Rémunération au titre du droit voisin et rémunération pour News Showcase : obligatoire, la première entraîne la seconde chez Google sauf en Australie où le risque de surenchère conduit à une menace de fermeture de ses services.
Alors que les éditeurs de presse français avaient dû saisir l’Autorité de la concurrence pour forcer Google à négocier de bonne foi la mise en œuvre de la rémunération au titre du droit voisin pour le référencement de leurs articles (voir La rem n°54bis-55, p.43), le conflit semble s’être rapidement résolu. En effet, Google et l’Alliance de la presse d’information générale (Apig) ont signé, le 20 janvier 2021, un accord « portant sur la rémunération des droits voisins au titre de la loi française » selon leur communiqué commun. Mais cet accord ne saurait masquer une réalité plus contrastée.
Premièrement, Google a tenté jusqu’au bout de remettre en question l’approche défendue par l’Autorité de la concurrence quand elle lui avait imposé de négocier de bonne foi avec les éditeurs. La décision de la Cour d’appel de Paris, le 8 octobre 2020, ne saurait être sans lien avec l’annonce, un jour plus tôt, d’un « accord proche » entre Google et l’Apig, Google reconnaissant de facto la légitimité du droit voisin des éditeurs de presse en France. C’est de toute façon ce que la Cour d’appel a rappelé contre les arguments de Google qui considérait ne pas avoir à rémunérer les éditeurs parce que, en les référençant, ces derniers bénéficient d’une audience qu’ils monétisent sur le marché publicitaire. La Cour d’appel a rappelé la loi française qui pose l’existence du droit voisin et la nécessité d’une rémunération en cas de reprise. La négociation de bonne foi s’impose donc, Google devant notamment fournir des informations précises de trafic sur la réalité des requêtes en lien avec la recherche d’informations de presse en ligne.
Deuxièmement, l’accord est rendu possible parce que Google est parvenu à fissurer le front commun des éditeurs français qui, avant que l’accord ne soit annoncé en octobre 2020, ne manquaient pas de dénoncer les négociations de gré à gré engagées par Google dans d’autres pays, dont l’Allemagne. Ces négociations, d’abord en lien avec le fil d’actualité Discover sur les smartphones Android, ont porté ensuite sur un nouveau service de Google dont le lancement a été annoncé par Sundar Pichai, CEO de Google et d’Alphabet, le 1er octobre 2020. Ce nouveau service, baptisé News Showcase, est un panneau spécifique réservé à des titres d’information partenaires de Google qui sera affiché sur les smartphones Android, d’abord dans Google News et ensuite également dans les pages de résultats de Google Search. Concrètement, Google va investir un milliard de dollars sur trois ans pour rémunérer des éditeurs de presse partenaires qui vont alimenter son service consacré à l’information. Les éditeurs de presse sont néanmoins sélectionnés par Google puisqu’ils doivent, selon Sundar Pichai, relever des award-winning newsrooms. Ils ont la possibilité de choisir quels articles mettre en avant, de les enrichir de chronologies, de vidéos, de liens vers d’autres articles. Les autres éditeurs de presse continueront à être référencés, mais après le panneau Showcase. Ils seront donc bien moins visibles, ce qui interroge quant à la réalité de la pluralité des sources d’information consultées depuis les services mobiles de Google, un référencement dégradé correspondant souvent à pas d’audience du tout. Lors de l’annonce du lancement de Google Showcase début octobre 2020, les éditeurs français ne faisaient pas partie des 200 premiers partenaires de Google. Deux mois plus tard, des grands noms de la presse quotidienne nationale française faisaient partie de l’accord.
