Covid-19. L’« infodémie » et ses nombreux responsables

Communiquer n’est pas informer
Les fake news et la propagande
Quel rôle pour les plateformes ?
La question des sources et le magistère des médias sur l’information

Les histoires de vie ont ceci de particulier qu’elles sont souvent significatives même si toute généralisation est impossible. Cet article commence donc comme un journal intime de la crise sanitaire, un genre que le confinement a renouvelé.

Nous sommes le 28 février 2020, sur l’île de la Réunion. Je dois donner une conférence sur « le journalisme à l’heure de la post-vérité » au moment même où les réseaux sociaux commencent à bruisser des inquiétudes des Réunionnais : l’île accueille encore des bateaux de croisière, avec excursions à la clé, alors que Madagascar les convainc de garder les passagers à bord et multiplie les contrôles sanitaires. La veille au soir en métropole, le ministre de la santé, Olivier Veran, annonce un bond des contaminations confirmées en France, qui passent de 18 à 38 en une journée. Sur ces 20 nouveaux cas, 12 concernent le foyer de contamination (cluster) de l’Oise, dont 3 nouveaux cas dans une base militaire de Creil. Ce décompte sera répété à l’envi dans les médias et il fallait enquêter, compter, recroiser les sources pour arriver à savoir à peu près qui étaient ces 20 nouveaux cas. Pour tous ceux qui ne croiseront pas en ligne sources et articles de presse – ils sont très nombreux –, seule reste l’information sur les 3 militaires. Où sont donc passés les autres cas ? Qui ne veut pas savoir si, dans sa ville ou son village, le virus est déjà là ?

C’est cette question que j’ai posée aux journalistes des deux chaînes de télévision de la Réunion qui, ce même jour, assistaient à la conférence et me demandaient ce qui pouvait bien provoquer l’explosion des fake news (fausses informations ou infox) sanitaires. Ma réponse fut, dans ce cas, l’absence d’information précise et complète qui engendre fantasmes et rumeurs, alors que le sujet est par nature hautement anxiogène. Dans notre échange, ils me confirment, eux aussi, disposer de très peu d’informations de la préfecture et de l’Autorité régionale de santé (ARS). Ils relayent donc ce dont ils disposent. Mais pourquoi, alors, ne pas dire au public que, malgré leurs demandes, certaines questions restent sans réponse ? Certes, on ne sait pas tout du virus, et des zones d’ombre persistent. Mais les autorités savent où se trouvent les malades quand elles communiquent sur leur nombre. Cette information existe et les journalistes peuvent tenter de forcer leurs sources à communiquer. Pourquoi alors se contenter de relayer le message des autorités quand on sait que des « trous » dans la couverture médiatique de la crise permettront aux rumeurs de se propager à mesure que grandira l’inquiétude ? Pourquoi acter que la parole publique, officielle, est la seule légitime, sans pointer aussi ses carences, sans questionner aussi sa prudence et ses motifs ? Pourquoi, concrètement, faire le choix de défendre des institutions en s’érigeant en simple relais de la parole des autorités publiques, plutôt que de les soumettre aux interrogations des journalistes, et de le faire publiquement ?

De ce point de vue, les réseaux sociaux ne sont pas les seuls coupables de la propagation des fake news durant la crise sanitaire. Ils en sont le canal principal parce qu’ils permettent l’expression des inquiétudes sans aucun filtre. Mais le filtre des autorités sanitaires de même que le gate keeping des médias n’ont pas toujours bien joué leur rôle.

Communiquer n’est pas informer

On ne peut pas reprocher au Service d’information du gouvernement (SIG) de chercher à contrôler la communication publique en ligne (le site www.gouvernement.fr/info-coronavirus) et aux ARS de respecter les choix politiques du gouvernement. Mais cette communication institutionnelle ne saurait être confondue avec le travail d’information que les médias doivent procurer, et la confusion ne doit pas être faite entre ce qui relève de la communication des autorités publiques et du gouvernement d’une part, et ce qui relève de normes professionnelles d’établissement des faits et de suivi de l’actualité d’autre part.

