Télécoms : la concentration relancée en Europe, la souveraineté en question

Tower corp. en vente, internationalisation pour Iliad et Altice, arrivée des fonds d’investissement, Orange et MasMovil réunis en Espagne, Telecom Italia en cours de scission : des opérations majeures agitent le marché européen des télécommunications. Les opérateurs semblent en perdre progressivement le contrôle. Ils vendent leurs infrastructures et peinent à capter la valeur des services en ligne.

La crise sanitaire en 2020 a souligné combien les réseaux de communications sont essentiels parce qu’ils ont, en grande partie, contribué au maintien de l’activité en période de confinement. Elle a également rappelé que les opérateurs de télécommunications sont, grâce à leurs infrastructures, des éléments de la souveraineté européenne. Ces derniers ne s’y trompent pas qui profitent de cette prise de conscience pour formuler leurs attentes à l’égard des autorités. Chaque année, en France, la Fédération française des télécoms (FFTélécoms) produit ainsi une étude, confiée au cabinet Arthur D. Little, qui synthétise les enjeux du secteur. Présentée le 14 décembre 2021, celle-ci rappelle l’importance des investissements consentis par les opérateurs dans les réseaux fixes et mobiles, en hausse de 57 % en dix ans pour 11,5 milliards d’euros d’investissements en 2020. Cet investissement conséquent dans les infrastructures, qui a permis le déploiement rapide de la fibre optique sur le territoire et aujourd’hui de la 5G, répond à une hausse significative des usages numériques. À titre d’exemple, la consommation mensuelle de données 4G a triplé en quatre ans et représente 11,6 Go (gigaoctets) par mois et par abonné. Toutefois, malgré des investissements en hausse et une forte demande, la rentabilité des opérateurs n’est pas au rendez-vous. Ces derniers dénoncent des choix trop favorables à la concurrence et l’absence de partici­pation au financement des infrastructures de la part des services les plus gourmands en bande passante, notamment YouTube et Netflix. Plus récemment, une étude commandée par l’European Telecommuni­cations Network Operators’ Association (Etno), rendue publique le 2 mai 2022, synthétisait ces chiffres au niveau européen : Facebook, Amazon, Netflix et Google, les « Fang », occuperaient 55 % de la capacité totale des réseaux européens, une consommation de bande passante qui a obligé les opérateurs à investir 500 milliards d’euros en dix ans. Or, souligne l’étude, ces acteurs profitent des réseaux sans contribuer à leur financement, ce qui pénalise fortement les opérateurs qui ne captent pas la valeur créée pourtant par leurs infrastructures. Ainsi, entre 2015 et 2021, les revenus de ces quatre acteurs ont augmenté de 500 % quand ceux des opérateurs européens ont baissé de 7 %. De son côté, la capitalisation boursière des Fang a augmenté de 385 %, et celle des opérateurs a baissé de 40 %. L’Etno demande à l’Europe de favoriser, plutôt que d’entraver, la concentration entre les opérateurs et de mettre à contribution les géants du numérique. Il semble que le lobbying des opérateurs soit en train de porter ses fruits.

Concernant les règles anticoncentration, la Commis­sion européenne s’oppose, depuis 2016 et l’interdiction de la fusion entre les opérateurs britanniques Three et O2 (voir La rem n°38-39, p.42), à toute opération qui ferait passer de quatre à trois le nombre d’opérateurs dans un pays. Seuls les rapprochements entre opérateurs fixe et mobile sont autorisés au nom de la convergence. Or, le 28 mai 2020, le refus de la fusion entre Three et O2 a été dénoncé par le Tribunal de l’Union européenne au motif que le préjudice de la fusion pour les consommateurs n’a pas été suffisamment établi. Par ailleurs, la Commission est devenue plus sensible à la nécessité de soutenir les opérateurs européens au nom de ses politiques de souveraineté numérique. Ses décisions sont donc attendues, la première d’entre elles devant s’appliquer en Espagne où Orange tente un rappro­chement avec MasMovil. En ce qui concerne, cette fois-ci, la parti­cipation des Fang au financement des réseaux, un texte en préparation l’envisagerait tout en cherchant à concilier cette obligation nouvelle au respect du principe de la neutralité du net.

