Puces : l’Europe veut rester souveraine

L’Europe a son Chips Act et des subventions pour attirer de nouvelles fonderies. L’Allemagne rafle la mise avec quatre projets d’usines.

Le 18 avril 2023, le Parlement européen et les représentants des vingt-sept États membres se sont mis d’accord sur le périmètre du Chips Act, l’équivalent européen des grands plans américain et chinois dans le domaine des semi-conducteurs. Les pénuries post-Covid, la dépendance au marché asiatique pour la production de puces, l’enjeu stratégique des semi-conducteurs nécessaires aux technologies de rupture (intelligence artificielle, technologies vertes) auront ainsi conduit l’Europe à revenir sur la priorité donnée aux politiques de concurrence. C’est là toute l’originalité du Chips Act européen : le projet doit mobiliser des fonds conséquents, quelque 43 milliards d’euros, mais il autorise surtout les États membres à distribuer des subventions pour faciliter l’installation de nouvelles lignes de production. Autant dire que les éventuelles distorsions générées entre « grands » et « petits » États, entre ceux capables d’aider et ceux aux poches vides, passent au second plan, l’impératif de la réindustrialisation étant devenu prioritaire.

L’Europe ne peut pas, en effet, se prévaloir d’un bon bilan. Alors qu’elle fait partie des meilleurs pour la recherche et développement, sa place dans la fabrication et l’assemblage des semi-conducteurs est loin des premiers rangs, ce qui se traduit par un déficit commercial de 20 milliards d’euros en 2021 dans ce secteur. L’Europe ne fabrique que 9 % des semi-conducteurs mondiaux, et pas les plus avancés, et elle n’en assemble que 4 %. À l’inverse, Taïwan assemble et fabrique 19 % des semi-conducteurs dans le monde, dont 90 % des semi-conducteurs les plus avancés. Si l’Europe ne peut pas espérer devenir autonome, au moins doit-elle limiter sa dépendance. Le Chips Act espère ainsi avoir pour conséquence de faire passer la part de l’Europe sur le marché mondial des semi-conducteurs de 10 % en 2022 à 30 % en 2030. Cela suppose des investissements très rapides car la construction des lignes de fabrication est un long processus. En la matière, les « grands » pays sont partis pour être les mieux servis parce qu’ils ont les moyens de soutenir massivement les installations d’usines et de leur assurer des débouchés.

Certes, la France peut se réjouir d’avoir convaincu l’américain Global Foundries de s’associer à STMicroelectronics pour créer en Isère une nouvelle ligne de production de semi-conducteurs, moyennant quelque 5,7 milliards d’euros. Mais c’est l’Allemagne qui s’en sort le mieux. Elle accueille d’ores et déjà quatre projets d’usines, tous bénéficiaires de subventions publiques. En juin 2021, une première usine Bosch a été inaugurée à Dresde, à laquelle s’ajoutent les futures usines de Wolfspeed, d’Intel et d’Infineon. L’opération la plus emblématique est celle portée par Intel qui a annoncé la construction de deux usines à Magdebourg pour 17 milliards de dollars. Mais Intel se plaint de la hausse des coûts de l’énergie depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Tandis que le projet devait bénéficier d’une subvention de 6,8 milliards d’euros, le gouvernement allemand envisage de hisser celle-ci à 10 milliards d’euros en échange d’une usine aux capacités plus importantes. Ce projet est critiqué par les industriels allemands de l’automobile qui n’utilisent pas le type de puces produit par Intel. C’est donc Infineon qui sécurisera leur approvisionnement puisque le groupe allemand a obtenu 5 milliards d’euros de subventions pour une nouvelle usine à Dresde. Au moins ces annonces confirment-elles deux choses : l’industrie des semi-conducteurs est partout subventionnée, y compris en Asie, et elle se localise là où elle a des débouchés. Créer un écosystème performant est donc nécessaire, ce qui explique pourquoi l’Allemagne attire les usines. Elle a ensuite les clients pour acheter les puces… C’est moins vrai pour d’autres pays d’Europe où la désindustrialisation est bien avancée.

Sources :

  • Nathalie Steiwer, « Infineon lance son projet d’usine de semi-conducteurs à 5 milliards », Les Échos, 17 février 2023.
  • Nathalie Steiwer, « Intel : Berlin ferait pression pour élargir le projet de méga-usine en Allemagne », Les Échos, 14 avril 2023.
  • Raziye Akkoc, « Accord dans l’UE pour doper la production de semi-conducteurs », AFP, 18 avril 2023.
  • Lucas Mediavilla, « Puces : l’Europe veut rattraper son retard » , Le Figaro, 19 avril 2023. 
Alexandre Joux, directeur de l'Ecole de journalisme et de communication d'Aix-Marseille (EJCAM), Aix-Marseille Université, IRSIC (Institut de recherche en sciences de l'information et de la communication)

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