La crise sanitaire aura ainsi été l’occasion d’une surprenante confusion des genres, en partie alimentée par les plateformes qui ont montré qu’elles pouvaient très bien coopérer avec le gouvernement. Les moteurs de recherche vont, par exemple, prioriser dans leurs pages de résultats, quand une recherche est faite, les sites officiels des autorités de santé et du gouvernement. C’est probablement mieux que les fake news, mais est-ce de l’information ? Les choses étaient certes bien distinguées, la communication du gouvernement et de l’OMS bénéficiant d’un encadré sur Google qui les qualifie de « ressources locales et nationales ». Un dispositif du même genre « À la une » a ensuite été créé pour mettre en valeur les sites de certains médias. Viennent ensuite les « premiers résultats ». C’est dire que le référencement, ici, prend une allure de gate keeping totalement assumée. Il restreint le choix de l’internaute s’il ne fait pas l’effort de « descendre » dans la page de résultats pour accéder aux liens hypertextes que le référencement naturel propose. Le problème surgit quand la communication du gouvernement, celle des autorités de santé et l’information des médias s’alignent si parfaitement que toute mise en perspective, que toute critique semble exclue, au moins dans l’espace public en ligne.

La proximité entre communication gouvernementale et information des médias s’est manifestée pleinement deux mois plus tard, fin avril 2020, quand le gouvernement français a entrepris, sur son site de communication, de lister les médias qui dénoncaient les fake news sur le coronavirus (page « Désinfox coronavirus »). Il faisait en quelque sorte des médias cités des alliés dans une lutte commune contre la désinformation. Il ne faudrait pourtant pas que cette lutte en vienne à brouiller la différence, essentielle, entre communiquer et informer, et donc fragiliser le rôle des médias d’information en démocratie, réduits seulement à dénoncer les fausses informations pour toujours mieux relayer la parole officielle.

Certes, les médias dont les articles de debunking (démystification) ont été repris se sont offusqués et le Syndicat national des journalistes a dénoncé le procédé. Le risque est, en effet, de faire douter de l’indépendance des médias à l’égard du politique. Mais la démarche est troublante : les médias devraient inquiéter le gouvernement par leurs enquêtes, plutôt que d’être présentés comme ses meilleurs alliés. L’exemple de la controverse sur les masques est à cet égard très instructif. Les médias ont certes expliqué pourquoi certains masques produits en France ont pu se retrouver à l’étranger (avant les réquisitions et la pénurie que chacun a pu constater), une information souvent objet de « vérification » sur les sites anti-fake news. Mais les médias ont été très peu à questionner la parole publique et ses décisions sur la question des masques qui fera pourtant l’objet d’un revirement politique complet.

LE RÔLE DES MÉDIAS D’INFORMATION EN DÉMOCRATIE, RÉDUITS SEULEMENT À DÉNONCER LES FAUSSES INFORMATIONS POUR TOUJOURS MIEUX RELAYER LA PAROLE OFFICIELLE

C’est sur le site The Conversation que des universitaires ont expliqué, parmi les premiers, les raisons du manque de masques (voir le texte d’Arnaud Mercier en référence), suivis par la presse avec une enquête de Mediapart. Et il est peu probable de voir le gouvernement reprendre ces articles à son compte sur son site d’information. S’en tenir à la dénonciation de fake news stupides est de ce point de vue beaucoup plus confortable. Dénoncer la consommation d’alcool ou d’eau de Javel, ou encore montrer qu’une photo a été instrumentalisée, aussi utile soit la démarche, ne saurait se substituer au rôle de chiens de garde de la démocratie que les médias peuvent jouer quand ils misent sur l’enquête, celle qui révèle des dysfonctionnements au sein des institutions, celle qui conteste la pleine légitimité de la parole politique au sens large, pas celle qui rectifie un chiffre, rappelle l’origine d’une photo. Cette dernière est utile certes, mais à l’évidence insuffisante puisque le gouvernement a vu ici, dans la presse, un allié pour sa communication sur la crise sanitaire.

