Nouvelles consoles, services de téléchargement, de cloud gaming : le marché du jeu vidéo organise la cohabitation des consoles avec de nouvelles pratiques en ligne où l’abonnement domine. Le cloud gaming se développe aussi en free to play grâce à Facebook.
C’est la fin d’un cycle débuté en 2013 : sept ans plus tard, Microsoft et Sony ont sorti des versions nouvelles de leurs consoles dédiées aux fans de jeux vidéo. Toujours plus performantes, ces consoles sont mises sur le marché en étant totalement intégrées à un écosystème de contenus et de services qui atteste de l’évolution du marché du jeu vidéo dans les années 2010. Si le marché des consoles a doublé de taille durant ces sept ans, le marché compte désormais pour moins d’un tiers du marché total du jeu vidéo. Estimé à 45 milliards de dollars, le marché des consoles cohabite désormais avec le jeu sur PC et le jeu sur mobile, l’ensemble du marché du jeu vidéo s’élevant à 160 milliards de dollars. Or, sur smartphone notamment, les pratiques ont été révolutionnées avec l’arrivée de nombreux nouveaux joueurs occasionnels qui n’ont jamais investi dans un matériel spécifique pour améliorer leur expérience de jeu. Certes, les premiers pas du jeu sur mobile se sont faits sur des expériences de jeu très basiques qui ne laissaient pas espérer une montée en gamme en direction du jeu pour PC et consoles. Mais, progressivement, l’expérience de jeu sur smartphone s’est complexifiée et les joueurs occasionnels ont préféré un univers de jeu conjuguant terminal, services et contenus. Cette stratégie de captation du grand public du jeu vidéo a été celle de Nintendo avec sa Switch, lancée en 2017, laquelle s’était déjà écoulée à 68 millions d’exemplaires en novembre 2020. Elle est désormais celle de Microsoft et, dans une moindre mesure, de Sony.
Les deux groupes ont lancé leurs nouvelles consoles le 10 novembre 2020 pour Microsoft et le 12 novembre 2020 pour Sony qui a privilégié dans un premier temps le marché américain et le Japon avant de rendre sa console disponible partout dès le 19 novembre 2020. Pour Sony, la sortie de la PlayStation5 est stratégique car sa grande sœur, la PlayStation4, a été écoulée à plus de 114 millions d’exemplaires, devenant l’une des principales activités du groupe. En 2020, l’activité de jeux vidéo devrait représenter un peu moins du tiers du chiffre d’affaires de Sony et plus de 40 % de ses profits. La PlayStation4 s’est, il est vrai, largement imposée sur la Xbox One de Microsoft car Sony n’était déjà plus, en 2013, un simple vendeur de machines. Il s’était assuré un catalogue de jeux en exclusivité et avait déjà développé son service de téléchargement de jeux (PlayStation Store), son offre multi-joueurs et une version optimisée du Play Station Network, ainsi que l’offre PlayStation Plus sur abonnement, qui propose de télécharger de manière illimitée des jeux du catalogue. En 2014, le groupe avait même lancé l’une des toutes premières offres de cloud gaming, le PlayStation Now. Ce faisant, Sony pouvait toucher aussi les joueurs sur PC.
Cette stratégie qui vise à construire un écosystème de services autour du terminal a permis à Sony d’investir massivement dans le développement des jeux vidéo parce qu’il peut compter sur un nombre de joueurs plus important pour amortir ses coûts de développement des jeux. Sony peut ainsi proposer un catalogue important aux futurs acheteurs de la PlayStation5 et des exclusivités pour la sortie de la nouvelle console, dont la suite Marvel’s Spiderman : Miles Morales. Enfin, cet écosystème élargit également le marché potentiel de la console, en plus de s’adresser aussi aux joueurs sur PC. En effet, la PlayStation5 est commercialisée dans deux modèles, dans sa version classique à 499 euros et dans une version numérique à 399 euros. Cette dernière n’accueille pas de lecteur DVD/Blu-ray et impose de passer par le PlayStation Store pour télécharger ses jeux. Cette baisse de prix doit limiter la dépense que représente l’achat d’une console pour un joueur occasionnel. L’élargissement du public du jeu vidéo dédié historiquement aux consoles, comme du nombre de joueurs équipés, est un pari que la crise de la Covid semble conforter. En effet, à l’occasion de la pandémie, le temps de jeu a fortement augmenté et les joueurs occasionnels le sont donc un peu moins, ce qui devrait les inciter à choisir progressivement un univers dédié. Par ailleurs, Sony peut s’appuyer sur les convaincus de l’offre PlayStation Now pour les inciter à acheter ses nouvelles consoles : son service de cloud gaming a atteint 2,2 millions d’abonnés en avril 2020, un chiffre doublé en un an. C’est néanmoins Microsoft qui est sans conteste le plus ambitieux quand il s’agit d’articuler l’univers des consoles à celui du cloud gaming.
Microsoft l’avait reconnu. La moindre performance de la Xbox One comparée à la PlayStation4 était liée à l’absence d’investissements dans le catalogue de jeux. Depuis, Microsoft a rattrapé son retard et investit massivement dans le contenu. En 2014, Microsoft s’imposait comme un acheteur majeur dans le domaine du jeu vidéo en s’emparant du jeu Minecraft et de son éditeur, le studio Mojang, pour 2,5 milliards de dollars. Depuis, le groupe a multiplié les acquisitions jusqu’à s’emparer d’une mini-major du jeu vidéo le 21 septembre 2020 avec le rachat de ZeniMax Media pour 7,5 milliards de dollars. Une fois l’acquisition finalisée, Microsoft contrôlera en tout 23 studios avec les 8 studios apportés par ZeniMax dont le studio Bethesda, une référence dans le jeu vidéo pour consoles et PC avec des titres comme Dishonored, Doom, The Elder Scrolls, Fallout, Quake. Ces titres ont vocation à alimenter le service de téléchargement de jeux de Microsoft, le Xbox Game Pass qui va bénéficier en exclusivité des nouvelles productions de Bethesda.
À l’instar de Sony, Microsoft propose donc désormais un écosystème qui allie terminal de jeu, services et contenus. Mais la sortie des nouvelles Xbox atteste d’une évolution de la stratégie du groupe. En effet, Microsoft mise comme Sony sur deux modèles, la Xbox Series X et la Xbox Series S. La première est vendue 499 euros et la seconde 299 euros. Pour sa console haut de gamme dédiée aux fans, Microsoft s’aligne donc sur le prix de Sony. Il est en revanche en dessous pour la console d’entrée de gamme qui doit permettre d’élargir le public des joueurs. C’est que Microsoft mise plus que Sony sur cet élargissement parce qu’il a des intérêts économiques à développer la pratique du jeu vidéo qui excèdent largement ceux de Sony.
Signe d’une volonté de massifier la pratique du jeu vidéo, Microsoft met en avant un nouveau moyen de disposer de la Xbox : la location avec l’offre Xbox All Access. Cette stratégie permet aux joueurs occasionnels de contrer la barrière psychologique qui consiste à convaincre quelqu’un de payer non pas pour jouer, mais pour s’équiper. Avec la location, et pour un tarif initial bien moins élevé que l’achat d’une console, on a accès à tout l’écosystème en une fois, la console et le service de jeu vidéo, à savoir un abonnement au Game Pass autrement facturé 12,99 euros par mois. La location avec Game Pass est facturée 32,99 euros pour la Xbox Series X, soit 20 euros par mois une fois déduit le prix de l’abonnement au Game Pass, et 24,99 euros pour la Xbox Series S, soit 11 euros par mois. Cette stratégie devrait favoriser le recrutement d’abonnés au service Game Pass qui fédérait 18 millions d’abonnés début 2021, contre 10 millions en avril 2020, au tout début des politiques de confinement.