Mais il est peut-être déjà trop tard. Les opérateurs sont en train de perdre une grande partie du contrôle de leurs infrastructures, parce qu’ils ont dû les céder pour mieux les valoriser et pour mutualiser leurs coûts, à défaut d’avoir pu le faire grâce à des opérations de concentration. Ils sont également en train de perdre le contrôle de leur capital, sauf quand ils parviennent à sortir de la Bourse, car leur très faible valorisation boursière favorise les rachats par des fonds. La relance de la concentration est donc probable mais elle ne ramènera pas à l’ancienne situation où les opérateurs de télécommunications étaient les acteurs du déploiement des réseaux en Europe.

En effet, confrontés à d’importants investissements liés au déploiement du réseau 5G et de la fibre optique, les opérateurs optent, les uns après les autres, pour la session de leurs infrastructures dites « passives », c’est-à-dire les pylônes dans la téléphonie mobile et les câbles pour l’internet fixe. Ils ne conservent dans ce cas que les serveurs et les antennes, ces équipements intelligents qui rendent possibles l’offre commerciale et les services qui l’accompagnent. Ces cessions permettent de récupérer rapidement des fonds et de valoriser une partie de l’activité historique des opérateurs qui n’est pas reflétée dans leur cours en Bourse. En effet, les fonds sont friands des investissements dans les infrastructures télécoms qui garantissent des revenus récurrents sur le long terme, les opérateurs devant louer les pylônes qu’ils cèdent. Certes, ce phénomène existe aux États-Unis depuis les années 1990 et il ne pourrait s’agir que d’un alignement de la position des opérateurs européens. Toutefois, en Europe, le contexte réglementaire diffère. L’émiettement du marché entre une multitude d’opérateurs nationaux et l’interdiction des opérations de concentration au niveau national ont poussé les opérateurs à céder leurs infrastructures. Il s’agit en effet d’un moyen de contourner l’interdiction des fusions en mutualisant autrement les infrastructures de télécommunications : cette mutualisation passe par la cession à un tiers, lequel peut dans ce cas louer les infrastructures acquises à plusieurs opérateurs.

Cette logique-là explique l’émergence rapide de Cellnex, un géant des « tower co » en Europe qui s’est construit par une succession de rachats de pylônes auprès des opérateurs (voir La rem n°56, p.39). Fin 2020, Cellnex a ainsi racheté 24 600 tours à HK Hutchinson pour 10 milliards d’euros (pylônes au Royaume-Uni, en Irlande, en Italie, en Autriche, en Suède et au Danemark). En février 2021, moyennant 5,2 milliards d’euros, Cellnex a acheté au fonds d’inves­tissement KKR et à l’opérateur SFR les 10 500 tours d’Hivory, la société créée par Altice en France pour héberger ses pylônes. En mars 2021, Cellnex rachetait Pollkomtel Infrastruktura en Pologne, un pays où le groupe était déjà présent grâce à la reprise à Iliad d’une partie de l’entreprise qui héberge les tours de son opérateur mobile Play. Début 2022, Cellnex était ainsi présent dans douze pays européens et disposait de 102 000 pylônes, une taille qui en fait la première tower company européenne. Le groupe a encore les moyens de se développer, car ce sont désormais les pylônes des plus grands opérateurs européens qui sont cédés. En mars 2022, Reuters indiquait en effet que Deutsche Telekom, deuxième opérateur euro­péen en nombre d’abonnés, s’apprêterait à céder ses tours, soit 40 600 pylônes en Allemagne et en Autriche. Or, Cellnex n’est pas encore présent en Allemagne, ce qui lui permet d’envisager ce rachat sans devoir affronter les autorités de concurrence. La décision de Deutsche Telekom fait suite à celle de Telefonica et de Vodafone, qui se sont chacun séparés de leurs tours. En janvier 2021, Telefonica, troisième opérateur européen, a cédé ses pylônes à American Tower Corporation pour 7,7 milliards d’euros. De son côté, Vodafone, le premier opérateur européen, a fait entrer en Bourse Vantage Tower, la filiale qu’il a créée pour héberger ses tours. L’opération, lancée le 18 mars 2021, a permis à l’opérateur britannique de lever 2,3 milliards d’euros, Vodafone conservant 80 % de Vantage Tower. En France, Orange s’est à son tour résolu à placer ses tours dans une filiale dédiée, Totem, le 2 novembre 2021. Orange garde toutefois le contrôle du capital de sa filiale et pourrait participer, aux côtés de Cellnex et d’American Tower, au processus de consolidation du marché européen des infrastructures de télécommunications mobiles.