Les fake news et la propagande

Ce brouillage info-communicationnel est lié, aussi, au terme fake news (en français infox, mot-valise créé à partir d’information et d’intoxication) qui entraîne la confusion des genres. Quelles sont donc les fake news qui contribuent à l’« infodémie » (contraction des mots information et épidémie) ? Quelles sont donc ces informations qui posent problème et que nombreux sont ceux qui auraient hésité à les qualifier de fake news avant la crise sanitaire, même si finalement elles semblent constituer le cœur des interrogations, légitimes, des individus ? Boire de l’eau de Javel (fausse information classique) ou asséner que le système de santé est solide juste avant le déclenchement de l’épidémie en France, asséner que la chloroquine est le remède face au virus (l’AP-HP –Assistance publique – Hôpitaux de Paris communiquera aussi un peu prestement sur un traitement des cas les plus graves), asséner que les masques ne servent à rien quand on n’en a pas, qu’ils sont essentiels au déconfinement quand on en trouve de nouveau ? Dans ces circonstances, les institutions ont pris le risque de se décrédibiliser, elles ont fragilisé la parole publique parce que leur communication s’est voulue rassurante, performante, et parce que les médias ont repris ces paroles sans les debunker (démystifier) immédiatement, prenant à leur tour le risque de décrédibilisation. Sauf à considérer que la vérité est toujours la première victime des guerres et que le présidentiel « nous sommes en guerre » devait être entendu au premier degré.

Un bilan devra donc être fait qui croise communication du gouvernement et des institutions (l’IHU Méditerranée – Institut hospitalo-universitaire – du professeur Raoult en est une) ; traitement médiatique de la crise par les médias d’information ; représentations des journalistes sur ce traitement médiatique. Certes, l’exercice réflexif était difficile puisque la crise était inédite, le virus peu connu et les informations disponibles souvent précaires, notamment les informations scientifiques qui ont été mises à disposition dans la foulée des premières publications scientifiques, sans que les aller-retours entre pairs finissent par établir définitivement un consensus. Mais il était possible de douter, de questionner : c’était même le devoir des médias d’information, au moins de ceux qui en ont le temps et les moyens. Ainsi, début mars, alors que la page d’information sur le Covid-19 du site gouvernement.fr insiste sur la qualité du système de santé français, le gouvernement sait, au même moment, qu’il faudra gérer la pénurie dans des hôpitaux mal en point, au moins sur le plan social, puisque les urgentistes sont en grève depuis septembre 2019 pour dénoncer la dégradation avancée de leurs conditions de travail. D’autres indices permettaient de douter. En effet, le ministre de la santé Olivier Veran a avoué, autrement, la pénurie à venir de masques, de lits de réanimation, etc. Dans une émission remarquée sur BFM TV, le 9 mars 2020, il y dessinait le risque épidémique pour expliquer combien il était nécessaire que le « pic » soit retardé au maximum, le temps pour l’hôpital de se préparer … et pour le gouvernement de trouver des masques puisque, depuis le 3 mars 2020, un décret permettait la réquisition de ce matériel devenu stratégique.

LA DÉNONCIATION DES PROPOS COMPLOTISTES ET DES FAKE NEWS ABSURDES RESTE NÉCESSAIRE MAIS SA CONTRIBUTION AU DÉBAT PUBLIC EST RELATIVEMENT FAIBLE

Les médias pouvaient insister sur l’exercice de communication du ministre et sa volonté de rassurer les Français. Ils pouvaient aussi pointer du doigt les faiblesses du discours politique qui, s’il ne mentionne pas une pénurie de masques dont les conséquences seront très dures (l’insuffisante protection du corps médical, le confinement strict de la population), avoue son impréparation en demandant plus de temps. Il faudra attendre le 19 mars 2020 pour qu’Olivier Veran reconnaisse la pénurie de masques en France, lors d’une audition au Sénat, et pour que les médias s’emparent du sujet. Cet exemple parmi d’autres rappelle la nécessité d’un vrai pluralisme médiatique qui garantira tout à la fois une information de reprise factuelle des propos des responsables publics mais aussi la possibilité d’une remise en question de la parole publique.

