Espagne : droits de propriété intellectuelle et services de communication au public en ligne

Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ?

Par des dispositions additionnelles diverses (43e disposition finale) à la loi du 4 mars 2011 relative à l’économie durable (texte de 200 pages, aux multiples éléments), ont été introduites, dans différents textes antérieurs du droit espagnol, des mesures concernant la « protection des droits de propriété intellectuelle » à l’égard des services de communication au public en ligne (loi du 11 juillet 2002 relative aux services de la société de l’information et de commerce électronique, décret-loi du 12 avril 1996 de réforme de la loi de la propriété intellectuelle, loi du 13 juillet 1998 relative à la juridiction administrative pour la protection de la propriété intellectuelle dans le cadre de la société de l’information et du commerce électronique). Ces modalités de modification et d’adaptation partielle de textes divers et dispersés, causes d’une grande instabilité et incertitude du droit, ne sont assurément pas satisfaisantes. Comme ne le sont sans doute pas davantage les mesures adoptées, en ce qu’elles introduisent des possibilités administratives particulières d’identification des personnes, d’interruption d’un service ou de retrait des contenus contrefaisants, même si celles-ci sont, comme en France, subordonnées à une décision judiciaire. Dans la lutte contre les pratiques de téléchargement illégal, des similitudes apparaissent ainsi entre les systèmes espagnol et français.

Par un nouveau paragraphe 2 de l’article 8 de la loi du 11 juillet 2002, il est posé que l’identification des personnes (le texte n’établit aucune distinction entre les éditeurs de services ou les internautes qui ne font l’objet d’aucune mention particulière) soupçonnées de procéder, sur Internet, à des exploitations illégales d’œuvres et de prestations protégées pourra, sur autorisation de justice, être obtenue des prestataires de service. Ceux-ci y seront dès lors tenus.

Dans la loi relative à la propriété intellectuelle est introduite une disposition additionnelle aux termes de laquelle le ministère de la culture « veillera à la protection de la propriété intellectuelle à l’encontre des atteintes qui y seraient portées par les responsables de services de la société de l’information ». Cela sera notamment assuré par une instance administrative spéciale nouvelle.

Relatif à la « Commission de la propriété intellectuelle », l’article 158 de la loi de la propriété intellectuelle de 1996 est ainsi modifié : « 1. Est créée, au ministère de la culture, sous forme d’organisme collégial de compétence nationale, la Commission de la propriété intellectuelle, chargée des fonctions de médiation, d’arbitrage et de sauvegarde des droits de propriété intellectuelle ». Elle comprend deux sections : la première (composée de trois membres nommés par le ministre de la culture, sur proposition des ministères de l’économie, de la culture et de la justice) est chargée des fonctions de médiation et d’arbitrage ; la seconde (présidée par le sous-secrétaire d’Etat à la culture ou son représentant, et d’un représentant du chef du gouvernement et des ministères de la culture, de l’industrie, et de l’économie) assurera la protection des droits de propriété intellectuelle à l’égard des atteintes qui y sont portées dans le cadre des services de communication au public en ligne. Si ce n’est la nature juridique des institutions et leur composition ou mode de nomination, apparaissent ainsi certaines des distinctions qui sont celles, en droit français, du collège de la Hadopi et de sa Commission de protection des droits.

Dans sa fonction de médiation, la première section de ladite commission espagnole interviendra, en l’absence d’accords contractuels, dans les domaines de la gestion collective des droits de propriété intellectuelle et pour l’octroi des autorisations de diffusion par câble des programmes de radiodiffusion.

Dans sa fonction d’arbitrage, elle interviendra dans les conflits susceptibles de naître entre les titulaires de droits de propriété intellectuelle et les organismes de gestion de droits ou entre ceux-ci et les exploitants des œuvres.

Face aux atteintes aux droits de propriété intellectuelle, du fait des services de la société de l’information, la seconde section de la même commission pourra prendre les mesures ordonnant l’interruption du service ou le retrait des contenus contrefaisants. Avant l’adoption de pareilles mesures, un délai maximal de 48 heures devra être laissé au service pour qu’il procède, par lui-même, au retrait des contenus litigieux ou qu’il justifie de ses droits. L’exécution de la mesure administrative nécessitera cependant une autorisation judiciaire. Il est par ailleurs précisé que tout cela sera sans préjudice de toute action civile ou pénale ordinaire.

En Espagne, d’une certaine façon comme en France, l’opposition aux modalités d’un contrôle administratif spécifique (entraînant interruption du service ou retrait des contenus litigieux) des atteintes aux droits de propriété intellectuelle du fait des services de communication au public en ligne a conduit, dans des conditions différentes cependant, à moduler celui-ci par une nécessaire intervention judiciaire. En dépit de cela, tout aussi inquiétant et contestable à l’égard du respect des libertés individuelles, un tel système, finalement lourd et compliqué, y sera-t-il plus efficace dans la nécessaire protection des droits de propriété intellectuelle ? Ou, malgré quelques variantes, le même constat critique pourra-t-il être fait de part et d’autre des Pyrénées ?

Professeur à l’Université Paris 2

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