Si Google fait l’objet de nombreuses plaintes de la part de ses concurrents, il semble nécessaire de distinguer celles qui relèvent du droit de la concurrence et de l’importance prise par le moteur de recherche dans la publicité en ligne d’une part, et celles qui sont liées à un besoin de réglementation sur des services nouveaux et innovants où Google se positionne d’autre part.
Google, numéro un mondial de la recherche en ligne et premier acteur de la publicité sur Internet, suscite de plus en plus d’inquiétude chez ses concurrents, ses clients et les pouvoirs publics. Les procès se multiplient non seulement, parce que Google a su s’imposer comme un acteur incontournable sur Internet, mais également parce que le groupe est parmi les plus innovants. En défrichant le Web, il propose des services et offre des possibilités que le droit doit a posteriori venir encadrer. Aussi faut-il distinguer entre deux sortes de procès dont Google fait aujourd’hui l’objet.
Parmi les procès liés au développement de nouveaux services que la justice veut encadrer, on peut citer l’affaire italienne (voir supra) concernant la protection de la vie privée sur les sites d’échange de vidéos, même si la jurisprudence en Europe laissait jusqu’ici penser que le problème était réglé, l’hébergeur de contenus n’étant pas responsable des actes des utilisateurs de son service. Dans le même ordre d’idée, le jugement rendu le 23 mars 2010 par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans le conflit opposant Google à LVMH sur le droit des marques constitue là encore une jurisprudence pour un problème nouveau né avec le développement des liens sponsorisés. La plainte remonte à 2003 : le succès de l’achat de mots clés sur Google, avec le système AdWords, a conduit certains annonceurs à acheter comme mots clés des noms de marque, dont celles de LVMH (Louis Vuitton), soit pour profiter de l’aura de la marque et attirer vers leur site un plus grand nombre d’internautes, soit pour proposer des contrefaçons. L’arrêt de la CJUE dédouane Google de la responsabilité de la commercialisation des mots clés pour les noms de marque, seuls les annonceurs étant responsables lors de l’achat en fonction de l’activité qu’ils proposent : acheter un mot clé d’une marque de voiture pour faire la promotion d’un magazine sur l’automobile ne doit pas poser problème, acheter le mot clé Louis Vuitton pour proposer des contrefaçons de marque est désormais condamnable, en plus de la seule contrefaçon. Les entreprises, dont les marques seront détournées, devront passer par un simple référé pour faire condamner l’annonceur malveillant. Google ne pourra être condamné que s’il joue un « rôle actif » auprès des annonceurs ou ne retire pas les liens sponsorisés renvoyant vers des sites aux activités illicites quand il en a connaissance. Pour Google, ce jugement de la Cour européenne valide la légalité d’AdWords, sa plate-forme de liens sponsorisés qui compte à elle seule pour deux tiers de ses revenus en 2009 (17,6 milliards de dollars de chiffre d’affaires sur un total de 23,6 milliards).
Les menaces contre Google Street View en Suisse ou en Allemagne relèvent elles aussi de l’opportunité d’une jurisprudence sur un nouveau service. Street View est un service de navigation en ligne à travers les rues des villes, réalisé à partir de photographies des rues prises par des Google Cars. Afin de protéger la vie privée et le droit à l’image, le visage des personnes et les plaques d’immatriculation sont floutés, mais l’extérieur des habitations est visible. Ce floutage est demandé systématiquement par les organismes de protection de la vie privée lors du lancement dans un pays de Street View, comme ce fut le cas, à la demande de la Cnil pour le lancement du service en France, en 2008. Pourtant, les logiciels de reconnaissance des visages et des plaques minéralogiques ont parfois des limites et certains visages apparaissent dans la rue, certaines personnes derrière leur fenêtre ; certaines maisons sont à ce point identifiables qu’il est facile pour un cambrioleur d’en connaître toutes les issues et toutes les failles. En Suisse, ce sont les failles du logiciel de floutage qui ont été dénoncées et, en août 2009, Hanspeter Thü, préposé fédéral à la protection des données personnelles, demandait à Google de stopper le développement de Street View. En Allemagne, alors que Google s’apprête à y lancer Street View, les défenseurs de la vie privée ont obtenu de Google, le 23 février 2010, que toute personne désirant faire supprimer la photographie de sa maison puisse obtenir satisfaction. Enfin, le 11 février 2010, le Groupe article 29 (G29), lequel fédère les instances nationales de protection des données, à l’instar de la Cnil en France, a envoyé un courrier à Google concernant son service Street View pour lui demander de supprimer, après six mois de conservation, les photos prises par les Google Cars, photographies que Google conserve un an pour corriger si besoin des erreurs de floutage. A cette demande concernant la durée de conservation des données personnelles, les visages des personnes étant reconnaissables sur les photographies avant floutage, s’ajoute une demande d’information préalable de la part de Google sur les zones qu’il compte photographier. Enfin, cette information préalable est complétée par la demande de répondre systématiquement aux interrogations des personnes résidant dans des zones couvertes par Street View, avec la possibilité, pour celles-ci, d’exiger la suppression des photos où elles apparaissent.
