Activision-Blizzard devient un éditeur global avec King et le cinéma

En s’emparant de King, Activision-Blizzard entre d’un coup sur le marché du jeu mobile où il était très peu présent. Les forces réunies des deux éditeurs font émerger une audience mondiale massive capable de rivaliser avec les géants de l’internet. Activision investit également le cinéma, la production audiovisuelle et le e-sport pour faire vivre ses licences sur tous les marchés.

En annonçant, le 2 novembre 2015, le rachat de l’éditeur de jeux pour smartphone King Digital Entertainment, pour 5,9 milliards de dollars, Activision-Blizzard a fait un choix stratégique qui témoigne de l’évolution en profondeur du marché du jeu vidéo, en passe d’être un marché « global », s’adressant à l’ensemble de la population sur tous les continents.

En effet, issu des jeux sur console et sur PC, le marché du jeu vidéo a longtemps été considéré comme un marché de niche, réservé aux seuls passionnés, les hardcore gamers. Avec le déploiement de l’internet mobile à la fin des années 2000 et le succès des réseaux sociaux, les jeux pour smartphone (mobile gaming) et les jeux sociaux (social gaming) ont élargi massivement le public du jeu vidéo, désormais plus âgé et plus féminin.

C’est cette population qu’Activision-Blizzard, issu du marché historique, va désormais toucher grâce à King Digital Entertainment. L’entreprise, fondée en 2003, est devenue en 2012 un géant du jeu vidéo avec le lancement de son jeu phare, Candy Crush, qui sera le jeu le plus téléchargé au monde en 2013. Son modèle économique est particulièrement efficace : conçu pour le plus grand nombre car facile à jouer (faire des lignes de bonbons identiques), le jeu est disponible gratuitement (modèle du free to play), mais il n’offre que quelques vies. Pour « regagner » des vies et rejouer des parties, il faut soit patienter, soit les acheter. Ces micro-transactions, qui ne concernent qu’un petit pourcentage au sein de l’audience massive du jeu, ont toutefois fait décoller les revenus de King.

En effet, quelques dollars captés sur des dizaines de millions de joueurs, quand des centaines de millions se contentent de la version gratuite (jusqu’à 500 millions de joueurs par mois en 2013 pour Candy Crush),génèrent très vite des millions de dollars de chiffre d’affaires. Fort de son succès, l’entreprise a été introduite en Bourse en mars 2014, espérant une valorisation de 7 milliards de dollars, soit presque la moitié de la valorisation d’Activision-Blizzard au moment de sa cession par Vivendi en 2013 (voir La REM n°28, p.48).

Las, en quelques jours, King perdait 16 % en Bourse, l’entreprise ne valant plus que 4,9 milliards de dollars avant l’annonce du rachat par Activision-Blizzard, soit 30 % de moins que sa valeur estimée au moment de son introduction. Les investisseurs reprochent à ces sociétés, positionnées sur un marché très dynamique et extrêmement rentable, de dépendre de quelques jeux à succès dans un univers caractérisé par sa profusion et des effets de mode difficilement contrôlables, ce qui rend très difficile de rééditer des exploits comme celui de Candy Crush. D’ailleurs, malgré la diversification de l’offre de King, Candy Crush représente encore en 2015 près de 40 % des deux milliards de dollars du chiffre d’affaires de l’éditeur.

Le rachat de King par Activision-Blizzard s’explique donc moins par l’attrait que peut constituer la pépite Candy Crush que par l’intérêt qu’il y a à acquérir de nouvelles compétences sur le mobile et à élargir son public bien au-delà des frontières des seuls passionnés de jeux vidéo. En effet, même si Candy Crush et sa version dérivée Candy Crush Soda sont encore dans le Top 5 des applications de jeux les plus téléchargées, le nombre de joueurs est en repli, King affichant 474 millions de joueurs actifs par mois au premier trimestre 2015, tous jeux confondus, contre 495 millions au premier trimestre 2014.

C’est donc bien la capacité à toucher un nouveau public de joueurs que s’offre Activision-Blizzard. Le groupe, numéro 2 du marché du jeu vidéo lors de l’annonce du rachat, au coude-à-coude avec le leader Electronic Arts, a d’abord communiqué sur l’audience nouvelle qu’il lui sera désormais possible de toucher. Pour Robert Kotick, à la tête d’Activision-Blizzard, la réunion des audiences d’Activision-Blizzard et de King fera émerger un géant avec 550 millions de joueurs : or, « mis à part YouTube et Facebook, il n’y a pas un seul réseau qui ait une audience plus grande ». De ce point de vue, le nouvel Activision-Blizzard, en entrant de plain-pied dans le mobile où il était très peu positionné, devient un acteur global du jeu vidéo, ce qui explique probablement pourquoi Activision-Blizzard a accepté de payer une prime de 20 % sur le cours en Bourse de King pour pouvoir s’en emparer.

Le rachat de King doit être également mis en relation avec la nouvelle stratégie d’Activision-Blizzard dans la vidéo et le cinéma, deux secteurs à l’origine étrangers au marché du jeu vidéo. Cette rencontre entre jeux vidéo et cinéma s’est incarnée une première fois en 2001 avec la sortie de Tomb Raider, un film inspiré d’un jeu vidéo où l’héroïne, Lara Croft, était incarnée par Angelina Jolie.

