En refusant à LCI, Paris Première et Planète de basculer sur la TNT en clair, le CSA affirme son indépendance et se pose en régulateur économique du paysage audiovisuel. En même temps, il s’évite des difficultés avec Bruxelles, les chaînes indépendantes ayant porté plainte contre « l’amendement LCI ». Il ne reste que cette première décision du CSA doté de nouveaux pouvoirs a une conséquence certaine : la mort de la TNT payante et de certaines de ses chaînes, qui n’ont plus d’avenir, faute d’un financement publicitaire.
Point de cristallisation des différents lobbies des chaînes, « l’amendement LCI », plus précisément l’article 42-3 de la loi audiovisuelle de 2013, qui donne au CSA le pouvoir d’autoriser une chaîne diffusée sur la TNT payante à basculer sa fréquence sur la TNT en clair (voir REM n° 30-31, p. 35), aura agité l’été du PAF.
Le 11 juin 2014, les chaînes dites indépendantes sur la TNT en clair (celles donc n’appartenant pas à TF1, M6 ou Canal+, à savoir L’Equipe 21, BFMTV et RMC Découverte, Gulli, NRJ12 et Chérie 25, enfin Numéro 23), regroupées au sein de l’Association des chaînes indépendantes (ACI), portaient plainte via cette dernière auprès de la Commission européenne, dénonçant l’article 42-3 comme contraire à la législation européenne. Pour l’ACI, le passage du payant au gratuit, parce qu’il implique un changement de modèle économique, revient à modifier « substantiellement » la nature de l’autorisation d’émettre initialement accordée par le CSA, ce qui pourrait alors conduire ce dernier à lancer un appel d’offres en bonne et due forme pour les fréquences concernées. Autant dire que cette plainte menace la légalité des choix du CSA si, fort de ses nouvelles prérogatives, celui-ci décidait d’accorder le passage du payant au gratuit aux trois chaînes qui l’ont demandé, LCI (groupe TF1), Paris Première (groupe M6) et Planète (groupe Canal+).
En attendant le verdict de Bruxelles, le CSA, saisi des demandes de passage en gratuit, a toutefois décidé d’instruire le dossier, lequel passe par une étude d’impact préalable, notamment en matière économique. C’est la raison pour laquelle le CSA a saisi l’Autorité de la concurrence pour avis, laquelle lui a remis son rapport confidentiel début juillet, rapport dont la teneur a pourtant été révélée. Pour l’Autorité de la concurrence, il convient de distinguer la demande de LCI de celles de Planète et de Paris Première. Pour ces deux dernières chaînes, certes concurrentes de chaînes disponibles en clair, le marché pourrait être en mesure de supporter leur financement publicitaire, notamment parce que leur grille de programmes constitue un élargissement de l’offre qui peut entraîner un élargissement de l’audience. Concernant en revanche LCI, le financement publicitaire des chaînes d’information en continu est plus complexe, le marché en clair étant déjà saturé avec deux chaînes, BFM TV et iTélé, ce qui serait encore plus le cas avec trois chaînes en clair supplémentaires. S’ajoute enfin la puissance du groupe TF1 sur le marché publicitaire qui pourrait générer un « effet d’éviction » de ses concurrentes. Enfin, l’Autorité de la concurrence a insisté sur « l’effet cumulatif » de l’autorisation de passage en clair de trois chaînes simultanément, ce qui ne manquerait pas de déstabiliser les équilibres sur le marché publicitaire. Dès lors, l’équation est devenue difficile à résoudre pour le CSA. Autoriser le passage en clair d’une chaîne et le refuser aux autres n’aurait pas manqué de faire naître des soupçons de partialité ; autoriser le passage en clair des trois chaînes aurait conduit à décider plus « politiquement » qu’en fonction d’une véritable étude économique d’impact. Le « non » est alors devenu crédible même si l’avis de l’Autorité de la concurrence laissait la porte ouverte à un « oui » sous conditions, notamment pour le groupe TF1, ainsi par exemple de l’obligation qui pourrait lui être faite de ne pas recourir au couplage publicitaire entre ses chaînes.
Avant la décision du CSA, d’autres arguments sont apparus en faveur du « non », contre le passage de LCI en clair. Ses concurrentes potentielles, BFM TV et iTélé, ont fait savoir, avant que le CSA ne prenne sa décision, qu’elles s’étaient engagées par courrier à reprendre les deux tiers des salariés de LCI en cas de fermeture de la chaîne si la bascule en gratuit n’était pas possible. Autant dire qu’un choix politique en faveur de LCI, pour éviter notamment au CSA d’avoir à assumer un plan social, n’était plus nécessaire. Enfin, les actionnaires du Monde et du Nouvel Observateur, le trio dit BNP, Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu Pigasse, se sont dits prêts à racheter LCI à TF1 en cas de refus de passage en gratuit, moins d’une semaine avant que le CSA ne procède au vote sur les demandes des chaînes.
