Alors que les entreprises chinoises multiplient les dépôts de brevets en Europe, les entreprises européennes, quant à elles, sont menacées en Chine, où la protection de l’innovation est battue en brèche. L’Europe a saisi l’OMC.
L’enjeu technologique dans la compétition entre la Chine et les États-Unis (voir La rem n°52, p.96) se traduit en Europe au niveau de l’Observatoire européen des brevets (OEB). Dans son « Patent Index 2021 », rendu public en avril 2022, l’OEB constate une hausse de 4,5 % des dépôts de brevets en Europe par rapport à 2020 avec, aux premières places parmi les déposants, les États-Unis, l’Allemagne, le Japon et la Chine. Concernant ces quatre pays, le top 25 des entreprises déposantes est sans appel : les entreprises de communication dominent largement (voir La rem n°54, p.36). Elles tentent ainsi de sécuriser, grâce aux brevets, les bénéfices attendus de leurs innovations et, surtout, cherchent à disposer d’une masse critique de technologies protégées pour s’assurer l’accès aux technologies de leurs concurrents dans des conditions financières optimales. Ces collections de brevets (patent pool) favorisent des collaborations entre grands acteurs technologiques qui les prémunissent d’une exclusion du marché faute d’accès à des technologies critiques (voir La rem n°21, p.29).
À cet égard, le dynamisme des déposants chinois s’explique en grande partie par la nécessité, pour le groupe Huawei, de mettre en œuvre rapidement un écosystème qui lui permette de s’émanciper de sa dépendance historique à Android (voir La rem n°57-58, p.96). Si la Chine se classe à la quatrième place des déposants en Europe, avec une hausse de 24 % du nombre de brevets déposés en un an, c’est essentiellement grâce à Huawei qui a déposé quelque 3 544 demandes de brevet sur les 16 665 demandes chinoises. Le groupe s’impose ainsi comme le premier déposant européen, devant le coréen Samsung.
Toutefois, les pratiques chinoises sont contestées en Europe. Si les groupes chinois semblent jouer la carte de la protection de l’innovation en multipliant les demandes de brevet, la Chine ne défend pas, selon la Commission européenne, une concurrence équitable reposant sur le respect des droits de la propriété intellectuelle. Cet argument, évoqué par les États-Unis pour justifier la guerre technologique avec la Chine, est désormais endossé par l’Union européenne de façon explicite puisqu’elle a déposé plainte contre la Chine, le 18 février 2022, auprès de l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Elle accuse la Chine de dissuader les entreprises européennes de traduire en justice les entreprises chinoises qui violent leurs brevets… sauf devant des tribunaux chinois. Les entreprises chinoises sont ainsi incitées à ne pas respecter les brevets des entreprises européennes, ce qui leur donne un avantage concurrentiel évident. En effet, les tribunaux chinois procéderaient, selon l’Union européenne, à des « injonctions antipoursuites » (anti-suit injunction) depuis que la Cour populaire suprême chinoise a autorisé ces mêmes tribunaux, en août 2020, à « interdire aux titulaires de brevets de saisir une juridiction non chinoise pour faire respecter leurs brevets ». Quatre injonctions de ce type ont été déjà prononcées avec des pénalités de 130 000 euros par jour. L’Union européenne, en saisissant l’OMC, espère trouver un accord avec la Chine, jusqu’alors impossible dans le cadre d’une procédure à l’amiable. Elle s’appuiera sur l’Adpic (Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, voté en 1994 dans le cadre des accords du GATT, Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) pour faire valoir les droits de ses entreprises.
Sources :
- « L’Union européenne lance une procédure contre la Chine devant l’OMC pour défendre son secteur de haute technologie », europa.eu, 18 février 2022.
- « L’Union européenne attaque de nouveau la Chine à l’Organisation mondiale du commerce sur la protection de brevets », Karl de Meyer, Les Échos, 21 février 2022.
- « La Chine perce dans les brevets en Europe », Emmanuel Egloff, Le Figaro, 5 avril 2022.