Lutte contre le téléchargement illégal (suite)

(article écrit avec Francis Balle)

La loi du 28 octobre 2009 relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet, dite « Hadopi 2 », est venue compléter, mais assurément pas achever, le dispositif français de lutte contre le téléchargement illégal.

Il s’agissait de remédier ainsi aux conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin 2009, qui avait amputé la loi précédente, du 12 juin 2009, dite « Hadopi », des dispositions qui visaient à confier un pouvoir de sanction, sous forme notamment de la suspension de l’accès à Internet, à une autorité administrative, la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), par l’intermédiaire de sa Commission de protection des droits (voir le n°12 de La revue européenne des médias, automne 2009).

Les nouvelles structures administratives sont progressivement mises en place. Aux termes de l’article L. 331-6 du Code de la propriété intellectuelle, « le collège de la Haute Autorité est composé de neuf membres, dont le président, nommés pour une durée de six ans par décret : 1° un membre en activité du Conseil d’Etat désigné par le vice-président du Conseil d’Etat ; 2° un membre en activité de la Cour de cassation désigné par le premier président de la Cour de cassation ; 3° un membre en activité de la Cour des comptes désigné par le premier président de la Cour des comptes ; 4° un membre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique désigné par le président du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique ; 5° trois personnalités qualifiées, désignées sur proposition conjointe des ministres chargés des communications électroniques, de la consommation et de la culture ; 6° deux personnalités qualifiées, désignées respectivement par le président de l’Assemblée nationale et par le président du Sénat. Le président du collège est élu par les membres parmi les personnes mentionnées aux 1°, 2° et 3° ». Les membres du « collège » de l’Hadopi ont donc été désignés et celui-ci a procédé à l’élection de sa présidente, comme le prévoit la loi, parmi les trois magistrats. Manque encore l’adoption de quelques décrets d’application. L’institution a été dotée, par la loi de finances, d’un budget de fonctionnement de 5,3 millions d’euros pour l’année 2010. Elle s’installe dans des locaux de 1 100 mètres carrés. Le coût de la contribution des fournisseurs d’accès contre le piratage oscille entre 2 et 3 millions d’euros. On annonce l’envoi des premiers avertissements pour la fin du 1er semestre 2010.

A la Commission de protection des droits, il appartient de mettre en jeu, dans la phase administrative préalable de la « riposte graduée », le système de surveillance et de constat des « faits susceptibles de constituer des infractions » découlant des pratiques de téléchargement illégal. Dans les cas où les « recommandations » d’avoir à respecter les droits de propriété intellectuelle, en contrôlant notamment l’usage fait de l’accès à Internet, n’auront pas été suivies par les internautes indélicats, la compétence de l’autorité administrative s’arrête là. C’est alors à l’autorité judiciaire qu’il revient de prendre le relais et de prononcer les sanctions, selon la procédure mise en place par la loi du 28 octobre 2009, concernant le mode de répression de tout autre délit de contrefaçon.

La peine complémentaire de la suspension de la connexion à Internet, pour sanctionner les infractions que constituent les actes de téléchargement illégal et la « négligence caractérisée » dans la surveillance de l’usage qui en est fait, pourra désormais être prononcée par un juge unique et résulter de la « procédure simplifiée de l’ordonnance pénale »… après cependant que, dans le cadre du système dit de la « riposte graduée », l’instance administrative aura, au travers de sa Commission de protection des droits, adressé deux « recommandations » aux contrevenants ainsi invités à respecter les règles.

Rien n’assure que ce système, passablement complexe, long, lourd et coûteux, sera vraiment efficace dans la lutte contre le téléchargement illégal qui, par violation des droits des auteurs et des artistes interprètes, constitue un réel danger pour l’avenir de la création littéraire, musicale et audiovisuelle. Mais, peut-on, par quelque moyen que ce soit, espérer convaincre les internautes, qui y ont aujourd’hui accès gratuitement, de télécharger légalement, en obtenant les autorisations et en payant les droits correspondants (même si le montant en était abaissé), à chaque usage ou dans le cadre d’un abonnement ou d’une « licence globale » ?

Les tentatives de réaction et d’adaptation du droit face aux pratiques de téléchargement illégal se poursuivent. Début janvier 2010, le rapport « Création et Internet» de la commission présidée par Patrick Zelnik recommandait, dans la lignée de ce qui avait déjà été suggéré par le Rapport Olivennes, avant l’adoption de la législation nouvelle, de « favoriser le développement de la musique en ligne » (en créant « une carte « musique en ligne » pour les internautes de 15 à 24 ans », en instituant « un portail de référencement des œuvres musicales disponibles en ligne » et en lançant « une campagne de communication visant à promouvoir les services culturels en ligne ») ; de « simplifier les régimes de gestion des droits dans le secteur musical » (en étendant « le régime de la rémunération équitable à la diffusion en ligne » et en mettant « en place un régime de gestion collective obligatoire ») ; de « favoriser les investissements en faveur de la création et soutenir l’industrie musicale » ; d’étendre « le prix unique au livre numérique et défendre le passage au taux réduit de TVA » ; d’« assouplir la chronologie des médias pour permettre le développement de l’offre de cinéma en vidéo à la demande »…

Présentées par le ministre de la culture et de la communication comme étant « complémentaires » aux dispositions de la loi du 28 octobre 2009, dite « Hadopi 2 », les 22 propositions de la mission « Création et Internet » sont très différentes dans leur portée et leur signification. L’extension aux web radios du régime de la licence légale applicable aux radios conventionnelles s’impose en effet, au même titre que l’extension au livre numérique du prix unique qui s’applique au livre imprimé. D’autres préconisations, en revanche, ouvrent un débat qu’il appartiendra au Gouvernement et au Parlement de trancher. Au premier rang, parmi elles, figure la proposition de ramener de 36 à 24 mois, voire 22 mois, à compter de la date de sortie des films en salle, le délai d’exploitation réservé à la VOD par abonnement. Pour la VOD gratuite, la préconisation est de « faciliter l’expérimentation de son développement sans attendre le délai de 48 mois actuellement prévu ». En proposant de réviser ainsi la chronologie des médias pour la vidéo à la demande, les auteurs du rapport entendent favoriser le développement de l’offre légale sur Internet.

La seconde préconisation échappe davantage au cercle restreint des spécialistes et des intérêts particuliers : pour financer ces 22 propositions, estimées par les auteurs du rapport à « une cinquantaine de millions d’euros en 2009, puis à environ 35 à 40 millions d’euros par an au cours des deux années qui suivent », est proposée l’instauration d’un « prélèvement obligatoire sur les revenus publicitaires en ligne », – le rapport cite en particulier Google, Facebook, Microsoft, AOL et Yahoo ! -, probablement « de l’ordre de 1 à 2 % maximum des revenus concernés », prélèvement qui prendrait pour assiette les revenus publicitaires en ligne des sociétés établies dans l’Union européenne. A propos de ce prélèvement obligatoire, baptisé « taxe Google » par Jacques Toubon, le rapport souligne néanmoins, sans jamais évoquer les menaces de délocalisation des annonceurs, que sa mise en place nécessiterait « le soutien des principaux partenaires européens » de la France. Plus confusément, ce qui ne pouvait manquer d’être souligné, en raison du caractère « global » du Web, le rapport entend préciser : « Un dispositif de ce type permettrait de toucher des opérations réalisées entre des entités non établies en France, dès lors que l’événement sous-jacent à la transaction, – en l’occurrence, la vision d’un affichage publicitaire ou le suivi d’un lien sponsorisé – serait, lui, localisé en France ».

Professeur à l’Université Paris 2

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