PQR : Le Parisien fera moins de local, Paris-Normandie continue avec Rossel

Le Parisien supprime ses cahiers locaux et mise sur le long format quand Rossel joue la carte de l’hyperlocal pour Paris-NormandieLa Marseillaise risque de devenir une SCIC avec les institutions locales dans son capital.

La crise sanitaire aura été pour la presse quotidienne régionale (PQR), peut-être plus que pour les autres médias, un accélérateur de l’inéluctable transformation des stratégies des groupes. La chute brutale des recettes publicitaires et une diffusion moindre des exemplaires papier a conduit les groupes à prendre acte de plusieurs tendances de fond sur leur marché. La première d’entre elles est le vieillissement rapide du lectorat papier et son non-renouvellement. Une deuxième tendance est la faible présence numérique de ces groupes auprès de leur lectorat. La troisième tendance constatée est la conséquence des deux premières : le décalage de plus en plus évident entre l’offre éditoriale des titres de presse régionale et les publics que ces mêmes titres comptent désormais séduire. Ce constat avait été fait bien avant la crise sanitaire, par exemple à La Provence qui a fait le choix d’une mutation de son offre éditoriale (voir A. Joux, P. Amiel, Recherches en communication, n°44, 2020). Plus récemment, il a présidé à la réorganisation de l’un des titres emblématiques de la PQR, Le Parisien et son édition nationale Aujourd’hui en France.

Racheté par le groupe LVMH en 2015 (voir La rem n°36, p.30), Le Parisien a bénéficié en 2019 d’une épuration de sa dette afin de se réorganiser dans de bonnes conditions. Cependant, le titre est toujours déficitaire et la crise sanitaire a accentué ses difficultés avec une chute de 30 % de la diffusion d’Aujourd’hui en France durant le mois d’avril, et de 10 % pour Le Parisien. Cette période délicate aura été pour la direction du groupe le moyen de tirer les enseignements de la mutation forcée de l’offre éditoriale. En effet, parce que le marché publicitaire s’est effondré durant la crise sanitaire, Le Parisien a, comme de nombreux titres de PQR, décidé de fusionner ses différentes éditions locales, à savoir celles distribuées dans les huit départements d’Île-de-France et dans le département de l’Oise. Sauf, qu’après le 11 mai 2020, le retour des neuf cahiers départementaux n’a pas eu lieu. Le 16 juin 2020, Pierre Louette, DPG du Groupe Les Echos – Le Parisien, présentait en conséquence un « projet ambitieux de refondation » aux organisations syndicales. Ce projet n’échappe pas à un plan d’économies qui passera par le départ, non contraint, de 30 journalistes sur les 435 journalistes de la rédaction. Il passe surtout par une réorganisation de l’offre éditoriale et des marchés cibles du groupe.

Si le phénomène a été accentué durant le confinement, Pierre Louette a rappelé que chaque édition locale ne concerne en moyenne que 4 500 acheteurs. De ce point de vue, l’offre d’information locale n’est pas un levier efficace de développement des ventes. Pierre Louette a été catégorique : « Il n’y a pas de marché pour une PQR dans la région. » Il a donc proposé une version remaniée de l’offre éditoriale du Parisien avec un cahier unique qui fédérera des informations des neuf départements. Mécaniquement, en passant de neuf à un seul cahier, la pagination totale disponible chute fortement, donc le nombre d’articles, ce qui implique une baisse d’effectifs dans les rédactions consacrées à l’information locale : ces dernières passeront de 130 journalistes aujourd’hui à 90 journalistes demain. Cette décision est celle qui a le plus suscité de résistances en interne de la part des journalistes qui rappellent que c’est le travail de terrain, au plus près des acteurs, qui permet de faire remonter des informations qui peuvent avoir, ensuite, une portée nationale. Ainsi, ce sont les journalistes du Parisien qui, durant la canicule de 2018, ont commencé à faire remonter des chiffres édition par édition, ouvrant la voie à une prise de conscience collective du phénomène morbide en train de s’enclencher.

Si les ventes papier baissent tendanciellement et si le l’information locale n’est plus ce rendez-vous essentiel qu’avec une partie âgée du lectorat ; à l’inverse, le numérique est le lieu de conquête des publics de demain. Avec seulement 35 000 abonnés numériques, Le Parisien est très en retard dans la dématérialisation de sa distribution, ce qui lui permet d’afficher des objectifs de croissance assez ambitieux, avec 200 000 abonnés numériques espérés dans cinq ans. En effet, sur le numérique, la recette éditoriale qui permet d’attirer vers le titre de nouveaux publics semble avoir été trouvée. Depuis un an, le quotidien a mis en ligne des articles de type « long format », des reportages plus fouillés qui ont permis de multiplier par trois le nombre d’abonnés. Ce type d’articles est, d’un point de vue éditorial, plus éloigné de l’information sur la vie des institutions et le fait divers, au cœur de l’offre classique de la PQR. En revanche, l’ancrage territorial de ces articles est conservé, mais c’est leur montée en généralité, avec des analyses plus poussées sur l’économie, l’aménagement du territoire, les nouveaux modes de vie qui les rend attractifs auprès d’un public plus jeune et en ligne. Fort de ce constat, édition papier et édition numérique vont donc multiplier le nombre d’articles de ce type, ce qui va renouveler en profondeur l’offre éditoriale du quotidien selon Pierre Louette cité par Le Figaro : « L’objectif est de faire moins d’articles mais qui auront plus de puissance et permettront de la conversion en ligne. » Si les journalistes du Parisien peuvent s’inquiéter d’une moindre présence des rédactions sur les terrains hyperlocaux, au moins devraient-ils se réjouir de cette volonté de produire un journalisme plus approfondi. Ces grands formats seront regroupés sous des verticales et traités à l’échelle du Grand Paris ou de la Région dans son ensemble. Deux verticales existent déjà, « Immobilier » et « Transports », auxquelles s’ajouteront « Police-justice » et « Portraits ». Ces verticales seront alimentées par la rédaction principale mais également, pour la partie longs formats, par une cellule d’une quinzaine de journalistes, le nom de la cellule, « Récits », témoignant bien du changement espéré dans l’offre éditoriale.

