De cette décision du Conseil constitutionnel, il découle que, tel qu’il est actuellement formulé par l’article 11 du code de procédure pénale, le principe du secret de l’enquête de l’instruction, condition du bon fonctionnement de la justice et du respect des droits des personnes en cause, a pour effet d’interdire à un journaliste d’assister à une perquisition et d’en faire l’objet d’un reportage. Il ne peut pas être prétendu qu’il serait ainsi abusivement porté atteinte au principe fondamental de liberté de communication consacré par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme. Toutefois, au nom de cette même liberté, une règle différente, élargissant les possibilités d’action des journalistes, pourrait être posée par le législateur, dès lors que le respect des droits des justiciables serait assuré. S’agissant du traitement médiatique de l’information policière et judiciaire comme en toute autre chose, le rôle de la loi et des juges est, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, d’établir un juste équilibre entre des droits apparemment concurrents mais, en réalité, concourant ensemble à l’établissement d’un État de droit, dans une société démocratique, contribuant ainsi au mieux au respect des droits et des libertés de chacun.

Professeur à l’Université Paris 2

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