Les CGU de Twitter sont soumises au code de la consommation

Les conditions générales d’utilisation (CGU) du réseau social Twitter offrent à ce dernier un avantage économique en raison de l’exploitation commerciale des données personnelles de ses utilisateurs. Elles constituent donc un contrat de consommation et peuvent être exposées à la sanction des clauses considérées comme abusives. C’est ainsi que s’est prononcé le tribunal de grande instance de Paris dans un jugement important en date du 7 août 2018.

Le débat sur la patrimonialité des données personnelles a ressurgi à l’occasion de l’entrée en vigueur du règlement général relatif à la protection des données en mai 2018. On sait que de nombreux arguments militent en faveur de la reconnaissance d’un droit de propriété sur les données. L’exploitation de celles-ci à des fins publicitaires représente à ce titre une valeur marchande importante, sa contrepartie consistant en une gratuité d’accès aux services au profit des internautes1. C’est là le modèle économique de bon nombre d’opérateurs de plateformes numériques et de réseaux sociaux. Aussi, reconnaître un droit de propriété sur les données pourrait ouvrir la porte à de multiples dérives quant au sort de celles-ci (voir La rem n°46-47, p.90). C’est bien pourquoi les textes européens et français relatifs au droit des données personnelles s’efforcent de maintenir une primauté de la personne sur ses données et encadrent dans la mesure du possible leur exploitation commerciale.

Cependant l’existence d’une rémunération par équivalence peut entraîner l’application d’autres règles spécifiques protectrices des utilisateurs. Tel est le cas du droit de la consommation, comme cela vient d’être rappelé par le tribunal de grande instance de Paris dans un jugement daté du 7 août 20182.

La qualification de contrat de consommation applicable aux CGU de Twitter

Les faits étaient relatifs aux conditions générales d’utilisation (CGU) du réseau social Twitter, dont certaines étaient jugées abusives ou illicites par l’Union fédérale des consommateurs.

Il importait de vérifier au préalable si ces conditions pouvaient être considérées comme constitutives d’un contrat de consommation. L’entreprise invoquait le caractère gratuit de ses services pour échapper à cette qualification. L’argument a été rejeté par le tribunal, qui a mené une analyse minutieuse de plusieurs clauses de ses CGU. En considérant celles-ci, les juges ont établi que les données des utilisateurs étaient collectées pour être commercialisées à titre onéreux à des partenaires publicitaires ou marchands. Cette contrepartie à la gratuité des services constitue donc un avantage au sens de l’article 1107 du code civil, qui dispose : « Le contrat est à titre onéreux lorsque chacune des parties reçoit de l’autre un avantage en contrepartie de celui qu’elle procure. Il est à titre gratuit lorsque l’une des parties procure à l’autre un avantage sans attendre ni recevoir de contrepartie. »

Le contrat conclu par les utilisateurs du service Twitter est donc bien à titre onéreux. Cela confère donc à l’entreprise la qualité de professionnel au sens de l’article liminaire du code de la consommation. Enfin, le tribunal prend soin de rappeler que l’appréciation des clauses abusives n’exige pas que le contrat soit conclu à titre onéreux, la qualité seule des parties devant être prise en compte. Peu importe également la forme donnée au contrat, celui-ci pouvant consister en des conditions générales préétablies. Les CGU du service Twitter constituent donc bien un contrat de consommation. Cette qualification ouvre la voie à l’examen des clauses contestées à l’aune du code de la consommation.

Le caractère illicite de 266 clauses des conditions générales d’utilisation

L’article L 212-1 du code déclare abusives les clauses qui génèrent un déséquilibre entre le professionnel et le consommateur. En l’espèce, 266 clauses des CGU de Twitter sont déclarées inopposables aux consommateurs français.

Celles-ci portaient principalement sur des problématiques intéressant les données personnelles. Sont notamment sanctionnées les clauses prévoyant une présomption de consentement à la collecte par la seule navigation sur le réseau social, celles permettant à l’entreprise de conserver les données collectées sans limitation de durée, y compris après la fermeture du compte, celles qui qualifient les données de « publiques par défaut », ou encore celles autorisant les transferts vers des pays tiers ou qui rendent l’utilisateur responsable de la sécurisation de ses données. Le tribunal rappelle utilement que le réseau social doit être considéré comme le responsable du traitement de données et qu’il lui appartient donc de se conformer aux dispositions légales afférentes. Certains manquements sont également sanctionnés, notamment l’absence d’information préalable des utilisateurs quant à l’existence d’une collecte de leurs données, ainsi que le fait, pour les utilisateurs « passifs » du réseau, de ne pas pouvoir exercer leurs droits d’accès, de rectification ou d’opposition.

D’autres clauses intéressaient les droits de propriété intellectuelle, notamment celles qui octroient au réseau social un droit d’utilisation sur les contenus postés par les usagers ; leur portée n’étant nullement définie, elles tombent sous le coup de l’interdiction des cessions globales d’œuvres futures. Elles étaient d’autant plus déséquilibrées que d’autres clauses imposaient aux utilisateurs le respect des législations relatives aux droits de propriété intellectuelle. Les clauses renvoyant à des pages rédigées en anglais sont également déclarées inopposables, sachant que ces versions étaient présentées comme les seules faisant foi entre le réseau social et les utilisateurs. Enfin, l’entreprise est condamnée à 30 000 euros de dommages et intérêts, ainsi qu’à diffuser le jugement auprès de ses abonnés.

Si les conditions générales d’utilisation constituaient historiquement une source d’asymétries informationnelles profitables aux opérateurs3, ce jugement nous démontre utilement comment le droit de la consommation peut servir de mécanisme contraignant pour préserver les droits des personnes sur leurs données.

Sources :

  1. À qui profite le clic ? Le partage de la valeur à l’ère numérique, Valérie-Laure Benabou et Judith Rochfeld, Odile Jacob, Paris, 2015, p. 27.
  2. Consultable en intégralité sur Legalis.net, legalis.net/jurisprudences/tgi-de-paris-jugement-du-7-aout-2018/
  3. « La régulation des données personnelles face au web relationnel : une voie sans issue ? », Alain Rallet et Fabrice Rochelandet, Réseaux, 2011/3, n° 167, p. 35.
Professeur de droit privé à Aix-Marseille Université et directeur adjoint du Laboratoire interdisciplinaire de droit des médias et des mutations sociales (LID2MS).

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