Les infrastructures pour l’internet fixe sont aussi concernées par les cessions. Des filiales sont ainsi créées qui permettent, là encore, de mutualiser les coûts du réseau entre opérateurs. C’est le pari de l’État italien qui, par l’intermédiaire de la Cassa Depositi e Prestiti (la Caisse des dépôts italienne), cherche à fusionner le réseau fixe de Telecom Italia (TIM) avec celui d’Enel (Open Fiber) – l’opérateur public italien détenant une participation dans les deux groupes, à hauteur de 9,8 % dans TIM et de 60 % dans Open Fiber. Vivendi, le premier actionnaire de Telecom Italia, a donné son accord à l’opération, qui passera par la scission de Telecom Italia en deux entités, dont NetCo qui regroupera le réseau fixe italien et les câbles sous-marins. En effet, parmi les infrastructures fixes, certaines sont plus stratégiques que d’autres car elles connectent un pays et ses opérateurs au reste de l’internet mondial. Il s’agit en l’occurrence des câbles sous-marins intercontinentaux. Or, sur ce segment de marché des infrastructures, les opérateurs européens ont en grande partie abdiqué.

Les opérateurs européens, qui demandent depuis les années 2010 que les grands acteurs du numérique contribuent au financement des réseaux (une demande renouvelée dans l’étude rendue publique par l’Etno), sont à l’évidence les perdants du bras de fer engagé avec les Gafam. Ces derniers dépendaient des câbles sous-marins des opérateurs de télécommunications depuis les débuts de l’internet. Ces infra­structures, en surcapacité, étaient même associées à l’éclatement de la bulle internet au début des années 2000 : les câbles internationaux vides de données en transit trahissaient le peu d’engouement des publics pour ce nouveau réseau. Or, dans les années 2000, la donne change. Les usages se banalisent et des géants du numérique émergent, comme Google et Facebook, lesquels vont très vite dépendre des connexions intercontinentales pour se développer. Leurs coûts de bande passante étant à la merci des opérateurs, Google, Facebook, ainsi que Microsoft, vont, dans les années 2010, construire leur auto­nomie stratégique en finançant le déploiement de leurs propres câbles sous-marins, parfois en partenariat avec des opérateurs, ces derniers étant en position minoritaire. Dix ans plus tard, ces nouveaux câbles, plus performants, l’emportent définitivement et les liaisons des opérateurs sont de moins en moins rentables. En outre, les géants du numérique s’appuient sur leurs offres de cloud computing, ce qui renforce encore l’importance stratégique de leurs infrastructures, un marché où les opérateurs de télécommunications ne sont pas parvenus à s’imposer. Enfin, les opérateurs de télécommunications sont presque totalement absents des nouveaux marchés internationaux liés à internet, à savoir les connexions par satellite. Après les projets d’internet par ballons atmosphériques (Loon, de Google), des services concrets ont émergé : la constellation de satellites en orbite basse de Starlink (Elon Musk) et celle de Kuiper (Amazon). Ce sont ces nouvelles constellations qui pourront, demain, connecter les continents et, peut-être, supplanter par endroits les réseaux fixes continentaux des opérateurs.

Ces fragilités nouvelles des opérateurs de télécommunications sont l’occasion d’opérations opportunistes. En effet, les opérateurs, très mal valorisés en Bourse, constituent des cibles prisées. C’est que leurs perspectives sont moroses : ils cèdent leurs réseaux mobiles pour financer des antennes 5G qui vont participer à l’accroissement du trafic, obligeant les opérateurs à louer demain de plus en plus de pylônes afin de densifier leur réseau ; les services qu’ils contribuent à développer en ligne captent la valeur ; ceux qu’ils proposent sont délaissés pour des offres concurrentes, notamment dans le cloud. Pourtant, ces opérateurs intéressent les fonds qui savent la consolidation inévitable, alors même que la position de la Commission européenne est en train d’évoluer : à la revente, la prime au sortant peut être très élevée ; s’ils sont acteurs de la consolidation, les fonds bénéficieront ensuite de la moindre pression concurrentielle. Les opérations menées par des fonds se multiplient donc en Europe, même si toutes n’aboutissent pas. Ainsi, KKR est en butte avec Vivendi après une proposition de rachat de Telecom Italia à 10,8 milliards d’euros faite en novembre 2021, ce qui aurait constitué la plus grosse opération en LBO (leverage buy-out, acquisition par endettement) en Europe. Aux Pays-Bas, l’opérateur historique KPN a rejeté deux offres de rachat en avril et mai 2021 provenant des fonds suédois EQT et américain KKR. Le 7 septembre 2021, le fonds britannique Apax Partners et le fonds américain Warburg Pincus trouvaient en revanche un débouché sur le marché néerlandais avec le rachat à Deutsche Telekom des 75 % détenus dans T-Mobile Netherlands, l’opérateur allemand récupérant ainsi 5,1 milliards d’euros pour financer son développement sur ses principaux marchés.

Au Royaume-Uni, Vodafone est une cible potentielle. Ailleurs en Europe, les fonds trouvent aussi des accords qui leur permettent de s’emparer des opérateurs. Il leur reste ensuite à valoriser leur investissement. Alors que les fonds KKR, Cinven et Providence avaient pris le contrôle de MasMovil en Espagne en 2020, moyennant 3 milliards d’euros, ils ont misé sur la consolidation du marché du mobile en Espagne, l’un des marchés les plus concurrentiels d’Europe. En mars 2021, MasMovil, quatrième opérateur mobile, a lancé une offre publique d’achat amicale sur Euskatel, le numéro cinq du marché, qui lui a permis d’atteindre une taille critique, proche de celle des numéros deux (Orange) et trois (Vodafone) du marché, mais loin encore du leader Telefonica (Movistar). Ce début de consolidation du marché a entraîné un second mouvement avec l’annonce, le 8 mars 2022, de négociations exclusives entre Orange Espagne et MasMovil pour la création d’une coentreprise détenue à parité, donnant ainsi naissance au nouveau numéro un du marché du mobile espagnol. Dans cette coentreprise, la valorisation de MasMovil est dix fois supérieure à celle de son Ebitda, contre 7,5 fois pour Orange Espagne. Les fonds ayant vocation à sortir de la nouvelle entité, la prime est donc acquise si la consolidation du marché permet une remontée des prix et des marges.

Menacés d’OPA du fait de leur faible valorisation, soumis à des obligations de rentabilité à court terme alors que le marché des télécommunications est une industrie qui repose sur des coûts fixes importants et des investissements de long terme, les opérateurs optent, quand ils le peuvent, pour une sortie de la Bourse. Il s’agit pour eux de retrouver des marges de manœuvre et de déployer des stratégies plus agressives, notamment quand il s’agit d’investir pour s’internationaliser. C’est tout particulièrement le cas des opérateurs français qui, avec un marché national figé à quatre acteurs, doivent aller chercher la croissance hors des frontières. Après Altice (SFR) qui a opté pour un retrait de la Bourse opéré début 2021 (voir La rem n°56, p.39), c’est Iliad (Free) qui a franchi le pas. Le 30 juillet 2021, Xavier Niel, son fondateur, annonçait sa volonté de racheter les 30 % du capital qu’il ne détient pas encore – Xavier Niel ayant déjà procédé à des rachats d’action fin 2019 afin de soutenir le cours en Bourse de l’opérateur. Au total, l’opération est estimée à 3,1 milliards d’euros, Xavier Niel ayant proposé 182 euros par action, soit une prime de 61 % par rapport au cours de l’action le jour précédent l’annonce. L’offre publique d’achat a été ouverte le 9 septembre 2021, Xavier Niel ayant préalablement obtenu l’aval des managers et dirigeants du groupe pour la cession de leurs actions. L’offre a donc abouti et les titres Iliad ont été radiés de la Bourse le 14 octobre 2021. Pour Xavier Niel, la valorisation d’Iliad ne reflète pas le dynamisme de son entreprise : le titre avait perdu 30 % sur la première moitié de 2021 alors que le groupe annonçait, en même temps que son projet de sortie de la cote, être rentable pour la première fois en Italie, un marché investi en 2018, et alors que l’opérateur s’était agrandi puisque Altice a racheté l’opérateur mobile polonais Play en septembre 2020.

Une fois sorti de la Bourse, Iliad s’est autorisé des investissements que les actionnaires auraient, sans nul doute, pu sanctionner. Au nom de la convergence, Iliad s’est mis d’accord, dès septembre 2021, avec Liberty Global pour lui racheter UPC Poland. Un an après avoir racheté l’opérateur mobile Play en Pologne pour 2,2 milliards d’euros, Altice débourse 1,5 milliard d’euros pour prendre le contrôle d’un réseau fixe en Pologne et s’imposer comme le deuxième acteur du pays derrière Orange Polska. L’objectif pour Iliad sera de faire basculer ses abonnés mobiles vers des offres fixe-mobile et vice versa. Cette stratégie a aussi été déployée en Italie : après avoir conquis plus de 8 millions de clients en trois ans, Iliad Italia a, le 25 janvier 2022, lancé l’Iliadbox, l’équivalent français de la Freebox sur le marché italien. La même stratégie sera reproduite en Pologne. En Italie, en revanche, Iliad ne contrôle pas de réseau fixe et a dû passer un partenariat avec Open Fiber à l’été 2020 et avec Telecom Italia à l’été 2021 pour accéder à leur réseau, moyennant donc une location des lignes ainsi commer­cialisées. Confiant dans les perspectives offer­tes par le marché italien, qu’Iliad est en train de restructurer en profondeur grâce à sa politique de prix très agressive, l’opérateur a même proposé à Vodafone Italie de le racheter en février 2022. Or, Vodafone Italie est leader sur le marché du mobile en Italie, le nouvel entrant qu’est Iliad Italia visant donc la première place. Finalement, l’offre a été rejetée par la maison mère qui considère les 11,25 milliards d’euros proposés comme insuffisants. Reste que Vodafone envisage de se retirer du marché italien, trop peu rentable, un accord n’étant pas à exclure à l’avenir. Au moins cette offre souligne-t-elle qu’Iliad entend désormais participer à l’émergence d’acteurs européens intégrés dans les télécommunications.

