Le verdict a été prononcé le 10 juillet 2013, après trois semaines de procès, révélant des preuves jugées « écrasantes » par la juge Denise Cote, de la cour fédérale de New York : Apple a violé les règles de la concurrence en concluant un accord tenu secret avec cinq groupes d’édition – HarperCollins, Simon & Schuster, Hachette, Macmillan et Penguin – afin de faire monter artificiellement le prix de vente des livres numériques, quelques semaines avant le lancement de sa première tablette iPad en 2010. L’ambition du groupe de Cupertino était de contrer la stratégie d’Amazon, la célèbre librairie en ligne à prix cassés, en incitant les éditeurs à faire pression sur ce dernier (sous peine de le priver de la vente de best-sellers) afin qu’il augmente ses prix pour les aligner sur ceux de sa propre boutique en ligne. « Un modèle où vous fixez le prix, où nous prenons 30 % et où, oui, le consommateur paye un peu plus », avait expliqué Steve Jobs aux éditeurs. Le jour du lancement de l’iPad, les prix de la plupart des livres électroniques auraient effectivement augmenté de plus de 15 %, selon un avocat du département de la Justice (DoJ).
Les groupes d’édition ont accepté de régler cette affaire à l’amiable (voir REM n°22-23, p.49 et n°25, p.4) contre la somme de 170 millions de dollars d’amende et de dédommagements aux consommateurs. Le groupe Apple a choisi, quant à lui, de nier jusqu’au bout l’existence d’une quelconque entente, arguant qu’il défend au contraire la libre concurrence en offrant une alternative aux consommateurs sur un marché jusque-là dominé par Amazon avec sa liseuse Kindle, lancée en 2007. « Si Apple n’avait pas orchestré cette conspiration, ils [les éditeurs] n’y seraient pas parvenus », a déclaré la juge new-yorkaise qui n’a pas décelé dans la stratégie du groupe une volonté de stimuler la compétition économique. Début août 2013, le département de la Justice, de son côté, a requis outre la rupture du contrat passé avec les éditeurs, une interdiction de conclure des accords sur les livres électroniques pendant au moins cinq ans, une surveillance des pratiques commerciales d’Apple et surtout la possibilité pour les consommateurs, dans les deux ans à venir, d’acheter des livres sur les librairies en ligne concurrentes, Amazon et Barnes & Noble, avec un terminal Apple. La détermination du montant des dommages et intérêts réclamés par les associations de consommateurs et de nombreux Etats américains fera l’objet d’un autre procès en 2014.
Sans attendre cette nouvelle procédure, la juge Cote a finalement décidé d’imposer au géant américain, dans une injonction publiée début septembre 2013, de s’abstenir de tout nouvel accord avec des maisons d’édition, susceptible d’enfreindre la loi sur la concurrence, c’est-à-dire « qui serait à même de fixer les prix ou d’établir le prix auquel d’autres distributeurs de livres électroniques pourraient acheter ou vendre ces produits ». En outre, elle a ordonné le contrôle des pratiques commerciales d’Apple par un expert indépendant.
Apple a annoncé faire appel de ce jugement. Le groupe ne défend pas seulement sa place sur le marché du livre, mais plutôt sa capacité à négocier à l’avenir avec tous les éditeurs de contenus (musique, films, programmes TV…) et à commercialiser en ligne sur ses appareils, comme l’expliquent les analystes du secteur de la high-tech. C’est « l’écosystème Apple » qui, en l’occurrence, est mis en péril.
Sources :
- « Apple nie avoir orchestré une entente sur le prix des livres électroniques », AFP, tv5.org, 4 juin 2013.
- « La justice américaine épingle le système Apple de livre numérique », Sylvain Cypel, Le Monde, 12 juillet 2013.
- « E-books : les Etats-Unis veulent faire plier Apple », Lucie Ronfaut, Le Figaro, 3-4 août 2013.
- « Injonction contre Apple dans les livres électroniques », AFP, tv5.org, 6 septembre 2013.