En comparaison, la dénonciation des propos complotistes et des fake news absurdes reste nécessaire mais sa contribution au débat public est relativement faible. Ainsi, quand le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclare, le 2 février 2020, vouloir lutter aussi contre l’infodémie, les fake news visées sont d’une affligeante banalité. Il suffit pour s’en rendre compte de visiter la page sur les « idées reçues » du site de l’OMS, laquelle montre là encore la possible confusion des genres entre fact checking (vérification des faits) journalistique et debunking institutionnel puisque les formats de présentation des messages sont très proches de ce à quoi la presse a habitué les internautes (voir https://www.who.int/fr/emergencies/diseases/novel-coronavirus-2019/advice-for-public/myth-busters). Sont contestées des fake news auxquelles le président Trump a donné une certaine visibilité (boire de l’eau de Javel comme s’exposer à des UV pour se désinfecter sont des pratiques dangereuses) et, « fait établi », puisque c’est ainsi que l’OMS communique : « Boire de l’alcool ne protège pas contre le Covid-19 » ou « S’exposer au soleil ou à des températures supérieures à 25 °C n’empêche pas de contracter la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) ». Sur le site français, un hommage est rendu à la communication du professeur Raoult puisque l’OMS précise – mais cette fois-ci ce n’est plus un « fait établi » – qu’« il n’existe actuellement aucun médicament homologué pour le traitement ou la prévention de la (sic) Covid-19. Plusieurs essais sont en cours, mais rien ne prouve à ce stade que l’hydroxychloroquine ou un autre médicament permet de prévenir ou de guérir la Covid-19 ». Ici, la réponse est en fait « peut-être » si l’on supprime la nuance qu’introduit l’adjectif « homologué » (nombreux sont ceux qui ne la saisiront pas) et c’est bien ce qui peut alimenter les doutes et les rumeurs.

Quel rôle pour les plateformes ?

Les réseaux sociaux et les plateformes en général ont eu, dans la crise sanitaire, la tâche facilitée par la nature des fake news à signaler (Facebook) ou à supprimer (YouTube) même si leur réactivité a pu être parfois pointée du doigt (voir supra). Google a supprimé de YouTube des sites faussement médicaux et Facebook a opté pour une moins bonne visibilité des contenus considérés comme de la désinformation par les équipes de fact cheking que le groupe rémunère. Comme la plupart des fake news portent sur des affirmations folkloriques (boire de l’eau de Javel, de l’alcool, manger de l’ail, etc.), il a été facile de les identifier. Ce faisant, les deux plateformes ne font que respecter les règles du code de bonnes pratiques contre la désinformation en ligne adopté par la Commission européenne le 26 septembre 2018. Facebook est même allé plus loin après qu’une ONG américaine, Avaaz, a indiqué que des fausses informations peuvent rester sur le réseau social jusqu’à 22 jours. Pour éviter les effets délétères de ces fake news mal repérées et trop virales, Facebook a testé, à partir du 16 avril 2020, un signalement rétroactif. Pour ses utilisateurs ayant vu ou partagé une fausse information, Facebook affiche un message les invitant à se renseigner auprès de sources institutionnelles, principalement l’OMS et les autorités locales. Ce dernier, « Aidez vos amis et votre famille à éviter les fausses informations sur le Covid-19 », n’indique pas quelle infox a été consultée par l’utilisateur qui devra donc faire l’effort d’un retour critique sur sa consommation. C’est finalement compter sur les capacités réflexives des individus qui restent le meilleur rempart contre les fake news et toutes les formes de désinformation.

