Aux États-Unis, Skydance s’empare de Paramount

Un nouveau studio de cinéma, Skydance, rachète l’un des plus vieux, la Paramount, fragilisé par ses activités dans la télévision et sa conversion au streaming.

«Content is king », cette phrase en forme de slogan est attribuée à Summer Redstone, le fondateur de l’actuel groupe Paramount Global. Ce gigantesque conglomérat des médias aux États-Unis a dans ses actifs l’un des premiers studios nés à Hollywood, la Paramount, à qui l’on doit notamment Titanic, mais aussi des chaînes du câble à forte notoriété : le réseau CBS, MTV, Comedy Central, Nickelodeon, enfin des services de streaming vidéo, qu’ils soient payants (Paramount+) ou financés par la publicité (Pluto TV). L’ensemble est pourtant lesté d’une dette de près de 15 milliards de dollars.

Comme nombre d’anciens acteurs de la télévision aux États-Unis, Paramount Global est pénalisé par la réorganisation du marché de la distribution des programmes audiovisuels autour du streaming. Le groupe s’appelle d’ailleurs Paramount Global depuis décembre 2019 après que Shari Redstone, l’actuelle héritière de Summer Redstone, décédée en 2020, a fusionné de nouveau les deux actifs contrôlés par sa famille : Viacom et CBS. En optant pour le nom du studio mythique d’Hollywood et en abandonnant les marques venues de la télévision, Viacom étant connu pour ses chaînes du câble et CBS dans la télévision en clair, c’est la fin d’un monde qu’il annonçait (voir La rem n°52, p.70).

Le contenu est de nouveau le roi, notamment sur les services de streaming vidéo, quand les activités des chaînes payantes, autrefois très rémunératrices, sont menacées par le cord cutting, le phénomène de désabonnement aux offres très chères du câble aux États-Unis. Quant aux chaînes en clair, elles perdent elles aussi des parts de marché publicitaire parce que la consommation se fait de plus en plus à la demande, sur les services d’AVOD ou sur YouTube où migre une partie de la publicité télévisuelle,

qui devient « digitale ». Les studios Showtime et Nickelodeon dans la production audiovisuelle ou la Paramount dans le cinéma sont donc désormais stratégiques, même si leur contribution au chiffre d’affaires du groupe est relativement faible. Ils disposent des catalogues dont ont besoin les services de streaming. Leurs activités de création sont les seules capables de produire les originals qui fidélisent les abonnés aux services de streaming. Mais ces derniers rapportent moins que les chaînes du câble, et l’AVOD ne permet pas encore de compenser sur le marché publicitaire les pertes constatées sur les chaînes en clair. Dès lors, des groupes comme Paramount Global se retrouvent confrontés à un effet de ciseau qui fait gonfler leur endettement : dépenser plus dans la production et dans les nouveaux modes de distribution, la SVOD et l’AVOD, pour exister demain sur le marché, mais en investissant dans un premier temps à perte alors que les revenus tirés des activités traditionnelles sont en baisse et ne permettent plus de financer en entier la transformation du groupe (voir La rem n°67, p.88). À titre de comparaison, en mai 2024, Disney chutait en Bourse face à des actionnaires impatients de voir les activités de streaming prendre le relais. En août 2024, Disney+ est enfin devenu rentable, le service ayant été lancé en 2019 avec l’un des catalogues les plus riches au monde… Pour Paramount Global, ce n’est pas encore le cas : les pertes s’accumulent. Après avoir cédé des actifs éloignés du cœur d’activité du groupe, ainsi de l’éditeur Simon & Schuster (voir La rem n°67, p.83), Shari Redstone s’est donc résolue à une cession de l’ensemble de sa participation dans Paramount, logée dans la holding familiale National Amusements, qui détient 10 % des actions de Paramount Global mais 77 % des droits de vote.

