Accord sur les droits voisins, accord spécifique pour les nouveaux services : la solution retenue pour le lancement de Facebook News en France est répliquée par Google avec l’APIG et le SEPM.
En octobre 2021, Facebook avait signé un accord de rémunération au titre du droit voisin avec l’Alliance de la presse d’information générale (APIG), qui regroupe la presse nationale et régionale quotidienne et hebdomadaire (voir La rem n°60, p.5). Cet accord, qui légalise les pratiques du réseau social numérique en France pour le référencement des articles de presse, a été aussitôt complété par des accords commerciaux spécifiques avec une centaine de médias partenaires de l’APIG, mais aussi avec des éditeurs de presse et des chaînes de télévision, pour rendre possible le lancement de Facebook News.
Annoncé en janvier 2022, Facebook News aura finalement été lancé en France le 15 février 2022, donc après les États-Unis (où le service existe depuis 2020), l’Allemagne et le Royaume-Uni, où ont eu lieu les premiers lancements en Europe en 2021. Ce dispositif, avec deux contrats distincts – le premier au titre de la loi française du 28 juillet 2019 sur les droits voisins des éditeurs de presse ; le second, conclu dans un cadre commercial dédié à un service en particulier –, est en conformité avec ce que l’Autorité de la concurrence exige. Cette dernière a condamné Google à 500 millions d’euros d’amende le 13 juillet 2021, lui reprochant de ne pas avoir négocié de bonne foi avec l’APIG, parce qu’il a lié la rémunération au titre du droit voisin avec les perspectives commerciales associées au déploiement annoncé de son service d’information News Showcase en France.
Le lancement de Facebook News en France souligne les enjeux commerciaux inhérents à ce type de services. Facebook News est un onglet spécifique intégré au réseau social. Cet onglet se compose de deux parties : un espace d’actualités à la Une (le même pour tous les utilisateurs) et un fil d’information personnalisé qui propose des articles issus des médias partenaires. Aux États-Unis, selon Mathieu Fritsch, directeur des partenariats médias chez Meta France, 30 % du trafic issu de Facebook vient de l’onglet News pour les éditeurs partenaires et 88 % des clics proviennent d’internautes ne suivant pas la page du média sur Facebook. De ce point de vue, Facebook News permet aux éditeurs partenaires de toucher de nouveaux publics tout en augmentant leur audience issue du réseau social. Les éditeurs sont ensuite rémunérés par Facebook en fonction de leur audience en ligne et du nombre de leurs followers sur le réseau social. La Lettre A estime que les recettes issues de Facebook News et reversées aux membres partenaires de l’APIG seront de quelque 60 millions d’euros sur trois ans, soit la durée des contrats signés entre Meta et ses partenaires de presse. S’ajoutent à cette somme les montants que Meta versera à l’Agence France-Presse (AFP). Cette dernière sera en effet payée pour prendre en charge la curation des articles, parmi l’offre des partenaires, qui seront publiés dans la Une de Facebook News. Si Facebook a délégué à l’AFP cette sélection, qui repose par conséquent sur des journalistes et non des algorithmes – une solution possible car l’offre est la même pour tous les utilisateurs –, c’est essentiellement parce que le réseau social considère que les agences de presse sont des acteurs réputés « neutres ». Alors qu’il est souvent critiqué pour laisser prospérer la désinformation ou des propos extrêmement polarisés, Facebook a en effet pris l’habitude de s’appuyer sur les agences nationales de presse pour la curation de Facebook News. Ont été retenues la Deutsche Presse Agentur (DPA) et l’AFP, respectivement pour l’Allemagne et la France, en plus donc des contrats de fact checking qui lient déjà Facebook et l’AFP.
Le modèle Facebook devra donc être répliqué en France par Google qui a pour obligation de séparer les accords qu’il passe avec les éditeurs au titre du droit voisin et les accords spécifiques concernant ses services dédiés à l’information, dont News Showcase. Après un premier accord signé avec l’AFP en novembre 2021, Google s’est ainsi entendu avec l’APIG le 3 mars 2022 pour revoir ses engagements par rapport au premier accord conclu en janvier 2021 (voir La rem n°56, p.32), mais dénoncé depuis par l’Autorité de la concurrence. Le nouvel accord porte uniquement sur le droit voisin et l’accord-cadre de janvier 2021 a été amendé pour le restreindre au service News Showcase. Ce nouvel accord couvre Google Search, Google News et Google Discover ; il prévoit une rémunération des éditeurs au titre du droit voisin depuis l’entrée en vigueur de la loi en 2019. Il est donc rétroactif. La rémunération des éditeurs varie selon les titres car plusieurs critères sont pris en compte : l’audience du titre, le fait de proposer ou non de l’information politique et générale, les investissements consentis par l’éditeur dans la production d’information, lesquels sont mesurés par le nombre de cartes de presse dans la rédaction. Ce mode de calcul pénalisant les petits éditeurs, ces derniers bénéficient d’une compensation par l’intermédiaire d’un fonds de transition numérique financé par Google mais géré par l’APIG. Autant dire que Google a renoncé à sélectionner lui-même les projets qui méritent d’être financés, comme il l’avait fait dans le temps avec le Fonds d’aide pour l’innovation numérique de la presse, le FINP (voir La rem n°25, p.5). En revanche, avec les contrats passés pour News Showcase, Google décidera des titres dont il souhaite assurer la reprise sur son service d’information. C’est sur la base de cet accord avec l’APIG que Google est parvenu, le 14 avril 2022, à un accord avec le Syndicat des éditeurs de presse magazine (SEPM) pour la rémunération des liens vers leurs articles au titre du droit voisin. Selon Le Figaro, l’accord rapporterait aux 80 éditeurs concernés, qui représentent quelque 400 titres, environ 20 millions d’euros par an. Si le montant n’est pas très élevé par rapport au nombre de titres, c’est d’abord parce que Google a longtemps cherché à ne pas rémunérer les éditeurs qui ne proposent pas de l’information générale et politique, nombreux dans la presse magazine. Ce critère-là, au cœur même de l’alliance avec l’APIG, pénalise sans aucun doute les éditeurs concernés au sein du SEPM.
Sources :
- « Facebook News est disponible en France », Claudia Cohen, Chloé Woitier, Le Figaro, 15 février 2022.
- « Droits voisins : Google signe avec la presse d’information », Claudia Cohen, Le Figaro, 3 mars 2022.
- « Droits voisins : nouvel accord entre Google et les éditeurs », Fabienne Schmitt, Les Échos, 4 mars 2022.
- « Droits voisins : la presse magazine valide l’accord proposé par Google », Claudia Cohen, lefigaro.fr, 15 avril 2022.