À l’inverse, la priorité donnée aux communiqués institutionnels révèle les limites de l’autorégulation par les plateformes. Ainsi, l’OMS, dont le site est mis en avant par Google et Facebook, est pourtant l’objet d’une controverse liée à l’efficacité de la diplomatie chinoise en son sein. De ce point de vue, les plateformes, si elles doivent endosser un rôle éditorial ou une sorte de gate keeping (filtrage), ont plus intérêt à référencer les médias d’information, à garantir la diversité de leur référencement, plutôt qu’à prioriser les sites institutionnels, surtout sur les sujets hautement sensibles. Car le rôle des institutions n’a jamais été d’informer les populations, au sens où les journalistes sont tenus de le faire, mais de communiquer à ces dernières les messages qu’elles considèrent comme prioritaires et qui servent leurs objectifs, aussi nobles soient-ils. Relayer en priorité leurs messages, c’est donc confier aux sources, et à certaines d’entre elles, un droit d’accès direct à l’espace public sans la négociation avec ces intermédiaires que sont les journalistes.

La question des sources et le magistère des médias sur l’information

Cet accès direct des sources à l’espace public révèle les vrais enjeux de la circulation des messages par l’intermédiaire des plateformes et pose autrement la question de la responsabilité des acteurs dans l’infodémie.

LA LOGIQUE DES PLATEFORMES FRAGILISE LE MAGISTÈRE DES MÉDIAS SUR L’INFORMATION ET LEUR DONNE EN MÊME TEMPS DES MOYENS NOUVEAUX

Même s’il s’agit plus d’un idéal que d’une réalité, la presse et les médias d’information ont, en démocratie, joué le rôle d’une institution atypique et nécessaire. En étant ce quatrième pouvoir qui n’en a aucun du point de vue de la Constitution, la presse a disposé de celui, réel, de décider de l’information qui sera communiquée aux citoyens. La presse a historiquement joué un rôle de gate keeping qui ordonne la parole des différents acteurs, ce que revendique le New York Times dans sa devise : « All, the News That’s Fit to Print » (Toutes les nouvelles qui méritent d’être imprimées).

C’est ce gate keeping qui est aujourd’hui menacé, l’ordre des informations décidé en conférence de rédaction faisant place désormais à un désordre informationnel où chacun y va de son message qu’il adresse directement au plus grand nombre grâce aux plateformes. C’est ce désordre que les gouvernements et les autorités sanitaires ont combattu en imposant par défaut leur communication dans les recommandations des plateformes. La position institutionnelle est ici un avantage même si elle n’est pas un gage de vérité. Elle permet de se substituer aux médias dans le processus de gate keeping. C’est ce qu’ont obtenu aussi, mais autrement, les spécialistes de la communication virale.

Une étude du Reuters Institute sur les types et les sources de désinformation du Covid-19 révèle ainsi que 20 % des messages de désinformation proviennent de responsables politiques – Donald Trump étant cité – mais que ces messages comptent pour 69 % de l’engagement social autour des fausses informations en ligne, sans compter la reprise de ces messages à la télévision. Sans surprise, la même étude ajoute que cette désinformation discrédite souvent la communication des gouvernements et autorités sanitaires puisqu’elle émane en partie des opposants. Les chercheurs du Reuters Institute conseillent donc une action des médias indépendants, des fact-checkers et des plateformes qui s’autonomisent complètement des sources instituées. À cet égard, le Reuters Institute rappelle la vertu essentielle de la presse indépendante qui est d’être une institution de la démocratie, sans être une institution parmi d’autres, en ce qu’elle contribue à maintenir un équilibre, certes sous tension, entre des paroles concurrentes, celle des scientifiques, celle des politiques, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, enfin celle de la société civile.

LA VRAIE INFODÉMIE, C’EST L’OUBLI DE LA NATURE DE L’INFORMATION, C’EST UNE INSUFFISANTE COMPRÉHENSION DES RELATIONS COMPLEXES QUI SE NOUENT ENTRE JOURNALISTES, COMMUNICANTS ET PLATEFORMES

