Nul ne peut bloquer, au nom de la liberté d’expression, un compte sur Twitter : pas même le président des États-Unis

Le président des États-Unis, Donald Trump, s’oppose ouvertement et violemment aux médias. Il les accuse de nombreux maux, et, notamment, de former une pseudo-coalition hostile visant à le déstabiliser. Pour les contourner, il s’exprime régulièrement sur Twitter, qu’il considère comme une véritable arme communicationnelle – le compte @realDonaldTrump est suivi par 52 millions d’autres comptes. Or, le réseau social, par principe, permet à n’importe quel individu enregistré de s’abonner au compte du président et de commenter ses propos mais une fonctionnalité permet de bloquer certains profils. Dans ce cas, les commentaires des personnes concernées n’apparaissent plus dans le fil des réactions.

Aussi Donald Trump et son équipe n’ont-ils pas manqué de bloquer plusieurs centaines d’opposants ou simples citoyens qui avaient pris l’habitude de réagir de manière plus ou moins véhémente à ses tweets. C’est pourquoi une organisation de défense de la liberté d’expression, le Knight Institute de l’Université Columbia, a déposé une plainte au nom de sept personnes qui avaient été inscrites sur la liste noire du président. Parmi elles, Philip Cohen, professeur de sociologie, raconte avoir vu son compte bloqué en juin 2017 à la suite de la publication d’un commentaire sur celui de Donald Trump le qualifiant de « corrompu, incompétent et autoritaire ». Depuis, explique-t-il dans des propos rapportés par l’AFP, « je me suis rendu compte que beaucoup moins de gens voyaient mes tweets et que mon efficacité politique et ma capacité à parler avec d’autres citoyens en étaient affectées ».

La censure arbitraire par le président des États-Unis de ses contradicteurs sur les réseaux sociaux peut être dénoncée à plus d’un titre. Mais est-elle contraire au droit et, plus spécialement, est-elle anticonstitutionnelle ? Dans un jugement rendu le 23 mai 2018, peu surprenant eu égard à la tradition américaine en matière de liberté d’expression, la juge new-yorkaise Naomi Reice Buchwald répond par l’affirmative. Elle estime que chacun doit pouvoir consulter Twitter et réagir à ce qui y est exprimé, y compris lorsque les tweets en cause ont été mis en ligne par une personne dont les fonctions sont les plus éminentes. Donald Trump ne peut donc pas bloquer ses détracteurs sur Twitter sans porter atteinte à leur liberté d’expression, laquelle est protégée par le premier amendement de la Constitution américaine. Cette décision de justice est un revers pour le président américain, qui va devoir modifier son approche et son usage des réseaux sociaux, et accepter la contradiction, quelles qu’en soient la forme et la pertinence. Début juin 2018, le ministère de la justice annonçait faire appel de ce jugement.

Sources :

  • « Judge rules Trump can’t block users on Twitter », Lydia Wheeler, thehill.com, 23 mai 2018.
  • « Quand Trump bloque sur Twitter, il viole le Premier Amendement », Mathieu Chartier, lesnumeriques.com, 24 mai 2018.
  • « Interdit de bloquer ses opposants sur Twitter, Trump fait appel », AFP, tv5monde.com, 5 juin 2018.
Docteur en droit, attaché temporaire d’enseignement et de recherche, Laboratoire interdisciplinaire de droit des médias et des mutations sociales (LID2MS EA n° 4328), Université d’Aix-Marseille

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