D’un coup, le grand public découvrait avec l’aide d’Hollywood l’existence d’un univers, celui du jeu vidéo sur console et PC, le cinéma faisant ici la preuve de sa capacité à propulser une culture geek sur le devant de la scène, pour la transformer ensuite en véritable culture populaire. Cette transformation s’est depuis accélérée et l’essor d’une culture populaire liée au jeu vidéo s’est encore renforcé avec les jeux sur mobile conçus pour un très grand public.

Ainsi, après Tomb Raider, les films tirés de jeux vidéo se sont multipliés, tels Resident Evil (le premier opus sort en 2002), Street Fighter (2009) ou plus récemment Halo (2014). Pour les éditeurs de ces jeux, ces films permettent de renforcer la puissance de leurs licences, en les faisant connaître à un public plus large et en suscitant autrement l’intérêt des joueurs. La même tendance se retrouve aussi dans la production audiovisuelle comme Ubisoft qui a réussi à populariser les Lapins Crétins.

Ces personnages sont issus d’un jeu, Rayman contre les Lapins Crétins, sorti fin 2006, qui sera transposé dans d’autres univers, d’abord avec des vidéos parodiques destinées au web, puis sous forme de BD ou de goodies (produits dérivés) et enfin comme série d’animation avec Les Lapins Crétins : Invasion, diffusée d’abord en France en 2013 et désormais dans tous les pays anglophones.

Ce sont les synergies de plus en plus avérées entre l’univers du jeu et celui de l’entertainment mondialisé, essentiellement américain donc (cinéma hollywoodien et production audiovisuelle) qui expliquent l’annonce par Activision-Blizzard, le 6 novembre 2015, de la création d’un studio de cinéma et de production audiovisuelle, afin de décliner sur le grand et le petit écran certains de ses jeux vidéo.

En 2016, une série sera proposée à partir du jeu pour enfants Skylander, sorti en 2011. En 2018, un long métrage inspiré de la franchise star Call of Duty sera produit par Activision-Blizzard. Il s’agit ici d’une véritable révolution, les éditeurs de jeux s’associant d’ordinaire avec les majors, quand désormais Activision-Blizzard entend s’imposer comme une entreprise globale capable de décliner ses licences sur le plus grand nombre de marchés, ce que font autrement des groupes comme Viacom, Warner Bros ou Disney.

L’annonce d’Activision-Blizzard a été complétée, le lendemain, par celle de son studio Blizzard qui a révélé la bande-annonce de Warcraft : Le Commencement, dont la sortie est prévue en mai 2016. Ce film sera le premier opus au cinéma du jeu massivement multijoueur World of Warcraft lancé en 2004.

Enfin, Activision-Blizzard a encore élargi le spectre de ses canaux de distribution avec l’annonce du rachat, le 5 janvier 2016, de l’entreprise MLG, spécialisée dans le e-sport. MLG organise des tournois entre joueurs de jeux vidéo, une activité que les éditeurs ont d’abord laissé se développer en dehors de leur périmètre, y voyant l’occasion d’une promotion à peu de frais de leurs produits. Mais le e-sport, en se massifiant progressivement, devient désormais plus qu’un simple argument marketing.

Ainsi MLG, dispose d’une plate-forme de vidéo en ligne qui fédère 20 millions de vidéonautes chaque mois, avides de découvrir les meilleurs joueurs et les meilleures parties de leurs jeux vidéo préférés. Or ce canal vidéo en ligne devient aujourd’hui, à partir de l’univers du jeu, un moyen de se développer aussi dans la distribution audiovisuelle en direction des communautés de fans dans un premier temps, et d’une audience de masse dans un second temps.

En l’occurrence, les places sont encore à prendre puisqu’Activision-Blizzard n’a eu qu’à débourser 46 millions de dollars pour s’emparer de MLG, selon le site e-sport Observer. Le leader sur le marché du e-sport, Riot Games, détenu par le groupe chinois Tencent, réalise un chiffre d’affaires supérieur à un milliard de dollars annuel, essentiellement grâce au jeu qu’il édite, League of Legends, et aux compétitions entre joueurs qu’il organise, certains joueurs étant même payés afin d’assurer un début de professionnalisation des compétitions.

Sources :

  • « Activision-Blizzard croque « Candy Crush » », Chloé Woitier, Le Figaro, 4 novembre 2015. 
  • « Activision s’offre le créateur de Candy Crush pour 6 milliards », Elsa Conesa, Les Echos, 4 novembre 2015. 
  • « Activision goes mobile with deal for King », Sarah E. Needleman, Wall Street Journal, 4 novembre 2015. 
  • « Activision au cœur de la convergence vidéo-cinéma », Elsa Conesa, Les Echos, 9 novembre 2015. 
  • « « Warcraft », la métamorphose d’un jeu vidéo culte », Vincent Joly, Le Figaro, 11 novembre 2015. 
  • « Activision met la main sur un acteur majeur de l’e-sport », Chloé Woitier, Le Figaro, 6 janvier 2016. 
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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