Cette exigence doit en revanche s’articuler avec la logique des plateformes qui fragilise le magistère des médias sur l’information et leur donne en même temps des moyens nouveaux. Si les plateformes peuvent rééquilibrer les flux d’information qui circulent en ligne en assumant des choix éditoriaux, ce qu’elles font en s’alliant avec des fact-checkers ou en relayant la communication des institutions, elles autorisent également un accès direct et sans filtre à l’espace public en ligne. Les plateformes font donc émerger des messages concurrents face à l’information des médias. Mais ces messages ne sont concurrents que dans la mesure où ils sont conçus comme des substituts à l’information des médias. Ils peuvent être aussi considérés comme son prérequis s’ils sont requalifiés en tant que sources d’information. Et certaines sources sont redoutables d’efficacité quand il s’agit de s’imposer en ligne pour remettre en question la prééminence d’autres formes d’autorité. C’est la chaîne YouTube du professeur Raoult qui a fait de l’hydroxychloroquine le moyen de déstabiliser le principe de la reconnaissance par les pairs dans la recherche scientifique tout en révélant, aussi, combien cette reconnaissance laisse la place aux querelles de chapelle et aux pouvoirs conférés par les institutions d’appartenance. L’effet de cette communication sera l’intégration des traitements à base d’hydroxychloroquine dans l’essai scientifique Discovery, ce qui n’est pas neutre. Nous devons donc à la source « Raoult » non pas un traitement efficace et avéré de la maladie, mais au moins un traitement médiatique de la question de la communication scientifique et des méthodes de validation de la recherche qui n’aurait probablement jamais été aussi approfondi si le professeur n’avait pas fait le choix de mobiliser YouTube pour partager ses travaux. Nous devons aussi au professeur Raoult un questionnement critique sur la responsabilité du scientifique quand il « vulgarise » en période de crise, ce qui peut conduire à un relâchement de la vigilance pour ceux qui vont croire à l’efficacité du traitement ainsi mis en avant.

L’infodémie est donc un risque qu’il faudrait mieux qualifier. Il porte moins sur la crédulité à l’égard de messages stupides sur l’eau de Javel et les UV qu’il ne s’illustre dans la mécompréhension des logiques des plateformes, du rôle des médias en démocratie et d’une appréhension correcte, par les individus, de la différence entre communication et information. La vraie infodémie, c’est l’oubli de la nature de l’information, c’est une insuffisante compréhension des relations complexes qui se nouent entre journalistes, communicants et plateformes. Aussi est-il nécessaire de rappeler que les médias ne sont pas une institution comme les autres, qu’ils ne peuvent donc pas être dans une relation de concurrence directe avec les autres sources communicantes. Ils ne peuvent pas être « listés » comme une source parmi d’autres entre un encart réservé à la communication du gouvernement et des autorités sanitaires et des « premiers résultats » qui renvoient à la diversité des messages qui circulent sur le web.

Sources :

  • « Code de bonnes pratiques contre la désinformation en ligne », Communiqué de presse,
    Commission européenne, ec.europa.eu, 16 octobre 2018.
  • « Coronavirus : les réseaux sociaux tentent de contenir l’épidémie de fausses nouvelles », Guillaume Guichard, Le Figaro, 11 mars 2020.
  • « Les plateformes peinent face aux « fake news » sur le coronavirus », Raphaël Balenieri, Sébatsien Dumoulin, Les Echos, 12 mars 2020.
  • « La France en pénurie de masques. Aux origines des décisions d’Etat », Arnaud Mercier, The Conversation France, theconversation.com, 22 mars 2020.
  • « Masques : les preuves d’un mensonge d’Etat », Yann Philippin, Antton Rouget, Marine Turchi, mediapart.fr, 2 avril 2020.
  • « Coronavirus : Twitter, mauvais élève de la lutte contre la désinformation », Guillaume Guichard, Le Figaro, 9 avril 2020.
  • « Facebook va alerter les utilisateurs ayant vu des fake news sur le Covid-19 », Chloé Woitier, Le Figaro, 17 avril 2020.
  • « Facebook se dote d’un système d’alerte sur les « fake news » », Raphaël Balenieri, Les Echos, 17 avril 2020.
  • Types, Sources, and Claims of COVID-19 Misinformation, Brennen J., Simon F., Howard P., Kleis Nielsen R., Oxford : Reuters Institute for the Study of Journalism, April 2020. 

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici