Les NFT : quand le cinéma redécouvre le modèle My Major Company

Perçus comme un moyen de garder le contrôle sur ses œuvres, les NFT permettent de céder des droits spécifiques qui deviennent ainsi une source de financement alternative aux investissements des studios.

Contre les choix bien trop consensuels et commerciaux des majors du disque, devenez vous-même le producteur ! Ainsi naissait My Major Company en 2007, promettant aux internautes qu’ils choisiraient, moyennant des parts de producteur, les artistes qui allaient être signés par ce nouveau label. En définitive, les internautes finançaient l’enregistrement et c’était bien une major, Warner Music, qui assurait la commercialisation des albums. Pour les labels, l’indépendance s’arrête aux frontières des chaînes de distribution.

Les NFT ont suscité le même pari du côté des produc­teurs indépendants de films et de séries d’animation. Les NFT – non fongible token – sont des actifs numériques dont la propriété est certifiée dans la blockchain et qui ont la particularité d’être uniques – ils ne sont donc pas fongibles, comme le sont les bitcoins, une pièce en valant une autre (voir La rem n°57-58, p.75). Ce sont aussi des objets juridiques non ou mal identifiés, mais ils attestent à chaque fois d’un droit de propriété. Ce qui est rare étant cher, les prix se sont envolés en 2021 pour certains objets virtuels vendus sous forme de NFT, telle l’œuvre Everydays : The First 5000 Days de l’artiste américain Beeple. En mars 2021, Christie’s l’intègre dans son programme de cession de NFT et ouvre les enchères à 100 dollars. Elle s’est finalement vendue 69,3 millions de dollars. L’art, comme la mode, aime les excès. Il y aura donc des NFT pour habiller de manière tout à fait singulière et tout à fait onéreuse son avatar, son personnage, enfin ces dignes représentants de nous-mêmes dans les mondes virtuels, qu’il s’agisse de jeux vidéo, de métavers ou, plus prosaïquement, de notre présence sur les réseaux sociaux numériques.

Dans le cinéma, les NFT sont aussi perçus comme une nouvelle source de revenus. Quentin Tarantino a entrepris de vendre sous forme de NFT des pages de script et des scènes coupées de Pulp Fiction. Sauf que la propriété intellectuelle existe en dehors de la blockchain et le producteur du film – les studios Miramax, actuellement contrôlés par beIN Media Group et ViacomCBS – a considéré que le contrat signé avec Quentin Tarantino lui interdit de commercialiser ces éléments-là du film, ce qui a débouché sur une plainte, en novembre 2021, auprès d’un tribunal de Californie.

Parfois, les NFT ne servent pas seulement à générer des revenus complémentaires, mais ils peuvent également être à l’origine du financement de l’œuvre. Dans ce cas, sont mis en vente des personnages, un intéressement sur l’œuvre, l’accès à un fan club ou au visionnage de l’œuvre elle-même… et les fans sont au rendez-vous. Les producteurs comme les artistes peuvent de leur côté contrôler parfaitement leurs droits puisqu’ils décident ce qu’ils souhaitent vendre. L’exemple emblématique est la série Stoner Cats, dont le financement sous forme de NFT a été lancé en juillet 2021 : 10 000 NFT ont été mis en vente à 0,35 Ether (la monnaie associée à la blockchain Ethereum), soit 800 dollars environ, lesquels se sont vendus en trente-cinq minutes. Les NFT cédés sont ici un droit d’accès aux épisodes produits. L’engouement a été général car les stars étaient au rendez-vous pour prêter leurs voix aux différents chats : Mila Kunis, à l’origine du projet, mais aussi Ashton Kutcher. Mila Kunis a expliqué dans un podcast les raisons du recours aux NFT pour donner accès à cette série, raisons qui témoignent d’une volonté des artistes de s’approprier la part des droits jusqu’ici contrôlée par les studios : « Je produis du contenu pour la télé, et je devais faire une série animée pour une chaîne. Il y a tellement de contenus, et j’ai tellement peu de contrôle une fois que c’est vendu, que je voulais ramener la propriété du contenu à l’artiste. Je veux un système transparent. Donc je me suis dit que j’allais le faire en NFT. »

Mais, de même que My Major Company a eu besoin de créer des buzz pour rendre viables les artistes produits, attirant ainsi les « stars » de la Star Academy, il est fort probable que le financement des films et séries par les NFT, s’il peut favoriser la production indépendante, restera soumis aux logiques marketing. Le pari, en la matière, est de savoir si la promotion des œuvres peut se passer des majors, des services géants de SVOD, pour ne reposer que sur des initiatives en ligne qui favoriseront une plus grande diversité des œuvres et des investissements. C’est finalement refaire le pari de la longue traîne, comme dans le domaine de la musique.

Sources :

  • « Mila Kunis crée Stoner Cats, une série animée disponible en NFT », 20minutes.fr, 27 juillet 2021.
  • « Miramax et Quentin Tarantino s’affrontent au sujet des NFT de Pulp Fiction », Nicolas Rauline, Les Échos, 18 novembre 2021.
  • « Les NFT défrichent un nouveau mode de financement du cinéma et des séries », Nicolas Madelaine, Les Échos, 30 décembre 2021. 
Alexandre Joux, directeur de l'Ecole de journalisme et de communication d'Aix-Marseille (EJCAM), Aix-Marseille Université, IRSIC (Institut de recherche en sciences de l'information et de la communication)

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