Inapplicabilité de la loi allemande relative au droit voisin des éditeurs de presse

CJUE, 12 septembre 2019, VG Media c. Google LLC, Aff. C-299/17.

Faute d’avoir été notifiée à la Commission européenne – préalablement à son adoption (antérieure à celle de la directive (UE) 2019/790, du 17 avril 2019, dont l’article 15 porte sur la protection des publications de presse en ce qui concerne les utilisations en ligne, voir La rem n°50-51, p.12) –, la loi allemande du 7 mai 2013, relative au droit voisin des éditeurs de presse, est, de ce fait, déclarée inapplicable par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

La loi de mai 2013 a introduit, dans la loi allemande sur le droit d’auteur, une section, intitulée « protection de l’éditeur de presse », relative au droit voisin des éditeurs de presse. Il y était notamment posé que « le producteur d’un produit de la presse (éditeur de presse) détient le droit exclusif de mettre à la disposition du public, en tout ou partie, le produit de la presse à des fins commerciales, sauf s’il s’agit de mots isolés ou de très courts extraits de texte » et que « la mise à la disposition du public, en tout ou partie, de produits de la presse est licite, pour autant que cette mise à disposition n’est pas effectuée par des prestataires commerciaux de moteurs de recherche ou des prestataires commerciaux de services qui éditent de manière analogue des contenus ».

Dans un litige opposant VG Media, organisme allemand de gestion collective des droits, à la société Google, il a été contesté l’applicabilité des dispositions en cause, faute d’avoir été notifiées à la Commission européenne, comme l’impose la directive 98/34/CE, du 22 juin 1998, « prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information ». Tel était l’objet de la question préjudicielle transmise, par la juridiction allemande, à la CJUE et sur laquelle celle-ci s’est prononcée par le présent arrêt du 12 septembre 2019.

Conformément à l’objectif de la directive, tel qu’énoncé dans son intitulé, son article 8 pose pour principe que « les États membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique » concernant les services en cause. Il est prévu un délai entre la notification du projet de loi et son adoption par les autorités nationales. Bien que la directive elle-même ne prévoie aucune conséquence de l’absence de commu­nication dudit projet, la Cour de justice a déjà précédemment conclu, comme elle le fait ici, que ce manquement rend le texte inapplicable.

« Règles techniques »

Selon la définition qu’en donne la directive 98/34, à laquelle se réfère le présent arrêt, constituent notamment des « règles techniques » : « les dispositions législatives, réglementaires ou administratives d’un État membre qui renvoient soit à des spécifications techniques ou à d’autres exigences ou à des règles relatives aux services ».

Pour la Cour de justice, la « réglementation nationale relative au droit d’auteur ou aux droits voisins », telle qu’en cause en cette affaire, relève de la catégorie des « règles techniques en matière de propriété intellectuelle ». Pour être soumise à l’obligation de notification préalable auprès de la Commission, la réglementation doit, de plus, être spécifiquement relative « aux services de la société de l’information ».

« Services de la société de l’information »

L’autre élément de la question préjudicielle portait sur le point de savoir si l’activité soumise par la nouvelle loi allemande au respect du droit voisin des éditeurs de presse est constitutive d’un « service de la société de l’information » et si elle est spécifiquement visée par le texte ?

Empruntant à nouveau à la définition qu’en donne la directive 98/34, l’arrêt considère comme « service de la société de l’information » : « tout service presté normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services ». Selon ladite directive, « une règle est considérée comme visant spécifiquement les services de la société de l’information lorsque, au regard de sa motivation et du texte de son dispositif, elle a pour finalité et pour objet spécifiques, dans sa totalité ou dans certaines dispositions ponctuelles, de réglementer de manière explicite et ciblée ces services ».

L’arrêt estime que la disposition législative allemande en cause « vise de manière expresse, notamment, les prestataires commerciaux de moteurs de recherche dont il est constant qu’ils fournissent des services », tels que visés par la directive 98/34, et qu’elle « a pour finalité et pour objet spécifiques de réglementer de manière explicite et ciblée les services de la société de l’information ».

De tout cela, la Cour conclut à « l’inapplicabilité d’une règle technique qui n’a pas été notifiée conformément » à ce qu’impose ladite directive.

En l’absence, à l’époque de directive européenne à cet égard, l’obligation de notification préalable de la mesure s’imposait aux autorités allemandes. Son non-respect est sanctionné par le présent arrêt de la Cour de justice quoique, entre-temps, ait été adoptée la directive du 17 avril 2019. En revanche, échappe à cette obligation la loi française n° 2019-775, du 24 juillet 2019, ayant le même objet, « tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse » (voir supra), assurant la transposition de ladite directive, et bien que sa discussion ait été entreprise avant l’adoption définitive de celle-ci.

Le 25 septembre 2019, la société Google a annoncé qu’elle n’afficherait plus d’articles de presse, sur ses services, afin de ne pas avoir à payer aux éditeurs le droit voisin instauré par l’Europe et consacré par diverses législations nationales.

Sources :

  • « Les éditeurs unis contre le « coup de force » de Google », Carasco Aude, La Croix, 27 septembre 2019.
  • « Droits d’auteur : Google prend à contre-pied la presse française », Alexandre Piquard, Le Monde, 27 septembre 2019.
Professeur à l’Université Paris 2

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