Le virtuel pollue

Grâce à la dématérialisation, la réduction du nombre des déplacements, les technologies de l’information et de la communication laissaient espérer un monde meilleur, au moins sur le plan de l’écologie, en contribuant à la diminution de l’effet de serre. Il semblerait qu’il n’en soit rien.

Selon une étude du cabinet d’analyses Gartner Group, les TIC produisent autant de dioxyde de carbone que le trafic aérien mondial, soit 2 % du total des émissions de CO2 de la planète.

Les 4 000 serveurs utilisés pour faire tourner le monde virtuel Second Life contribuent pour une quantité non négligeable au réchauffement de la planète. Chacun de ses avatars consomme quotidiennement dix fois plus d’énergie qu’un Camerounais et autant qu’un Brésilien ; en outre chaque internaute résident pollue autant qu’un trajet de 3 500 km en 4×4, soit 1,17 tonne de carbone.

Tous les ordinateurs branchés dans le monde, au nombre de 1,5 milliard, participent au gaspillage, puisque la moitié de l’énergie qu’ils consomment se perd en chaleur inutile. Sans compter que le numérique a provoqué, contre toute attente, une augmentation de la consommation de papier et non l’inverse.

Menés par les grandes entreprises de l’industrie de l’informatique en ligne qui utilisent des dizaines de milliers de serveurs pour stocker des milliards de données – textes, images, films, musique -, les efforts en matière de développement durable sont motivés par leur incidence sur la réduction des coûts.

Évaluées à 10 % aujourd’hui, les dépenses en énergie des entreprises gérant des centres serveurs devraient représenter 50 % de leur budget dans un proche avenir selon le cabinet Gartner.

La consommation d’électricité des serveurs dans le monde devrait augmenter de 76 % d’ici à 2010. Le montant de la facture énergétique annuelle des centres informatiques dans le monde est de 7,2 milliards de dollars (45 milliards de kWh) entre 2000 et 2005. Un gros centre de serveurs Google consomme autant d’électricité qu’une ville comme Bordeaux.

Plus attentifs à la progression de la puissance de calcul, doublant tous les 18 mois suivant la loi de Moore, plutôt qu’à la déperdition d’énergie de l’ordre de 30 % de leurs serveurs, les grands acteurs du monde en ligne cherchent désormais des solutions pour limiter le dérapage de leurs coûts d’exploitation. Rapprocher les infrastructures des sources d’approvisionnement constitue une première solution plus économique. Ainsi, Google a construit un centre de serveurs près d’un barrage hydroélectrique, sur le fleuve Columbia, dans l’Oregon, et Microsoft et Yahoo ! feront de même plus au nord du pays.

Si ces grandes entreprises parviennent ainsi à réaliser d’importantes économies, elles n’en restent pas moins coupables de polluer l’environnement et de contribuer au réchauffement climatique. Une façon de rendre les ordinateurs moins polluants résiderait dans l’optimisation de leur utilisation par les entreprises. Dédiés à un seul programme, les serveurs d’une entreprise fonctionnent seulement à 10 % voire 30 % de leurs capacités au lieu d’être pleinement exploités par plusieurs applications simultanément.

Il ne suffit plus aujourd’hui de prétendre que l’ensemble des communications et des échanges en ligne sauve la planète. La réalité est moins simple qu’il n’y paraît. Ainsi, le succès considérable des sites de vente aux enchères sur Internet, favorisant le recyclage d’objets et a priori luttant contre une certaine forme de gaspillage, en a-t-il fait une activité passablement polluante. Une enquête de l’Institut national néerlandais d’aménagement du territoire –RPB- conclut que le commerce électronique C2C, de consommateur à consommateur, multiplie au moins par 11 les déplacements des individus. Tandis que jeter ses vieilles affaires aux encombrants constitue davantage un geste écologique, grâce aux techniques modernes d’incinération produisant de l’électricité.

Dans toute la France, la consommation d’électricité due aux box des fournisseurs d’accès devrait atteindre 2,66 milliards de kWh d’ici à 2010, pour 1,5 milliard de kWh en 2007. Si les offres triple play, Internet, télévision et téléphone, sont commercialement intéressantes, elles entraînent une dépense supplémentaire d’électricité non négligeable. La consommation d’énergie d’une box et d’un décodeur TV, en veille comme en fonctionnement (il n’y a pas de différence), équivaut à plus de la moitié de ce que consomme un réfrigérateur congélateur familial d’un modèle récent, selon le magazine 60 Millions de consommateurs. Le développement accéléré du monde virtuel contribue paradoxalement à accentuer les émissions de gaz carbonique dans le monde réel.

Sources :

  • « Alerte à la surchauffe informatique », Jérôme Fenoglio, Le Monde, 24-25 juin 2007.
  • « Le commerce sur Internet fait mal à la planète », Tijs Van den Boomen, NRC Handelsblad in Courrier international, n°871, 12 juillet 2007.
  • « Les géants de l’informatique veulent passer au vert », Christophe Alix, Libération, 27 août 2007.
  • « Les box, agents de surconsommation électrique », Arnaud Devillard, 01net.com, 27 septembre 2007.

Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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