Présent en Allemagne, en Italie et en Espagne, DAZN a échoué à s’emparer d’une partie des droits de la Premier League britannique. Discovery s’associe avec British Telecom pour diffuser BT Sport, un moyen de se protéger des acteurs de la SVOD.
Les droits de diffusion des matchs de football restent convoités, mais les prix atteints sont de plus en plus contestés : la faute au Covid qui a vidé les stades pendant un an, la faute enfin à Netflix et ses épigones qui détournent les téléspectateurs du petit écran, la faute encore à des montants très élevés qui incitent les diffuseurs traditionnels à miser sur d’autres sports. Ce fut le cas en France après les très généreuses enchères de Mediapro (voir La rem n°48, p.103), des droits jamais payés, qui ont conduit Canal+ à miser sur la Formule 1 et le motoGP. Finalement, la Ligue 1 française a presque disparu des écrans après que la Ligue de football professionnel (LFP) a décidé de confier l’essentiel de ses droits à Amazon pour seulement 250 millions d’euros par saison (voir La rem n°59, p.48). Mediapro avait promis 1 milliard d’euros : quand le football bascule dans l’univers de la SVOD, les droits perçus peuvent, à l’évidence, s’effondrer.
Cette stratégie qui consiste à miser sur la SVOD pour diffuser le sport, et pas seulement celui de second rang, mais aussi les compétitions prestigieuses, est celle de DAZN, souvent qualifié par la presse de « Netflix du sport ». L’éditeur, lancé en 2016, suit en effet la même voie que Netflix : après avoir proposé des sports confidentiels en ligne, comme Netflix avec ses fonds de catalogue, il tente de s’inviter dans les plus grandes compétitions européennes, comme Netflix avec ses originals. En Allemagne, DAZN diffuse ainsi une partie des matchs de la Bundesliga pour les saisons 2021-2025 même si Sky conserve l’essentiel de la compétition. Afin de surpasser ce sérieux concurrent, DAZN a dû s’allier à des opérateurs télécoms qui lui garantissent une meilleure audience de son service auprès de leurs abonnés. Ce fut le cas en Italie, en mars 2021, quand DAZN s’est emparé de la série A italienne, en association avec Tim (Telecom Italia), au détriment de Sky, le diffuseur historique du « Calcio », championnat italien. Pour remporter ces droits des saisons 2021-2024, DAZN a dû s’engager sur 840 millions d’euros chaque année, soit presque autant que pour les saisons 2014-2018. Or, Sky était parvenu à faire baisser le montant des droits sur la période 2018-2021 (voir La rem n°48, p.103). En Italie, l’arrivée de nouveaux diffuseurs a fait remonter les enchères ; les débuts de DAZN furent très chaotiques, entre problèmes de diffusion et, côté abonnés, problèmes de bande passante.
Après l’Allemagne et l’Italie, DAZN a étendu encore son empreinte européenne, de nouveau en association avec un opérateur télécoms, en s’emparant, en décembre 2021, des droits de retransmission de la ligue de football espagnole pour la période 2022-2027. Cette fois-ci, DAZN est associé à Movistar, filiale de Telefonica. Ensemble, ils se sont engagés à débourser quelque 4,95 milliards d’euros pour cinq saisons de football, un chiffre légèrement supérieur aux précédentes enchères (990 millions contre 980 millions d’euros par saison).
Restait alors à DAZN à conquérir un dernier marché, essentiel pour le football européen, celui le mieux doté, celui souvent considéré comme le plus prestigieux : la Premier League britannique. Preuve de son attrait, la Premier League a convaincu Comcast, qui la diffuse aux États-Unis, de tripler le montant des droits pour les conserver les six prochaines années (2022-2028), soit une dépense de 2,7 milliards de dollars, seule à même de tenir à distance les concurrents Amazon ou ESPN (Disney). En revanche, au Royaume-Uni, les diffuseurs ne sont plus disposés à payer autant pour diffuser la Premier League. Cette dernière a ainsi décidé, en mai 2021, de ne pas prendre le risque d’un appel d’offres afin de préserver le montant des droits de retransmission. Elle a opté pour le prolongement des accords de diffusion déjà signés avec Sky et BT Sport pour trois saisons supplémentaires, ce qui lui permet de sécuriser en tout 5 milliards de livres sur la période. La perspective d’une entrée sur le marché britannique du football semblait alors s’éloigner pour DAZN. Le 29 avril 2021, British Telecom (BT) faisait part de son intention de céder ses chaînes sportives afin de concentrer ses efforts sur le développement de son réseau fixe et mobile.
