De sérieux efforts pour limiter la concentration des médias entre les mains d’oligarques
Pour rejoindre l’Union européenne, les pays candidats doivent intégrer à leur législation l’« acquis communautaire » et avoir procédé à ces réformes à la date de leur adhésion. Pour le compte de l’Observatoire européen de l’audiovisuel, Andrei Richter, de l’université Comenius à Bratislava en Slovaquie, a analysé le paysage médiatique audiovisuel de cinq pays souhaitant adhérer à l’Union européenne – la République d’Arménie, la Géorgie, la République de Moldavie, la République de Turquie et l’Ukraine, tous membres du Conseil de l’Europe et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Si le secteur audiovisuel de ces pays « est fortement polarisé et soumis à des pressions politiques et économiques considérables », tous, à l’exception de la Turquie, ont entamé de profondes réformes en vue de s’aligner sur le cadre normatif européen et notamment la directive Services de médias audiovisuels (SMA) du 11 décembre 2007 révisant la directive du 3 octobre 1989, Télévision sans frontières (TSF), destinée à régir « l’ensemble des services de médias audiovisuels assurant la fourniture de contenus, au moyen d’une émission télévisée ou d’un média audiovisuel à la demande, quels que soient leurs modes de transmission et de réception (télévision, ordinateur, téléphone portable…) » (voir La rem n°5, p.6).
Après l’invasion russe de l’Ukraine débuté il y a plus de six cents jours, le président Volodymyr Zelensky y instaura la loi martiale le 24 février 2022, provoquant d’importants changements dans le paysage médiatique national. Avant le conflit, le secteur audiovisuel ukrainien était décrit dans un rapport du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH) de l’OSCE – l’un des principaux organes de promotion des droits de l’homme en Europe – en date du 25 octobre 2020, comme étant « diversifié, mais caractérisé par une forte concentration de propriétaires engagés politiquement, tant au niveau national que régional ». Fait notable, l’Ukraine était déjà le seul pays dont la principale source d’information des citoyens n’était pas la télévision mais les réseaux sociaux, suivis par les médias audiovisuels et les sites d’information en ligne. Par conséquent, expliquait un rapport du BIDDH de 2021, « les chaînes de télévision nationales et, surtout, régionales sont devenues plus dépendantes économiquement de leurs propriétaires, qui utilisent souvent les médias qu’ils possèdent pour promouvoir leurs intérêts politiques ». L’Ukraine, comme ses homologues à l’adhésion européenne, a entamé, bien avant la guerre, de profondes réformes du droit de l’audiovisuel, aboutissant notamment à la loi relative aux médias du 13 décembre 2022, entrée en vigueur le 31 mars 2023, visant à remplacer une loi de 1994 sur la radiodiffusion télévisuelle et radiophonique, ainsi que la loi de 1997 relative au Conseil national de la radiodiffusion télévisuelle et radiophonique, afin de s’aligner sur la directive SMA. Une autorité de régulation nationale en charge de tous les médias – le Conseil national de la radiodiffusion télévisuelle et radiophonique (NCTRB) – a été instituée en tant qu’autorité publique constitutionnelle, permanente et collégiale, de surveillance et de régulation. Ses prérogatives sont encadrées par la loi relative aux médias, et la procédure de nomination de ses membres, saluée par les directions du Conseil de l’Europe comme « exemplaire pour les autres pays européens », vise à lutter contre la concentration des médias dans les mains de quelques propriétaires. De plus, le NCTRB, selon ladite loi, est soumis aux principes de « l’État de droit, de légalité, d’indépendance, d’objectivité, de prévisibilité, de sécurité juridique, de compétence, de professionnalisme, de collégialité dans l’examen et la résolution des questions, de validité des décisions prises, d’ouverture et de publicité ». Quant à la gouvernance et à l’indépendance politique des médias de service public, l’Ukraine fait aussi figure de bon élève. Le rapport du BIDDH-OSCE d’octobre 2020 faisait « l’éloge de l’impartialité politique du radiodiffuseur public ukrainien, soulignant toutefois que celui-ci reste sous-financé, ce qui compromet sa capacité à jouer efficacement son rôle de média de service public » commente Andrei Richter pour l’Observatoire européen de l’audiovisuel.
D’après le classement de 180 pays effectué par Reporters sans frontières, selon deux critères la « liberté des médias » et le « cadre législatif régissant la liberté des médias », l’Ukraine est passée, entre 2022 et 2023, de la 106e à la 79e place pour le premier et de la 36e à la 26e place pour le second.
Les évaluations menées par l’Union européenne mettent en lumière le chemin qu’il reste à parcourir pour ces cinq pays étudiés par l’Observatoire européen de l’audiovisuel. En Arménie, l’Union européenne fait état d’un niveau d’indépendance des médias « insuffisant » ; si la Géorgie a « un certain niveau de préparation », le Türkiye Report 2022 de la Commission européenne conclut que le pays reste à un « stade préliminaire » dans le domaine de la liberté d’expression, tandis que « le sérieux recul observé ces dernières années se poursuit ». La Moldavie a également réalisé « certains travaux préparatoires » dans le domaine de la transformation numérique et des médias, mais « il reste encore beaucoup à faire pour garantir la pleine application de la loi ». Quant à l’Ukraine, elle est encore « modérément préparée » même si la liberté d’expression et la liberté des médias « s’est elle aussi considérablement améliorée ces dernières années, en particulier grâce aux médias en ligne » et qu’elle est « considérée comme le pays disposant du plus large éventail de lois et de mesures en matière de lutte contre la désinformation ».
Le droit et la politique des médias dans une sélection de pays de la région de la mer Noire, Andrei Richter, IRIS Extra 2023, Observatoire européen de l’audiovisuel, Strasbourg, 2023.