Magasins d’applications : Spotify porte plainte contre Apple

Spotify saisit Bruxelles en reprochant à Apple des pratiques discriminatoires sur l’App Store au détriment des concurrents d’Apple Music. Aux États-Unis, la Cour suprême autorise également une class action des utilisateurs de l’App Store pour abus de position dominante.

À la suite du lancement d’Apple Music en 2015, Spotify a demandé à ses utilisateurs de s’abonner directement sur son site et non depuis l’App Store, afin d’éviter la commission que ce dernier prélève (voir La rem, n°41, p.67). Spotify reproche en effet à l’App Store de fausser la concurrence, la commission de 30 % prélevée par ce dernier conduisant Spotify à facturer son service de streaming musical sur l’App Store à 12,99 dollars contre 9,99 dollars sur son site. En revanche, Apple Music est commercialisé à 9,99 dollars sur l’App Store.

Les deux parties sont toutefois dépendantes l’une de l’autre. Spotify a besoin de l’App Store pour toucher la communauté élargie des utilisateurs de matériel Apple. De son côté, Apple a besoin d’applications phares qui soutiennent les usages des propriétaires d’iPhone ou d’iPad. S’ajoute la nécessité pour le groupe de limiter sa dépendance aux revenus de l’iPhone, ce qui passe notamment par son développement dans les services. Et c’est finalement le lancement d’Apple Music en 2015 qui a changé la donne. D’intermédiaire essentiel avec l’App Store, Apple est devenu un concurrent direct des autres services de streaming musical. Dès lors, le rapport des éditeurs tiers à son écosystème, à sa « plateforme » (le terme est de plus en plus utilisé pour désigner les intermédiaires structurant un marché) est devenu problématique. Avec l’App Store, Apple apporte certes des utilisateurs aux concurrents d’Apple Music, mais Apple peut également être tenté de détourner vers son service les abonnés aux services concurrents. La commission prélevée sur les services tiers peut dans ce cas être considérée comme un moyen de les pénaliser par rapport aux services « autoédités » par Apple. C’est d’ailleurs fort de ces inquiétudes que Deezer et Apple, dès décembre 2017, ont saisi la Commission européenne pour pratiques déloyales (voir La rem, n°49, p.80).

Depuis, Spotify a affiné sa politique, ce qui l’a conduit, le 13 mars 2019, à saisir la Commission européenne contre Apple pour abus de position dominante sur le marché de la musique en ligne, une pratique non seulement déloyale mais aussi interdite au titre du droit de la concurrence. Pour Spotify, Apple pénalise ses concurrents en prélevant une commission de 30 % sur les ventes des éditeurs tiers, ce qui conduit à une distorsion tarifaire entre Spotify et Apple Music sur l’App Store. Spotify reproche aussi à Apple des pratiques délibérément discriminatoires à l’égard des éditeurs de services de streaming musical concurrents d’Apple Music. Les conditions commerciales imposées aux concurrents directs seraient plus exigeantes que celles imposées à d’autres éditeurs de services sur des marchés où Apple n’est pas positionné. Enfin, Apple est accusé de restreindre l’accès des services concurrents d’Apple Music à d’autres produits de son écosystème, qu’il s’agisse de son assistant vocal Siri ou de ses enceintes connectées HomePod.

La réponse d’Apple à l’accusation de Spotify reste inchangée dans le temps. Dans un communiqué en réponse à la plainte de Spotify, Apple rappelle qu’il apporte aux éditeurs de services toute la communauté des utilisateurs de produits Apple. Cet apport n’est pas facturé puisque les éditeurs peuvent gratuitement mettre à la disposition des internautes leurs applications au sein de l’AppStore. Seules les ventes réalisées à partir de ce magasin en ligne sont soumises à une commission. Autant dire que pour Apple, la commission de 30 % est le prix à payer pour l’acquisition du client, un prix qu’un éditeur aurait peut-être dû dépenser ailleurs dans une campagne de communication. Quand les éditeurs de services ajoutent le montant de la commission à celui du prix initial de l’abonnement, il s’agit d’un choix commercial. Reste toutefois ouverte la question des pratiques discriminatoires. Enfin, le discours d’Apple ne prend pas en compte la logique d’exclusivités de l’App Store sur les produits Apple. Or, c’est sur ce point qu’Apple s’est retrouvé en difficulté devant la Cour suprême américaine.

Dès 2011, des associations de consommateurs ont intenté contre Apple un recours collectif aux États-Unis. Elles reprochent à Apple sa commission de 30 %, qui conduit à un surenchérissement des tarifs par les éditeurs d’applications quand ils passent par l’App Store pour distribuer leurs services. S’ajoute à cela le fait qu’il n’y a pas d’alternative à l’App Store dans l’écosystème des produits Apple quand, à l’inverse, les smartphones équipés d’OS Android ne sont pas dépendants du seul Play Store de Google. Dès lors, ce monopole de l’App Store dans l’écosystème Apple conduit, pour les associations de consommateurs, à un abus de position dominante parce qu’aucune échappatoire à la commission de 30 % n’est possible.

Apple a dénoncé cette interprétation en rappelant que l’abus de position dominante tel qu’il a été qualifié en 1977 par la Cour suprême, ne concerne que les parties directement lésées, en l’espèce les éditeurs de services dans le cas de l’App Store, et non les parties indirectement lésées, à savoir les consommateurs plaignants. Le 13 mai 2019, la Cour suprême s’est toutefois déclarée favorable à la poursuite de cette class action en considérant que les utilisateurs de l’App Store sont bien des clients directs d’Apple. Ce sont donc tous les utilisateurs de l’App Store aux États-Unis qui pourraient ensuite être amenés à porter plainte et à réclamer un dédommagement pour la surfacturation subie du fait de la politique d’exclusivité de l’App Store. Si les plaintes aboutissent, les commissions des magasins d’applications seront alors considérées comme anti-concurrentielles et tout le modèle économique des magasins d’applications sera à revoir. L’enjeu est crucial pour Apple qui a fait des services l’axe prioritaire de la diversification de son chiffre d’affaires.

Sources :

  • « Apple devant la Cour suprême pour solder la question de l’App Store », Basile Dekonink, Les Echos, 27 novembre 2018.
  • « USA : Apple à la Cour suprême », lebureauexport.fr, 10 décembre 2018.
  • « Apple pousse sa musique, Spotify attaque en justice », Christophe Alix, liberation.fr, 14 mars 2019.
  • « Spotify attaque Apple à Bruxelles », Elisa Braun, Caroline Sallé, Le Figaro, 14 mars 2019.
  • « Concurrence : Apple renvoie Spotify dans les cordes », Raphaël Bloch, Les Echos, 18 mars 2019.
  • « La Cour suprême fait trembler Apple », Sébastien Dumoulin, Les Echos, 14 mai 2019.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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