CE, 8 avril 2022, 10e et 9e ch., n° 447701.
Une journaliste du quotidien Le Monde avait sollicité un organisme français certificateur pour que celui-ci lui transmette la liste des dispositifs médicaux auxquels a été délivré le marquage « Conformité européenne » (CE) et celle des dispositifs qui ne l’ont pas obtenu. Se heurtant à un refus, la journaliste et la société éditrice du journal ont saisi le tribunal administratif de Paris afin qu’il annule cette décision et qu’il ordonne la communication de ces deux listes.
Par un jugement du 15 octobre 2020, le tribunal a fait droit aux conclusions tendant à la communication de la liste des dispositifs ayant reçu le marquage « CE », et déjà mis sur le marché, mais il a rejeté l’autre demande.
Par leur pourvoi en cassation, les demanderesses interpellent le Conseil d’État pour qu’il annule le jugement et qu’il saisisse la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle concernant la conformité du droit français au regard des principes du droit européen tels qu’énoncés notamment par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et par la directive (UE) 2016/943, du 8 juin 2016, relative au secret des affaires.
Se fondant sur ces textes des droits français et européen, le Conseil d’État annule le jugement du tribunal « en tant qu’il a rejeté les conclusions […] relatives à la communication de la liste des dispositifs médicaux dont la certification « CE » a été refusée […] mais qui ont été mis sur le marché » et il rejette le surplus des demandes.
Appréciation au regard du droit français
L’article L. 311-1 du Code des relations entre le public et l’administration pose pour principe que les administrations « sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande ».
L’article L. 311-6 du même Code dispose cependant : « Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : 1° Dont la communication porterait atteinte […] au secret des affaires. »
Considérant que « le nom retenu par un fabricant pour désigner un dispositif médical est susceptible, par lui-même, de révéler sa nature », le Conseil d’État estime que « le tribunal administratif n’a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que les dispositions de l’article L. 311-6 […] protégeant le secret des affaires s’opposaient à la communication des informations demandées s’agissant de dispositifs médicaux non encore mis sur le marché ».
Appréciation au regard du droit européen
Référence est d’abord faite à la directive du 8 juin 2016, relative au secret des affaires, aux termes de laquelle une demande de protection doit être « rejetée lorsque l’obtention, l’utilisation ou la divulgation alléguée du secret d’affaires a eu lieu […] pour exercer le droit à la liberté d’expression et d’information ».
L’arrêt pose alors que « contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il résulte clairement de cette directive qu’elle ne comporte pas de règle en matière d’accès aux documents administratifs ». Il ajoute que si la directive interdit « aux États membres d’engager la responsabilité des journalistes lorsqu’ils portent atteinte au secret des affaires », elle n’a « ni pour objet ni pour effet de faire de ceux-ci des détenteurs légitimes […] d’informations portant atteinte à un tel secret ». En conséquence, « le tribunal administratif n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que les requérantes ne pouvaient utilement se prévaloir » de ladite directive « pour obtenir communication des documents litigieux ».
L’arrêt pose ensuite que si les stipulations de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales « n’accordent pas un droit d’accès à toutes les informations détenues par une autorité publique ni n’obligent l’État à les communiquer, il peut en résulter un droit d’accès à des informations détenues par une autorité publique lorsque l’accès à ces informations est déterminant pour l’exercice du droit à la liberté d’expression et, en particulier, à la liberté de recevoir et de communiquer des informations, selon la nature des informations demandées, de leur disponibilité, du but poursuivi par le demandeur et de son rôle dans la réception et la communication au public d’informations ». En l’espèce, il estime que « le refus de fournir les informations demandées constitue une ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression qui, pour être justifiée, doit être prévue par la loi, poursuivre un des buts légitimes […] et être strictement nécessaire et proportionnée ».
De cela, il est conclu que, conformément à ce qu’a jugé le tribunal, le refus de communication de la liste des dispositifs qui n’ont pas été mis sur le marché était légitime. En revanche, sont accueillies les conclusions « tendant à l’annulation du jugement » en ce qu’il « n’a pas fait droit à la demande […] s’agissant des dispositifs médicaux dont la certification « CE » a été refusée en France mais qui ont été mis sur le marché ».
Aucun droit n’étant absolu, un délicat équilibre, cause d’insatisfactions contraires, doit être établi entre le secret des affaires et le droit à l’information.