D’emblée, l’offre de Skydance s’est imposée même si le studio de cinéma, fondé en 2010 par David Ellison, qui dispose du soutien de son père milliardaire, Larry Ellison, le fondateur d’Oracle, est certes plus petit que Paramount Global. Mais la valeur de l’ensemble Paramount Global a été divisée par quatre depuis sa création en 2019 quand Skydance est performant. Skydance, associé au fonds Redbird Capital, a pu ainsi entrer en négociations exclusives avec Paramount Global avant que cette première offre ne soit abandonnée en juin 2024 sous la pression des actionnaires minoritaires. D’autres solutions semblaient émerger, notamment la perspective d’un rachat par Sony, associé au fonds Apollo. Sony étant un acteur non américain, le rachat de CBS lui était impossible, ce qui supposait une transaction complexe.

Finalement, les négociations ont repris avec Skydance et un accord a été trouvé le 7 juillet 2024 pour un investissement global de 8 milliards de dollars. La famille Ellison et Redbird Capital reprennent dans un premier temps, pour 2,4 milliards de dollars, la holding National Amusements et ses droits de vote dans Paramount Global, qui sera fusionné avec Skydance dans un second temps. À cette fin, 4,5 milliards de dollars seront investis pour racheter les parts des autres actionnaires. S’ajoute un investissement de 1,5 milliard de dollars directement dans le capital de Paramount Global afin de faire baisser son niveau d’endettement. Le nouvel ensemble aura une valorisation globale d’environ 28 milliards de dollars, Skydance étant valorisé à hauteur de 4,75 milliards de dollars lors de l’annonce. Un délai de quarante-cinq jours a toutefois été laissé aux actionnaires de Paramount Global pour répondre à une éventuelle offre mieux-disante. Une offre alternative fut alors portée par Edgar Bronfmann Jr., héritier de Seagram et ancien propriétaire d’Universal, qu’il avait revendu à Vivendi en 2008. Finalement, l’offre n’a jamais été déposée et celle de Skydance s’est définitivement imposée.

Le 5 septembre 2024, la montée au capital de la famille Ellison dans National Amusements a été notifiée à la Federal Communications Commission (FCC), son autorisation préalable étant nécessaire avant la prise de contrôle effective de Paramount Global. Restera ensuite à David Ellison, comme il l’a annoncé, d’augmenter le chiffre d’affaires de Paramount+ et des activités publicitaires du groupe grâce à de meilleurs outils technologiques, qu’il s’agisse des algorithmes de recommandation des contenus ou du ciblage des profils publicitaires. Il est certain, en revanche, qu’imposer Paramount+ et Pluto TV sera difficile dans un marché du streaming vidéo saturé par les nouvelles offres et capté déjà en grande partie par le trio Netflix-Disney-Amazon. D’ailleurs, en France, Paramount+ s’est résolu à être distribué par défaut avec les abonnements à MyCanal depuis août 2024, ceci afin d’accéder à un socle minimal d’abonnés, quand son offre distribuée en propre ne lui aurait probablement pas permis de s’imposer assez vite sur le marché. Pluto TV est repris de son côté dans M6+.

Sources :

  • Le Billon Véronique, « Paramount en quête d’un nouveau destin pour se relancer », Les Échos, 13 mai 2024.

  • Loignon Stéphane, « Paramount dans l’inconnu après le rejet de l’offre de Skydance », Les Échos, 13 juin 2024.

  • Sallé Caroline, « En rachetant l’empire Paramount Global, Skydance signe la fin d’une ère à Hollywood », Le Figaro, 9 juillet 2024.

  • Loignon Stéphane, « David Ellison, le nouveau magnat d’Hollywood qui veut relancer Paramount », Les Échos, 28 août 2024.

  • Loignon Stéphane, « Paramount : Bronfman se retire et ouvre la voie à Skydance », Les Échos, 28 août 2024.

  • Pargamin David, « Nouveau roi d’Hollywood ? Le milliardaire Larry Ellison s’offre les studios Paramount », challenges.fr, 6 septembre 2024.

Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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