Fini donc le front commun des éditeurs : Le Monde aura ses articles dans News Showcase et les titres d’information n’ayant pas pignon sur rue, pour ne pas les qualifier d’indépendants ou d’alternatifs, viendront après. La liste des premiers signataires est à cet égard éloquente puisqu’il s’agit d’une vraie discrimination dans les environnements Google qui se met en place entre titres « reconnus » et les autres : le groupe Le Monde a signé pour le quotidien éponyme et pour Courrier International ; Libération et Le Figaro complètent le triptyque de la presse quotidienne nationale non spécialisée ; enfin les magazines d’information font partie du périmètre de la presse de qualité avec L’Obs et L’Express. Ces titres n’auront pas seulement droit à une meilleure exposition dans l’environnement Google grâce à News Showcase. Ils bénéficieront aussi de facilités technologiques pour convertir les internautes en abonnés grâce à l’outil Subscribe With Google, un service de facturation en ligne des abonnements depuis un smartphone Android.
Troisièmement, l’accord ne concerne en fait que la seule presse d’information politique et générale et privilégie les grands quotidiens nationaux français grâce à News Showcase. En effet, les propositions que Google a faites à l’Apig ont toujours porté sur la possibilité d’un accord-cadre sur le droit voisin, suivi de négociations avec les éditeurs pour leur rémunération au titre du référencement de leurs articles, complété en termes de rémunération grâce au programme News Showcase. C’est ce qu’avaient acté les premiers accords signés entre Google et Le Monde, Libération ou Le Figaro, avec à chaque fois un accord de licence au titre du droit voisin et un partenariat au titre du programme News Showcase. C’est encore ce que prévoit l’accord signé le 20 janvier 2021, même si l’Autorité de la concurrence a jugé nécessaire de préciser qu’elle veillera à ce que la rémunération récurrente au titre du droit voisin soit bien distinguée des accords passés entre Google et les éditeurs pour News Showcase.
Selon Les Echos, les reversements que Google fera aux titres de l’Apig représenteraient entre 25 et 30 millions d’euros par an, loin donc des 150 millions espérés en 2019 quand le principe du droit voisin des éditeurs a été accepté, même s’il faut ajouter les contributions, à terme, des autres plateformes (voir La rem n°53, p.86). Or l’Apig compte 300 titres, à savoir les quotidiens nationaux, les quotidiens régionaux ainsi que 200 titres de la presse hebdomadaire régionale. 30 millions d’euros partagés entre 300 titres, c’est donc bien peu. Les revenus complémentaires issus du programme News Showcase seront donc bienvenus, d’autant que c’est ce dernier qui a dicté le tempo : les partenariats News Showcase sont prévus pour durer trois ans, ce qui correspond à la durée de l’accord signé entre l’Apig et Google. Dans cet accord, les titres bénéficiaires des reversements de Google doivent proposer de l’information politique et générale, la répartition des reversements se faisant selon le volume de publication, l’audience en ligne et l’usage des articles dans l’environnement Google. En revanche, aucun accord n’avait encore été signé avec l’AFP ou la presse magazine en janvier 2021, Google se refusant notamment de rémunérer la presse spécialisée ou de divertissement, ce qui explique l’absence d’accord avec le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM). Quant à Facebook, il n’a pas non plus trouvé les conditions qui lui permettront de s’accorder avec la presse française, une solution proche de celle proposée par Google étant probable puisque Facebook rémunère déjà depuis un an les éditeurs au Royaume-Uni pour proposer son fil d’actualité Facebook News.
En Australie, le code de conduite édicté par la Commission de la concurrence a été présenté au Parlement dans sa version finale le 9 décembre 2020. Il doit mettre à contribution Facebook et Google pour qu’ils financent la presse mais un accord est loin d’être trouvé. Certes, Google propose également en Australie son programme News Showcase et a d’ailleurs signé des partenariats avec certains petits éditeurs de l’île-continent. Mais les deux principaux groupes de presse, News Corp. et Nine Entertainment, n’ont pas signé car ils comptent bien sur le dispositif prévu par le code de conduite pour obtenir une rémunération maximale. En effet, le code de conduite prévoit une négociation de gré à gré entre les plateformes et les éditeurs et, en cas de désaccord, un arbitrage par une commission indépendante à partir des offres faites par chaque partie. Les médias australiens ne manquent pas d’imaginer que leurs propositions seront retenues dans ce cas. News Corp. a ainsi estimé que Google et Facebook devraient reverser ensemble 610 millions d’euros chaque année aux éditeurs de presse alors que les deux acteurs captent 80 % du marché de la publicité en ligne en Australie. Nine est plus mesuré et ne demande que 10 % de leurs revenus publicitaires de 4 milliards d’euros annuels, soit 400 millions d’euros en tout. Ce risque de surenchère a conduit Google et Facebook à menacer de se retirer d’Australie.
