Une stratégie européenne pour les données

Vers un espace européen des données

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a présenté au Parlement européen, le 19 février 2020, les ambitions de l’Union européenne s’agissant de l’utilisation des données et de l’intel­ligence artificielle. De nombreux domaines sont concernés, la cybersécurité, les infrastructures critiques, les compétences, la formation et l’éducation au numérique, mais également la démocratie ou encore les médias.

Le rapport détaille la stratégie que la Commission souhaite mener afin que l’Europe devienne un acteur majeur de l’économie des données, en créant un « espace européen des données ». La Commission ambitionne d’ouvrir « un marché unique des données, pour mobiliser les données inutilisées, en autorisant leur libre circulation dans l’Union et entre les secteurs, au bénéfice des entreprises, des chercheurs et des administrations publiques ». Il s’agit de favoriser la libre circulation des données, notamment industrielles, entre les États membres et les entreprises, tout en sécurisant les données personnelles et les données publiques conformément aux règles et valeurs de l’Union européenne. À compter de 2022, un budget de 4 à 6 milliards d’euros servira au développement d’une infrastructure d’informatique en nuage afin d’assurer la souveraineté de l’Union européenne face aux géants américains de l’internet. Ce cloud computing européen va fédérer les infrastructures nationales des États membres et ainsi « soutenir la transformation de l’économie européenne ».

Selon un rapport IDC de 2018, cité par la Commission, « le volume des données produites dans le monde est en croissance rapide et devrait passer de 33 zettaoctets en 2018 à 175 zettaoctets en 2025 » – un gigaoctet équivalant à 109 octets et un zettaoctet à 1021 octets. Comment faire un meilleur usage de ces données qui « constituent la base de nombreux produits et services nouveaux à l’origine de gains de productivité et d’efficacité dans l’utilisation des ressources dans tous les secteurs de l’économie, permettant de proposer des produits et des services plus personnalisés, d’améliorer l’élaboration des politiques et de moderniser les services publics » ?

Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive « pour une Europe adaptée à l’ère du numérique », aux côtés de Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, détaille la diversité des données sur lesquelles l’Europe doit bâtir une stratégie numérique, en donnant notamment de la valeur « aux données de mobilité rendues anonymes ou aux données météorologiques recueillies par des avions de ligne, aux images satellitaires, mais aussi aux données industrielles et commerciales allant de la performance des moteurs à la consommation d’énergie. Ce type de données à caractère non personnel peut aider à concevoir et développer de nouveaux produits et services plus efficaces et plus durables. Elles peuvent être reproduites à un coût pratiquement nul. Aujourd’hui encore, 85 % des informations que nous produisons sont inutilisées. Il faut que cela change ».

Pour y parvenir, le rapport note qu’un certain nombre de défis restent à relever, parmi lesquels la disponibilité des données dont la valeur tient à leur utilisation et réutilisation, et insiste tout particulièrement sur celles qui sont générées par le secteur public. La Commission souhaite ainsi, d’ici au dernier trimestre 2020, offrir un cadre législatif générique pour assurer une gouvernance des « espaces européens communs des données », afin d’inciter le partage transfrontalier de données, notamment dans les domaines de l’industrie manufacturière, des données relatives au pacte vert, à la mobilité, à la santé ou encore à l’énergie. Dès le premier trimestre 2021, davantage de « données du secteur public de haute qualité » seront mises à la disposition des entreprises, y compris des PME. La Commission envisage également de légiférer pour mettre en place des « incitations au partage transsectoriel des données ».

Il s’agit pour l’Europe de trouver sa place entre les États-Unis et la Chine, et d’afficher clairement ses ambitions en matière de stratégie numérique. Elle devra à la fois gagner en autonomie vis-à-vis des Gafam et proposer un modèle vertueux éloigné de la dictature électronique qu’est devenue la Chine. Pour rester dans la course entre ces deux leaders, l’Europe n’a pas d’autre choix que de pleinement se lancer dans cette « économie fondée sur les données » en se différenciant par une approche respectueuse de l’usage des données à caractère personnel.

Ces annonces coïncident avec l’arrivée prochaine de la 5G, dont l’architecture technique va engendrer de nouveaux « gisements de données », notamment dans le secteur industriel, sur lesquels la très forte valeur ajoutée sera captée à la condition d’une stratégie claire et d’un cadre juridique fort garantissant tout à la fois les conditions de leur utilisation et le respect des libertés publiques des citoyens européens. C’est tout du moins le souhait et la stratégie affichée de l’Europe.

Une stratégie européenne pour les donnéescommunication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Commission européenne, 19 février 2020.

 

Docteur en sciences de l’information et de la communication, enseignant à l’Université Paris-Panthéon-Assas, responsable des opérations chez Blockchain for Good

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