La massification de la pratique du jeu vidéo par Microsoft ne passera pas seulement par les nouvelles offres commerciales associées au lancement de la nouvelle Xbox. En effet, le Game Pass est accessible aussi sur smartphone Android depuis août 2020 en version bêta et depuis le 15 septembre 2020 pour tous les abonnés au Xbox Game Pass Ultimate. Ici, il n’est pas besoin de télécharger sur son smartphone les jeux car le disque dur du smartphone ne s’y prête évidemment pas : le cloud gaming s’impose. Cette technologie de cloud gaming, baptisée XCloud chez Microsoft (voir La rem n°52, p.61), fait définitivement tomber la barrière de l’équipement. En permettant l’élargissement massif du nombre potentiel de joueurs, Microsoft peut rentabiliser autrement ses investissements dans son catalogue de jeux vidéo et surtout développer ses activités de cloud computing, un secteur où il est avec Amazon parmi les leaders mondiaux. Par ailleurs, en emmenant une partie de ses joueurs dans le cloud, Microsoft s’imposera aussi comme la référence des services de cloud pour tous les éditeurs de jeux en ligne. Le jeu vidéo chez Microsoft risque donc de « s’interfacer » à terme avec les ingénieurs de la division cloud au détriment de ceux qui ont imaginé et développé la Xbox. C’est en cela que le pari de Microsoft est audacieux parce qu’il anticipe, probablement plus que Sony, l’arrivée de nouvelles concurrences grâce au streaming. Et, à l’instar de Netflix, la distribution en ligne du jeu vidéo renforcera encore l’importance du catalogue contrôlé par le groupe, un secteur où Microsoft a pris une bonne avance face à ses nouveaux concurrents, les membres du Gafa.
Après Google Stadia, GeForce Now de Nvidia ou encore Uplay+ d’Ubisoft, c’est au tour d’Amazon et de Facebook de se lancer sur le marché du cloud gaming. Le 24 septembre 2020, Amazon inaugurait aux États-Unis son service de cloud gaming baptisé Luna et facturé 5,99 dollars par mois, sur invitation dans un premier temps. Proposant au départ une cinquantaine d’anciens jeux, mais aussi une chaîne Ubisoft accessible moyennant un abonnement complémentaire, le service se veut donc aussi un agrégateur d’offres. Comme chez Microsoft, Amazon s’appuie sur son offre de cloud computing, Amazon Web Services, pour garantir une expérience optimale aux joueurs qui pourront ainsi à terme se passer de console. Mais le catalogue de jeux d’Amazon est encore très limité, comparé à celui qui est proposé par les services leaders comme le Microsoft Game Pass.
La question de l’expérience a également conduit Facebook à lancer son offre de cloud gaming en octobre 2020 en l’intégrant directement sur le site web et l’application du réseau social. En effet, sur Facebook, le jeu vidéo propose une expérience dégradée car il repose sur des jeux développés en HTML5. Avec le transfert dans le cloud gaming, cet obstacle technique saute et des jeux plus complexes pourront être joués directement depuis le réseau social. Partant donc de jeux élémentaires, Facebook ne vise pas le marché des jeux pour consoles en tentant de les faire basculer en ligne, ce qui est le cas de Microsoft ou d’Amazon, mais bien le free to play. Le temps passé à jouer sur Facebook sera valorisé grâce à la publicité, notamment l’achat de tests de jeux vidéo par les éditeurs, lesquels en revanche conservent la totalité des revenus générés par les microtransactions au sein du jeu.
Sources :
- « Sony dégaine sa PlayStation5 dans sa guerre des consoles face à Microsoft », Yann Rousseau, Les Echos, 18 septembre 2020.
- « Microsoft s’offre Bethesda pour 7,5 milliards de dollars », Basile Dekonink, Les Echos, 22 septembre 2020.
- « Microsoft fait une acquisition majeure dans le jeu vidéo », C. W., Le Figaro, 22 septembre 2020.
- « Amazon lance son service de streaming de jeux vidéo », Anaïs Moutot, Les Echos, 28 septembre 2020.
- « Facebook se lance sur le marché très concurrentiel du cloud gaming », Chloé Woitier, Le Figaro, 28 octobre 2020.
- « La guerre des consoles repart de plus belle entre Sony et Microsoft », Florian Debès, Les Echos, 10 novembre 2020.
- « Microsoft signe le meilleur trimestre de son histoire », Ingrid Vergara, Chloé Woitier, Le Figaro, 28 janvier 2021.