La même logique d’internationalisation caractérise depuis longtemps Altice qui, après s’être imposé en France, a multiplié les rachats d’opérateurs à l’étranger (voir La rem n°48, p.51). Alors que le groupe est très endetté – à hauteur de quelque 30 milliards d’euros (hors Altice USA qui est cotée) –, des projets de cessions sont évoqués dans la presse, notamment celle de l’opérateur portugais Meo, racheté en 2014 pour 7,4 milliards d’euros (voir La rem n°33, p.31). Certes, Altice a cédé depuis une grande partie des actifs détenus par ses opérateurs après avoir filialisé leurs infrastructures. À titre d’exemple, au Portugal, les tours de téléphonie mobile de l’ex-Portugal Telecom ont été cédées pour 2,3 milliards d’euros à Cellnex en 2020. Finalement, c’est l’inverse qui s’est produit. En juin 2021, Altice BT, une structure contrôlée par Patrick Drahi mais distincte d’Altice Europe, a pris 12,1 % de l’opérateur historique BT au Royaume-Uni, au même niveau que son premier actionnaire, Deutsche Telekom. L’opération est estimée à 2,2 milliards de livres (2,55 milliards d’euros), l’objectif de Patrick Drahi étant de bénéficier des perspectives de croissance liées à l’immense plan fibre qu’a lancé le Royaume-Uni, très en retard. Or, sur ce marché, BT a clairement l’avantage sur ses concurrents Virgin et TalkTalk. Le 14 décembre 2021, Altice UK a confirmé être monté à 18 % du capital de BT, soit un investissement supplémentaire de 1,1 milliard d’euros dans l’opérateur, ce qui fait d’Altice UK son premier actionnaire. En cas de rachat des parts de Deutsche Telekom (12 %), Altice UK atteindra alors le seuil des 30 % du capital qui impose le déclenchement d’une OPA. Pour l’instant, le statu quo prévaut, même si des évolutions sont attendues. Le réseau fixe de BT, OpenReach, a une valeur élevée, potentiellement supérieure à la valorisation en Bourse de l’opérateur. À l’inverse, pour les services vendus aux abonnés, et alors que BT cherche à limiter les coûts associés à ses chaînes sportives (voir supra), l’opérateur doit faire face à la nouvelle offre convergente de Virgin et de O2 (voir La rem n°54, p.51), les deux opérateurs ayant été autorisés à fusionner par la Competition & Markets Authority en avril 2021.

Ailleurs en Europe, d’autres opérations ont lieu qui jouent, comme Virgin et O2, la carte de la concurrence. Quand elles sont menées par les grands opérateurs européens, elles contribuent à l’intégration du marché européen. Ainsi, Orange, après avoir racheté Telekom Romania en 2020 pour l’associer à son offre mobile dans le pays, a reproduit la même stratégie en Belgique, l’un des derniers pays où le groupe ne disposait pas d’une offre convergente. Dans un premier temps, Orange a tenté de prendre le contrôle total de sa filiale Orange Belgium par l’intermédiaire d’une OPA lancée le 8 avril 2021. Mais Orange n’est pas parvenu à convaincre tous ses actionnaires, dont le fonds Polygon (5 % du capital), qui considère la proposition d’Orange comme insuffisante parce qu’elle ne prend pas en compte le potentiel de valorisation des pylônes de l’opérateur si ceux-ci venaient à être cédés. Las, l’OPA n’a pas abouti, même si Orange a réussi à augmenter sa participation dans Orange Belgium de 53 % à 77 % du capital. Au moins le groupe français dispose-t-il désormais d’une confortable majorité pour présider aux destinées de l’opérateur. Le 23 novembre 2021, Orange Belgium a annoncé être entré en négociations exclusives avec Nethys pour lui racheter 75 % du capital de Voo, l’un des câblo-opérateurs belges, un accord définitif ayant été scellé en décembre 2011. Orange Belgium va donc à son tour devenir un opérateur convergent, plus à même de résister à Proximus et Telenet sur le marché belge.

Sources :