Le CSA a voté le 29 juillet 2014 et refusé à LCI, à Paris Première et à Planète le passage en clair. Pour Olivier Schrameck, président du CSA, « avec cette décision, le CSA a montré une totale indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics et des acteurs de l’audiovisuel ». Le CSA a toutefois pris soin de laisser une porte ouverte. Le régulateur a motivé son refus principalement par des raisons économiques. La première d’entre elles est la baisse du marché publicitaire audiovisuel, ce qui ne favorise donc pas l’accueil de nouvelles chaînes en clair qui auront besoin chacune de 20 à 30 millions de recettes publicitaires en plus. La seconde raison économique est liée à la concurrence, les nouvelles chaînes de la TNT, nées en 2012, étant encore fragiles, notamment les chaînes indépendantes. Or ce sont bien ces chaînes qui auraient été menacées, à savoir RMC Découverte par Planète, Numéro 23 par Paris Première, ainsi que les anciennes chaînes de la TNT, BFM TV et iTélé, par LCI, sur un marché de l’information en continu qui aurait été saturé. Le CSA n’a donc pas exclu d’autoriser à l’avenir le passage en clair des trois chaînes de la TNT payante, si les conditions de marché deviennent plus favorables. Enfin, un dernier argument a été avancé : le paysage audiovisuel français est suffisamment riche, avec 25 chaînes et l’apport de trois nouvelles chaînes en clair n’aurait pas été significatif.
La décision du CSA ne manque pas d’avoir des conséquences pour la TNT payante. Si elle semble préserver son offre, en confinant LCI, Paris Première et Planète aux seules offres payantes, elle en signe en effet l’arrêt de mort. LCI et Paris Première ont depuis leur demande de bascule en clair précisé que les distributeurs, CanalSat et les fournisseurs d’accès à internet, à force de baisser les sommes payées pour pouvoir distribuer ces chaînes, menaçaient leur modèle économique. Or, les contrats de distribution de LCI comme de Paris Première s’achèvent fin décembre 2014. Si les distributeurs n’inversent pas la tendance, LCI comme Paris Première disparaîtront, ou quitteront la TNT payante pour revivre autrement. C’est ce qu’a entériné le groupe TF1, le 23 septembre 2014, en annonçant arrêter la chaîne d’information en continu et supprimer 60 % des effectifs de la chaîne, c’est-à-dire 148 postes sur les 247 mobilisés, soit directement à LCI, soit directement au sein du groupe TF1. Quant à LCI, elle deviendra une chaîne payante à la demande, avec des flashs infos et des contenus premium. Mais cette évolution de LCI est conditionnée à l’intérêt des distributeurs pour ce nouveau format. Dans le cas contraire, LCI pourrait être définitivement fermée, ou associée à un quotidien d’information pour développer un site d’information où la vidéo l’emporte, le groupe Figaro ayant également manifesté son intérêt, après celui du trio BNP. Pour ce dernier, c’est d’abord un rachat qui est envisagé. Mais la valeur de LCI augmentera d’autant qu’elle se sera délestée d’une part importante de sa masse salariale. Enfin, la dernière solution pour LCI sera finalement de passer en clair, puisque le groupe TF1 a déposé un recours devant le Conseil d’Etat pour faire annuler la décision du CSA. En annonçant également, fin septembre 2014, fermer sa chaîne payante Stylia, TF1 a confirmé sa résolution de se désengager de la télévision payante, après l’annonce de l’arrêt de TF6 et la cession d’Eurosport (voir REM n° 30-31, p. 35).
Sources :
- « LCI sur la TNT gratuite : un nouveau recours déposé à Bruxelles », Caroline Sallé, Le Figaro, 14 juin 2014.
- « Paris Première maintient la pression pour passer en gratuit », Caroline Sallé, Le Figaro, 28 juin 2014.
- « Paris Première et LCI en clair : le “oui, mais” de la Concurrence », Fabienne Schmitt, Les Echos, 7 juillet 2014
- « LCI en clair : la partie s’annonce serrée », F. Sc., Les Echos, 8 juillet 2014.
- « TNT gratuite : Bruxelles se penche sur l’amendement LCI », Enguérand Renault et Caroline Sallé, Le Figaro, 9 juillet 2014.
- « BFM TV et i>Télé au secours des salariés de LCI », F. Sc., Les Echos, 21 juillet 2014.
- « Bergé, Niel et Pigasse s’invitent dans la bataille autour de LCI », Enguérand Renault, Le Figaro, 25 juillet 2014.
- « Le CSA refuse à LCI, Paris Première et Planète+ le passage à la TNT gratuite », Enguérand Renault, Le Figaro, 30 juillet 2014.
- « M6 cherche comment sauver Paris Première », Fabienne Schmitt, Les Echos, 29 août 2014.
- « LCI : les actionnaires du Monde mettent la pression », Nicolas Madelaine et Fabienne Schmitt, Les Echos, 17 septembre 2014.
- « Le Figaro étudie les synergies possibles avec LCI », interview de Marc Feuillé, directeur général du groupe Figaro, par Enguérand Renault, Le Figaro, 19 septembre 2014.
- « LCI lâche l’info en continu et taille dans ses effectifs », Enguérand Renault, Le Figaro, 24 septembre 2014.
- « TF1 taille dans les effectifs de LCI sans pour autant fermer la chaîne d’info », Nicolas Madelaine, Les Echos, 24 septembre 2014. - « Après LCI, Paris Première est menacée de fermeture », Caroline Sallé, Le Figaro, 25 septembre 2014.