La Commission européenne suspend l’examen approfondi de la fusion Sony-BMG alors qu’Impala, l’association regroupant les producteurs européens indépendants, surveille de près les projets de fusion entre majors du disque

Le 13 juillet 2006, le tribunal de première instance de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) annulait, après un recours de l’association Impala (Independant Music Companies Association), l’autorisation de fusion entre Sony et BMG accordée deux ans plus tôt, en août 2004, par la Commission européenne (voir La revue européenne des médias, n°0). Aussi, Sony et BMG avaient-elles été obligées de notifier à nouveau leur demande de fusion auprès de la Commission européenne afin de pouvoir constituer la deuxième major au monde après Universal Music. La Commission européenne devait statuer le 1er mars 2007 sur la nécessité d’ouvrir une enquête approfondie, compte tenu du jugement de la CJCE sur l’absence d’examen approfondi quant à l’existence ou non d’une position dominante collective des majors sur le marché du disque, compte tenu également de l’évolution du marché du disque depuis 2004, notamment l’augmentation des ventes de musique en ligne. Le 1er    mars, la Commission européenne s’est finalement prononcée en faveur d’une enquête approfondie sur le rachat de BMG par Sony, la réponse étant prévue pour le 2 juillet 2007. Impala a aussitôt fait valoir son opposition à cette fusion à travers son avocate, Isabelle Wekstein, qui a rappelé que les arguments utilisés en 2004 par Sony et BMG pour justifier la nécessité de leur fusion, notamment la crise du disque et l’inexistence du marché de la musique en ligne, sont aujourd’hui en partie irrecevables. Impala compte donc « montrer encore plus le renforcement de la position dominante collective et, par conséquent, l’incompatibilité de [la] fusion avec les règles d’une concurrence effective ». Peut-être l’association n’aura-t-elle pas besoin de le faire puisque, le 23 mars 2007, la Commission européenne a annoncé qu’elle suspendait son enquête approfondie pour n’avoir pas reçu « toutes les informations nécessaires » de la part de Sony et BMG. Dans sa déclaration, la Commission a en outre précisé les pistes aujourd’hui suivies dans l’examen du marché, entre constat de la position dominante, crise du marché du disque, bouleversement des modes de distribution et succès des sites de peer to peer : « Cette affaire s’intègre dans un environnement exceptionnellement difficile dans la mesure où, d’un côté, le marché est caractérisé par la position forte d’un petit nombre d’acteurs importants, tandis que, de l’autre, l’industrie toute entière a traversé des changements significatifs termes de numérisation de la musique et de comportement des consommateurs ».

Mais l’association Impala n’a pas pour unique sujet de préoccupation la fusion Sony – BMG, qui porte en fait sur la musique enregistrée. Elle s’oppose également au projet de rachat, par Universal Music, numéro un de la musique enregistrée, de BMG Publishing, la filiale édition musicale de Bertelsmann. Alors que le marché de l’édition musicale (la gestion des droits d’auteur) est moins concentré que celui de la musique enregistrée, Impala dénonce pourtant cette fusion, au motif qu’elle accroîtrait la « puissance de marché » d’Universal Music. En effet, ce rachat permettrait à Universal Music de devenir également leader dans l’édition musicale devant le britannique EMI.

Conscient des risques d’un refus de la Commission européenne, Universal Music a proposé une série de désinvestissements, notamment la cession des catalogues Zomba et 19 Song pour le périmètre de BMG Publishing, mais également des actifs du propre périmètre d’Universal. Fin mars 2007, la Commission européenne, après consultation des principaux opposants à la fusion, dont Impala, a demandé des cessions plus importantes à Universal Music. Tout en s’inquiétant de la puissance de marché d’Universal Music, la Commission s’est également interrogée sur les conséquences possibles, pour la gestion des droits d’auteur dans son ensemble, d’un retrait des majors des sociétés de gestion collective des droits, retrait qui leur permettrait d’obtenir une meilleure rémunération pour leurs catalogues, cette stratégie étant désormais facilitée par le développement de la vente de musique en ligne. Toutefois, la Commission semble prête à avaliser la fusion d’Universal Music et de BMG Publishing compte tenu des concessions faites par la major : la nouvelle entité contrôlera ainsi entre 24 % et 28 % du marché, devant EMI Publishing (20 %) et Warner Chapell (16 %).

Enfin, Impala, qui avait dissuadé Warner Music (n° 4 mondial) de fusionner avec EMI (n° 3 mondial) suite au jugement rendu par la CJCE sur la fusion Sony – BMG, a finalement trouvé un accord avec Warner Music. L’association lui apporte désormais son soutien dans son projet de rachat d’EMI, relancé le 24 janvier 2007, mais pour l’instant infructueux. EMI semble en effet plutôt vouloir séparer ses activités d’édition musicale, qui sont très rentables (20 % du chiffre d’affaires, mais 40 % des bénéfices), des activités de production musicale, qui fragilisent les comptes du groupe.

En échange du soutien d’Impala, et anticipant toutefois une fusion, Warner Music s’est engagé à céder des actifs dans la musique enregistrée afin de renforcer la concurrence, à financer, sans prendre de participation, la plate-forme Merlin des labels indépendants, créée en début d’année pour gérer leurs droits numériques, et surtout à ne pas se retirer, dans les prochaines années, des sociétés collectives de gestion des droits d’auteur. Mais l’annonce par EMI, le 18 avril 2007, de son intention de « titriser » sa branche édition musicale, la plus rentable, semble confirmer la volonté de la major de se mettre en situation, soit de conserver son indépendance, soit de renforcer ses positions dans la perspective d’une fusion avec Warner.

Sources :

  • « Warner Music et EMI rediscutent d’un rapprochement », Nathalie Sibert, Les Echos, 21 février 2007.
  • « Warner Music lorgne pour la quatrième fois le groupe EMI », Nicole Vulser, Le Monde, 22 février 2007.
  • « EMI balance entre deux prétendants », Emmanuel Torregano, Le Figaro, 23 février 2007.
  • « Bruxelles demanderait l’examen approfondi de la fusion Sony-BMG », Emmanuel Torregano, Le Figaro, 1er mars 2007.
  • « Sony – BMG : Bruxelles rouvre son enquête », G.P., Les Echos, 1er mars 2007.
  • « Fusion Sony-BMG : Bruxelles ouvre une enquête approfondie », N.S., Les Echos, 2-3 mars 2007.
  • « Warner Music ne renonce pas à l’acquisition d’EMI », Emmanuel Torregano, Le Figaro, 6 mars 2007.
  • « Vivendi prêt à céder des catalogues pour racheter BMG Publishing », G.P., Les Echos, 16-17 mars 2007.
  • « Bruxelles suspend l’examen de la fusion Sony Music – BMG », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 26 mars 2007.
  • « Universal Music serait prêt à céder Rondor pour acquérir BMG Publishing », G.P., Les Echos, 29 mars 2007.
  • « Musique : feu vert à l’union d’Universal et BMG Publishing », Emmanuel Torregano, Le Figaro, 18 avril 2007.
  • « EMI semble préparer son avenir sans Warner », Delphine Cuny, La Tribune, 19 avril 2007.
  • « Universal Music en passe de racheter BMG », Sandrine Balos, La Tribune, 19 avril 2007.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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