Scénaristes d’Hollywood : 101 jours de grève pour un accord qualifié « d’historique »

Le travail a repris à Hollywood depuis la mi-février à la faveur d’une nouvelle convention collective entre scénaristes et producteurs, qui entérine l’importance d’Internet dans l’économie du cinéma et de la télévision.

Débutée le 5 novembre 2007, la grève a finalement débouché sur un accord permettant aux scénaristes « d’entrer dans le 21e siècle » selon l’expression de Michael Winship, président de la Writers Guild of America East. A New York comme à Los Angeles, 92,5 % des auteurs syndiqués de la WGA ont voté le 12 février 2008 pour la reprise du travail, après avoir obtenu la renégociation de leur contrat avec les producteurs de cinéma et de télévision, regroupés au sein de l’AMPTP (Alliance of Motion Picture and Television Producers). Ce conflit, qui fut le plus important dans ce secteur depuis vingt ans, portait sur la prise en compte par les producteurs, dans le calcul des droits d’auteur, de l’exploitation des œuvres sur les nouveaux supports numériques (voir le n° 5 de La revue européenne des médias, Hiver 2007-2008). C’est un succès pour la WGA qui a obtenu d’une part, le doublement des droits d’auteur pour les films et les séries vendus en ligne (soit 0,7 % du prix de vente) et, d’autre part, l’octroi de rémunérations, quasi inexistantes jusque-là, pour la diffusion et la rediffusion gratuites des séries sur ces plates-formes numériques. La nouvelle convention collective d’une durée de trois ans prévoit un forfait de 1 200 dollars par programme d’une heure et, par an, durant les deux premières années de diffusion gratuite sur un support numérique, ainsi que 2 % des revenus du distributeur la troisième année. En janvier 2008, la renégociation des contrats des réalisateurs regroupés au sein de la DGA (Directors Guild of America) avait échoué sur ce point. En outre, le tarif syndical minimum des scénaristes est augmenté de 3,5 % et s’applique également, désormais, aux auteurs de contenus exclusivement dédiés aux médias numériques. En revanche, la WGA n’a obtenu gain de cause ni sur l’augmentation des droits d’auteur sur les ventes de vidéos et de DVD, ni sur la réduction du délai de lancement (17 jours minimum) d’un programme en streaming (en lecture seulement) sur Internet, durant lequel les scénaristes ne touchent rien, rendant selon certains le contrat « inopérant ». La production des émissions de téléréalité et des dessins animés est maintenue hors du champ de compétence de la WGA.

Selon l’Agence pour le développement économique de la région basée à Los Angeles, le manque à gagner dû à la grève est estimé au moins à 650 millions de dollars de salaires non perçus par les scénaristes et autres employés de l’industrie cinématographique et télévisuelle, et à plus de 1 milliard de dollars pour l’ensemble des secteurs connexes.

A quelques exceptions près, la grève n’aura pas eu de conséquences irréversibles sur la programmation des chaînes européennes, puisque celles-ci diffusent les productions américaines avec plusieurs mois de retard. Il n’en va pas de même pour les chaînes américaines dont l’audience a baissé. Entre six et huit semaines sont nécessaires pour renouveler les stocks de programmes. Alors que certaines séries seront à nouveau programmées à l’automne, d’autres sont d’ores et déjà définitivement abandonnées, soit parce qu’elles n’ont finalement pas eu le temps de s’installer à l’antenne, soit parce qu’elles nécessitaient des productions trop complexes. Tout le monde, par voie de conséquence, ne retrouvera pas de travail. La grève pourrait avoir des effets collatéraux inattendus à moyen terme. D’une part, les chaînes envisageraient de réduire le nombre de projets en développement et, par conséquent, le nombre de pilotes pour l’écriture desquels les scénaristes sont rémunérés. D’autre part, les networks qui subissent une baisse non négligeable de leur audience depuis une dizaine d’années – mais non significative pendant la grève – pourraient miser davantage sur des émissions de téléréalité, à l’instar de la Fox qui enregistre les moins mauvais résultats. Ces programmes aux coûts de production moindres ont bien occupé l’antenne pendant la grève. Reste la question : les gains obtenus par le syndicat des scénaristes pour l’exploitation des contenus sur les médias numériques compenseront-ils la perte de revenus due aux changements de stratégie des diffuseurs ?

Depuis le 15 avril 2008, les acteurs qui se sont montrés solidaires des scénaristes lors de leur mouvement ont entamé à leur tour des négociations avec le syndicat des producteurs de cinéma et de télévision (AMPTP) pour le renouvellement de leur contrat sur les sept prochaines années, l’échéance étant le 30 juin 2008. Principal syndicat américain des comédiens, la Screen Actors Guild (SAG), forte de 120 000 adhérents, revendique elle aussi une part des revenus générés par la diffusion des œuvres sur Internet et autres supports numériques ainsi qu’une augmentation des droits sur les ventes de DVD. Les discussions sont interrompues depuis le 6 mai 2008. Afin de gagner du temps, les majors ont entamé des négociations le 7 mai 2008 avec un autre syndicat, l’American Federation of Television & Radio Artists (Aftra) qui compte 70 000 membres. Le dialogue avec la SAG devait reprendre à la fin du mois de mai 2008. Sous la menace d’une grève pour le mois de juillet, il y a urgence pour les producteurs, la production des séries 2008-2009 accusant déjà un gros retard.

Sources :

  • « Un accord entre scénaristes et producteurs devrait sortir Hollywood de la paralysie », Claudine Mulard, Le Monde, 12 février 2008.
  • « Les scénaristes américains toucheront des droits sur Internet », Frantz Grenier, journaldunet.com, 12 février 2008.
  • « Writers Vote To End Three-Month Strike », David Goetzl and Wayne Friedman, MediaDailyNews, publication.mediapost.com, Feb 13, 2008.
  • « Reviens, série : tout est oublié », Isabelle Duriez, Libération, 19 février 2008.
  • « Lendemain de grève. L’avenir des scénaristes américains dans les nouveaux médias », Cloé Korman, nonfiction.fr, 28 mars 2008.
  • « Fin de la grève des scénaristes aux Etats-Unis », Sandrine Butteau et Olivier Daube, Coast to Coast, n° 53, Services culturels des ambassades de France aux Etats-Unis et au Canada, mediamerica.com, février 2008.
  • « Les acteurs américains veulent toucher des droits sur le Web », Benoît Méli, journaldunet.com, 14 mai 2008.
Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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