British Telecom a misé sur le football dès 2013 afin de renforcer l’attrait de ses offres d’accès à l’internet fixe. Le groupe de télécommunications s’est ainsi emparé d’une partie des droits de la Premier League et il a créé ses chaînes BT Sport pour la diffuser (voir La rem n°29, p.38). Aujourd’hui, BT Sport compte quelque 5 millions d’abonnés au Royaume-Uni, mais coûte très cher à BT (725 millions de livres chaque année). Or, comme les autres opérateurs en Europe, British Telecom est confronté à des investissements conséquents dans la fibre et la 5G. Son nouveau directeur, Philip Jansen, arrivé à la tête de l’opérateur le 1er février 2019, souhaite donc se séparer de cet actif, même s’il s’agit incontestablement d’un véritable levier marketing. Aussitôt, DAZN s’est positionné, proposant près de 600 millions de livres (700 millions d’euros) pour les chaînes BT Sport. Puis, en décembre 2021, la presse a indiqué l’intérêt de Discovery. En janvier 2022, DAZN proposait désormais 800 millions d’euros pour BT Sport. Mais, à force de monter, la facture a conduit DAZN à exiger des garanties auprès de BT, une large part des abonnés étant apportée grâce à la souscription aux offres d’accès à l’internet. Ces négociations commerciales n’ayant pas pu aboutir, c’est finalement Discovery qui l’a emporté, mais avec une proposition d’un tout autre ordre.
Actuellement en plein rapprochement avec Warner Media (voir La rem n°59, p.69), Discovery mise sur la SVOD, comme DAZN, même si le groupe est historiquement un acteur majeur de la télévision payante en Europe. Le groupe contrôle Eurosport (voir La rem n°25, p.32) et dispose ainsi d’une expérience solide dans la gestion des droits sportifs. Comme les chaînes payantes, les offres de SVOD sont très dépendantes des opérateurs pour leur distribution. Discovery a donc proposé à BT de créer une coentreprise où seraient logées les chaînes sportives de l’opérateur. Si l’offre ne permet pas à British Telecom de prendre définitivement ses distances avec l’audiovisuel et le marché des droits sportifs, elle a toutefois des atouts. Discovery apporte une compétence reconnue dans l’audiovisuel, en même temps que des moyens nouveaux, tout en laissant à BT son avantage commercial grâce au contrôle de BT Sport, mais sans en assumer l’essentiel des coûts. Ces arguments l’ont emporté et, le 3 février 2022, British Telecom a annoncé être entré en négociations exclusives avec Discovery pour la création de l’entreprise qui accueillera, à terme, les chaînes BT Sport. Pour Discovery, le contrôle à parité de BT Sport lui permettra de se distinguer clairement face à la concurrence de Netflix, de Disney+ ou d’Amazon Prime, comme le fait Sky dans la télévision payante britannique en tant que codiffuseur de la Premier League. Pour DAZN, l’opération est un échec car elle le prive de l’accès à l’un des plus emblématiques championnats européens, ce qui lui aurait valu de s’imposer parmi les premiers diffuseurs sur le continent.
Sources :
- « Au Royaume-Uni, DAZN prêt à racheter BT Sport, codiffuseur de la Premier League », Pauline Verge, Les Échos, 22 septembre 2021.
- « Le fiasco de DAZN fait hurler les fans du foot italien », Valérie Segond, Le Figaro, 7 octobre 2021.
- « La Premier League triple ses recettes américaines », Fabio Benedetti Valentini, Les Échos, 22 novembre 2021.
- « Débuts heurtés de DAZN dans le « Calcio » italien », Olivier Tosseri, Les Échos, 22 novembre 2021.
- « Discovery s’intéresse à son tour à BT Sport », Fabio Benedetti Valentini, Les Échos, 7 décembre 2021.
- « Football : DAZN et Telefonica obtiennent les droits du championnat espagnol », Y.D., Les Échos, 15 décembre 2021.
- « DAZN en passe d’acquérir des droits du foot anglais », Ingrid Feuerstein, Nicolas Madelaine, Les Échos, 14 janvier 2022.
- « Discovery gagne la mise sur les droits du foot anglais », Ingrid Feuerstein, Nicolas Madelaine, Les Échos, 4 février 2022.