  • « Cellnex prévoit 9 milliards d’euros d’acquisitions », Raphaël Balenieri, Les Échos, 1er mars 2021.
  • « Vodafone lève 2,3 milliards avec l’IPO de Vantage Tower », Ninon Renaud, Les Échos, 19 mars 2021.
  • « La consolidation des télécoms se concrétise enfin en Espagne », Sébastien Dumoulin, Les Échos, 30 mars 2021.
  • « L’opérateur néerlandais KPN est à nouveau l’objet de convoitises », Sébastien Dumoulin, Les Échos, 9 avril 2021.
  • « L’OPA d’Orange sur sa filiale belge tourne au bras de fer avec le fonds Polygon », Raphaël Balenieri, Les Échos, 14 avril 2021.
  • « Les achats de Cellnex dans le viseur des régulateurs », Raphaël Balenieri, Les Échos, 19 avril 2021.
  • « Orange échoue à mettre la main sur 100 % de sa filiale belge », Sébastien Dumoulin, Les Échos, 7 mai 2021.
  • « Altice réfléchit à céder Meo, son opérateur portugais », Sébastien Dumoulin, Les Échos, 31 mai 2021.
  • « Altice s’invite au capital de l’opérateur de télécoms britannique BT », Elsa Bembaron, Le Figaro, 11 juin 2021.
  • « Patrick Drahi devient le premier actionnaire de BT au Royaume-Uni », Raphaël Balenieri, Les Échos, 11 juin 2021.
  • « Les raisons du désamour entre les télécoms et la Bourse », Sébastien Dumoulin, Raphaël Balenieri, Les Échos, 2 août 2021.
  • « Xavier Niel lance une OPA sur Iliad pour retirer Free de la Bourse », Raphaël Balenieri, Les Échos, 10 septembre 2021.
  • « Iliad poursuit sa conquête de l’Europe en rachetant UPC Poland », Sébastien Dumoulin, Thomas Pontiroli, Les Échos, 23 septembre 2021.
  • « Orange lance Totem et ouvre ses tours mobiles aux autres opérateurs », Raphaël Balenieri, Les Échos, 3 novembre 2021.
  • « Telecom Italia : l’offre de KKR vue avec une neutralité bienveillante par Rome », Olivier Tosseri, Les Échos, 23 novembre 2021.
  • « Orange s’apprête à racheter le câblo-opérateur belge Voo », Sébastien Dumoulin, Les Échos, 24 novembre 2021.
  • « Vivendi ouvre la porte à une prise de contrôle par Rome du réseau fixe de Telecom Italia », N.R., Les Échos, 6 décembre 2021.
  • « Les télécoms en quête de nouveaux revenus », Elsa Bembaron, Le Figaro, 15 décembre 2021.
  • « Patrick Drahi se rend incontournable chez l’opérateur britannique BT », Raphaël Balenieri, Sébastien Dumoulin, Les Échos, 15 décembre 2021.
  • « Télécoms : l’Europe se prépare à une vague d’acquisitions en 2022 », Sébastien Dumoulin, Les Échos, 29 décembre 2021.
  • « Iliad lance sa box en Italie », Olivier Tosseri, Sébastien Dumoulin, Les Échos, 26 janvier 2022.
  • « Free veut être leader en Italie avec le rachat de Vodafone », Valérie Segond, Le Figaro, 10 février 2022.
  • « Vodafone rejette l’offre à 11 milliards de Xavier Niel sur sa filiale italienne », Sébastien Dumoulin, Les Échos, 11 février 2022.
  • « Telecom Italia se scinde pour sortir de la crise », Valérie Segond, Le Figaro, 4 mars 2022.
  • « Orange veut fusionner avec MasMovil en Espagne », Sébastien Dumoulin, Les Échos, 9 mars 2022.
  • « Deutsche Telekom lance la consolidation européenne des pylônes », Sébastien Dumoulin, Les Échos, 15 mars 2022.
  • « Telecom Italia prêt à négocier une nouvelle offre de rachat avec KKR », Olivier Tosseri, Les Échos, 15 mars 2022.
  • « Le géant des tours télécoms American Tower tisse sa toile en Europe », Raphaël Balenieri, Les Échos, 31 mars 2022.
  • « Les télécoms perdent de leur souveraineté », Elsa Bembaron, Le Figaro, 6 avril 2022.
  • « Les géants américains font main basse sur les câbles sous-marins et les satellites », Elsa Bembaron, Le Figaro, 25 avril 2022.
  • « Europe internet ecosystem : socio-economic benefits of a fairer balance between tech giants and telecom operators », Axon, for ETNO, May, 2022.
  • « Bruxelles veut faire rémunérer les réseaux télécoms par les Gafam », Derek Perrotte, Sébastien Dumoulin, Les Échos, 4 mai 2022.
  • « Télécoms : les Gafa devront participer aux investissements », Enguérand Renault, Le Figaro, 5 mai 2022.

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