D’autres quotidiens régionaux poursuivront leur mutation, cette fois-ci grâce à l’arrivée de nouveaux actionnaires. C’est notamment le cas de Paris-Normandie qui, après avoir été placé en liquidation judiciaire le 21 avril 2020 (voir La rem n°54, p.46), a finalement été racheté par le groupe belge Rossel à la barre du tribunal de commerce de Rouen le 15 juin 2020. L’offre de ce dernier était opposée à celle du groupe IPM, propriétaire de La Libre Belgique, associé à l’actuel propriétaire, Jean-Louis Louvel. Le choix du tribunal en faveur de l’offre de Rossel, les deux offres de reprise étant très proches sur le plan social, est aussi celui des journalistes de Paris-Normandie qui avaient mal vécu la candidature de Jean-Louis Louvel à la mairie de Rouen, une décision qui a fait peser des doutes sur l’indépendance réelle de la rédaction du quotidien. Avec cette prise de contrôle, le groupe Rossel étend son empreinte sur le nord de la France, la zone de diffusion de Paris-Normandie jouxtant au nord celle du Courrier Picard, racheté par Rossel en 2010 (voir La rem n°12, p.17). C’est d’ailleurs la filiale Rossel-La Voix, qui contrôle également le Courrier Picard, qui rachète Paris-Normandie.

Rossel a pour lui l’avantage d’avoir su relancer les titres qu’il a achetés en France où il s’est imposé comme le troisième acteur sur le marché de la PQR avec une diffusion quotidienne de plus de 400 000 journaux et quelque 45 millions de visites mensuelles sur ses différents sites web. Le groupe appliquera donc à Paris-Normandie les recettes déjà testées sur d’autres titres locaux qui, dans l’ensemble, reposent sur une mutua­lisation des coûts de structure. Paris-Normandie basculera notamment sur la plateforme numérique du groupe, un investissement que seul un ensemble intégré peut financer. Les perspectives de développement sont importantes puisque Paris-Normandie ne compte que 2,5 % d’abonnés numériques, un des taux les plus faibles dans la PQR française. Sur le plan éditorial, la couverture hyperlocale sera favorisée afin de renforcer la visibilité du titre en ligne sur l’ensemble du territoire de diffusion, un choix déjà opéré à La Voix du Nord qui a certes limité le nombre de ses éditions mais renforcé le nombre de communes couvertes par le journal (voir La rem n°46-47, p.33). Ici, la stratégie est à l’opposé de celle retenue au Parisien, mais le « local » n’a pas la même signification selon les territoires.

Enfin, dans le sud de la France, Marseille échappe au monopole de La Provence sur la presse quotidienne régionale. Son concurrent au tirage bien plus faible, La Marseillaise, a en effet été placé en liquidation judiciaire le 13 juillet 2020. Un temps, La Provence, alliée à Xavier Niel, a envisagé une offre de reprise, signe que ce dernier entend bien reconstituer l’ex-pôle Hersant au sud de la France qui courait de la frontière italienne jusqu’à Marseille. Mais l’opposition des journalistes de La Marseillaise à un rachat par leur concurrent, lequel signerait aussi la fin de la diversité des titres locaux en kiosque, a conduit La Provence à renoncer. La Marseillaise poursuivra donc son aventure très proba­blement avec Maritima Médias, le seul groupe à avoir déposé une offre de reprise.

Maritima Médias est un groupe qui fédère une télévision et une radio locales et qui a pour actionnaire la ville de Martigues, dirigée par un maire communiste. La ligne éditoriale de La Marseillaise, fondée en 1943 par le PCF, devrait donc être préservée. Quant au quotidien, son avenir passera par la constitution d’une SCIC où la présence des institutions sera forte à travers le jeu des participations et des subventions : outre la ville de Martigues, celle de Marseille, désormais à gauche, s’est engagée à investir 20 000 euros dans la société coopérative et la Région Sud, dirigée par Renaud Muselier (LR), abondera le capital de 100 000 euros pour préserver la diversité de la presse à Marseille. Cette dernière est aussi représentée en ligne par Marsactu qui, à l’inverse, refuse toute subvention des institutions publiques locales afin de préserver son indépendance éditoriale.

Sources :

  • Joux A., Amiel P. (2020) Petit territoire et marchés des groupes de presse locale. Une analyse de la stratégie de diversification du Groupe La Provence, Recherches en communication, n° 44, https://ojs.uclouvain.be/index.php/rec/article/view/56883.
  • « Le Parisien à la veille d’un vaste plan de réorganisation », Alexandre Debouté, Le Figaro, 5 juin 2020.
  • « Deux offres belges pour reprendre Paris-Normandie », Claire Garnier, Les Echos, 10 juin 2020.
  • « Le Parisien engage une réorganisation pour accélérer dans le numérique », Fabienne Schmitt, Les Echos, 17 juin 2020.
  • « Le Parisien réduit le local et accélère dans le digital », Alexandre Deboutté, Le Figaro, 17 juin 2020.
  • « Maritima médias seul candidat à la reprise du journal La Marseillaise », latribune.fr, 17 août 2020.
  • « Rossel-La Voix, nouveau propriétaire de Paris-Normandie », Claire Garnier, Les Echos, 16 septembre 2020.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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