Dans le passé, Google n’a pas hésité, ailleurs, à fermer ses services dans certains pays en cas de demandes jugées incompatibles avec sa stratégie d’entreprise, comme Google Noticias fermé en Espagne en 2014 (voir La rem n°33, p.10). Lors d’une audition au Sénat de Mel Silva, directrice de Google en Australie, celle-ci a prévenu que « si cette version du code devenait une loi, cela ne nous laisserait pas d’autre choix que de suspendre Google Search en Australie ». Google déploie en Australie la même stratégie qu’en Allemagne et dans tous les autres pays européens quand avaient germé les projets de reconnaissance du droit voisin des éditeurs de presse. En Allemagne, Google avait commandé des études qui prouvaient combien l’activité de son moteur était peu dépendante du référencement des articles de presse. Il fait la même chose en Australie en testant sur 1 % des internautes australiens l’effet du retrait total des articles de presse dans les résultats de son moteur, de quoi donc montrer que la presse a plus besoin de Google que Google n’a besoin de la presse. D’ailleurs, Google a indiqué que le référencement des articles de presse ne représente que 10 millions de dollars de chiffre d’affaires publicitaire pour son moteur en Australie, très loin donc des attentes de News Corp. et de Nine. Quant à Facebook, il envisage de son côté de bloquer le partage des articles de presse et rappelle aux éditeurs qu’il ne les référence pas mais que ce sont eux qui mettent sur son réseau leurs articles.
Sources :
- « Our $1 billion investment in partnerships with news publishers », Sundar Pichai, blog Google, October 1er, 2020, https://blog.google/outreach-initiatives/google-news-initiative/google-news-showcase/
- « Google va investir un milliard de dollars dans la presse de qualité », Chloé Woitier, Le Figaro, 2 octobre 2020.
- « Google propose 1 milliard de dollars à la presse « de qualité » », Nicolas Madelaine, Les Echos, 2 octobre 2020.
- « En Australie, le géant du Net privilégie des accords au cas par cas », Grégory Plesse, Les Echos, 9 octobre 2020.
- « Etape majeure dans les discussions entre la presse française et Google », Alexandre Debouté, Le Figaro, 9 octobre 2020.
- « Droits voisins : l’horizon s’éclaircit pour la presse », Nicolas Madelaine, Les Echos, 9 octobre 2020.
- « Google : accord en vue avec les éditeurs français », Enguérand Renault, Le Figaro, 20 novembre 2020.
- « Premiers accords entre Google et la presse française sur les droits voisins », Sébastien Dumoulin, Nicolas Madelaine, Les Echos, 20 novembre 2020.
- « Les Gafa forcés de payer les médias australiens », Grégory Plesse, Les Echos, 10 décembre 2020.
- « Google passe à l’offensive contre la régulation des Gafa en Australie », Grégory Plesse, Les Echos, 20 janvier 2021.
- « Droits voisins : Google signe avec la presse », Alexandre Debouté, Le Figaro, 22 janvier 2021.
- « Droits voisins : l’Alliance de la presse trouve un accord avec Google », Nicolas Madelaine, Les Echos, 22 janvier 2021.
- « L’Australie croise le fer avec Google et Facebook », Chloé Woitier, Le Figaro, 26 janvier 2021.