Les réseaux de télécommunications à l’heure des Open RAN

L’open source a profondément modifié l’informatique à partir des années 1990. L’adoption progressive de normes ouvertes dans la conception des équipements pour les réseaux de télécommunications remet en cause désormais l’équilibre actuel entre équipementiers et opérateurs.

Le réseau de télécommunications d’un opérateur s’appuie sur une grande variété d’équi­pements parmi lesquels des antennes, des équipements locaux intermédiaires ainsi que des liaisons filaires, comme la fibre optique, ou sans fil, par ondes radio. Ces équipements sont eux-mêmes raccordés au cœur de réseau (Core Network), permettant ensuite à des terminaux (téléphone, smartphone, objet connecté, Machine to Machine, etc.) de se raccorder à ce réseau. Pour construire la partie du réseau dont l’accès se fait par ondes radio (Radio Access Network), des opérateurs comme Orange en France, AT&T aux États-Unis, Deutsche Telekom en Allemagne, NTT Docomo au Japon ou China Mobile en Chine se fournissent auprès d’équipementiers matériels tels que Nokia, Huawei ou Ericsson. Ces équipementiers, dits « intégrés », vendent des équipements comme des antennes et des boîtiers électro­niques qui imbriquent à la fois des composants matériels et logiciels, notamment pour optimiser leur fonctionnement.

Cependant, les écueils de cette intégration, au-delà du maintien de prix élevés sur le marché, consistent à interdire aux opérateurs de télécommunications de changer de fournisseur une fois qu’ils ont choisi un équipementier et de les empêcher de développer des fonctionnalités externes sur le réseau. Or, la mise en œuvre des réseaux cellulaires de dernière génération repose sur une architecture informatique « où des équipements de réseaux sont remplacés par des serveurs spécialisés et des logiciels » expliquait l’ANRT (Association nationale de la recherche et de la technologie) en mars 2021 dans un rapport sur la 5G (voir La rem n°57-58, p.83).

L’Open RAN, ou O-RAN (pour Open Radio Access Network) décrit cet ensemble de normes industrielles open source auxquelles les fournisseurs des opérateurs de télécommunications pourront se conformer lors de la production d’équipements. L’initiative, menée depuis 2018 par les cinq opérateurs de télécommunications mentionnés ci-dessus, a pour objet de séparer la dimension matérielle et logicielle des équipements de réseaux d’accès radio en imposant aux équipementiers d’utiliser les logiciels open source déve­loppés par l’Open RAN. Une manière de « lever le verrou des équipementiers », argumente Maite Aparicio de l’opérateur espagnol Telefonica et de pallier l’éviction de l’équipementier chinois Huawei par les États-Unis et l’Europe pour des raisons de sécurité informatique (voir La rem n°57-58, p.96).

En s’appuyant sur des logiciels open source, les opérateurs gagnent en flexibilité tant sur le développement informatique des installations que sur le choix des équipementiers avec lesquels ils travaillent et dont le matériel devient alors interopérable. Pour les opérateurs de télécommunications, cette initiative vise également à faire baisser les coûts de déploiement et de gestion du réseau. Le choix des normes open source de l’Open RAN, pressenties pour devenir la norme de référence dans le déploiement des réseaux 6G, est déjà acté pour les nouveaux réseaux 5G construits par des opérateurs comme le japonais Rakuten. Rabih Dabboussi, directeur des ventes de Rakuten Symphony, estime ainsi à entre 35 et 40 % la baisse du coût de construction du réseau par rapport à celui des opérateurs japonais historiques.

Les équipementiers intégrés accueillent cette initiative avec moins d’enthousiasme, leur marché s’ouvrant dorénavant à la concurrence de nouveaux acteurs, dont l’entreprise américaine Parallel Wireless qui déploie une architecture Open RAN « All G », c’est-à-dire compatible avec tous les réseaux cellulaires de la 2G à la 5G. L’Open RAN suscite en outre l’intérêt des géants du numérique, parmi lesquels Alphabet, Meta, IBM, Microsoft ou encore Oracle, déjà tous membres de l’O-RAN Alliance. De nombreux défis restent à relever, notamment concernant la cybersécurité de l’Open RAN, à propos de laquelle la Commission européenne a récemment publié un rapport qui souligne que, du fait de la complexité des réseaux 5G et 6G, « l’Open RAN pourrait exacerber certains types de risques pour la sécurité, en offrant une surface d’attaque plus grande et davantage de points d’entrée aux acteurs malveillants, ce qui augmenterait le risque de mauvaise configuration des réseaux et aurait des répercussions potentielles sur d’autres fonctions du réseau en raison du partage des ressources ».

Sources :

  • « Qu’est-ce que l’Open RAN ? », Jon Gold, Jean Elyan, lemondeinformatique.fr, 13 décembre 2021.
  • « L’Open RAN, cette technologie « ouverte » qui rebat les cartes dans les réseaux de télécommunications », Olivier Pinaud, Le Monde, 5 mars 2022.
  • « Report on the cybersecurity of Open RAN », EU Agency for Cybersecurity, NIS Cooperation Group, digital-strategy.ec.europa.eu, May 11, 2022.
  • Open RAN, O-ran.org.
  • « Qu’est-ce qu’Open RAN ? », Juniper, Juniper.net.

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