Hormis les nouveaux services que la réglementation viendra encadrer a posteriori, la position de Google dans la recherche en ligne et sur le marché publicitaire Internet soulève en même temps des questions plus classiques de concurrence. Avec plus de 90 % des recherches effectuées sur Google en France, en Allemagne et en Italie, le moteur de recherche domine en Europe et s’est imposé partout comme le leader du marché publicitaire sur Internet grâce aux liens sponsorisés qu’il commercialise. Autant dire qu’une enquête sur les pratiques de référencement du moteur de recherche et les conditions de commercialisation des liens sponsorisées menacerait directement le cœur de l’activité de Google. C’est ce qui pourrait advenir si la Commission européenne donnait suite aux trois plaintes reçues de Ciao, un comparateur de prix racheté en 2008 par Microsoft qui lui reproche ses conditions contractuelles pour la publicité en ligne, du moteur de recherche spécialisé ejustice.fr, installé en France, et du comparateur de prix britannique Foundem, ces deux derniers plaignants dénonçant les conditions de référencement de leur site dans les résultats du moteur de recherche Google. A ce jour, la Commission européenne a seulement transmis, le 24 février 2010, une demande d’explications à Google.
Sur le plan national en revanche, Google pourrait faire face plus rapidement à la justice : le 18 février 2010, Christine Lagarde, ministre français de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi, a saisi l’Autorité de la concurrence pour « expertiser le fonctionnement de la concurrence dans le secteur de la publicité sur Internet ». Cette demande d’expertise concerne au premier chef Google, principal acteur français du marché des liens sponsorisés, le rapport Zelnik rendu le 6 janvier 2010 considérant que « Google serait en mesure de se comporter de façon indépendante des autres acteurs », signe d’une éventuelle position dominante sur le marché. En Allemagne, Ciao, mais également l’éditeur de cartes en ligne Euro Cities, le BDZV et le VDZ, les deux instances représentant la presse quotidienne et la presse magazine, ont saisi l’autorité de concurrence, le Bundeskartellamt. Ciao reproche à Google ses conditions contractuelles dans la publicité en ligne, la plainte allemande ayant précédé la plainte européenne et ayant conduit à l’ouverture d’une enquête par le Bundeskartellamt. Euro Cities reproche à Google Maps, le service de cartographie de Google, de détruire le marché payant des cartes en ligne, Google Maps étant accessible gratuitement. Quant aux éditeurs de presse allemands, ils reprochent à Google les modalités de référencement des articles dans Google News, service déjà visé en Italie à la suite d’une plainte de la Fédération italienne des éditeurs de journaux (Fieg) (voir le n°12 de La revue européenne des médias, automne 2009). Enfin, aux Etats-Unis, l’absence de verdict concernant l’accord entre les éditeurs et Google Books (voir infra) comme les demandes d’information concernant le rachat de la régie mobile AdMob par Google (voir infra) risquent là encore de conduire à des procédures longues pour le géant américain de l’Internet.
Sources :
- Rapport « Création et Internet », remis le 6 janvier 2010 au ministre de la Culture et de la communication, Mission confiée à MM. Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti.
- « Les griefs contre Google », Jamal Henni, La Tribune, 14 janvier 2010.
- « Google Street View lancé prochainement en Allemagne avec des garde-fous », AFP, 23 février 2010.
- « Les pratiques de Google dans le collimateur de Bruxelles », AFP, 24 février 2010.
- « La Commission européenne va devoir se pencher sur la position dominante de Google », Anne Feitz et Nathalie Silbert, Les Echos, 25 février 2010.
- « Google : des pays européens engagent aussi des poursuites », Marie-Catherine Beuth, Le Figaro, 25 février 2010.
- « Nouvelles critiques en Europe contre le logiciel Street View de Google », AFP, 26 février 2010.
- « Les Cnil européennes critiquent Google Street View », Arnaud Devillard, 01net.com, 1er mars 2010.
- « LVMH contre Google : le droit des marques clarifié sur Internet », D. Ch. Et N. Ra., Les Echos, 24 mars 2010.
- « Google épargné par la justice européenne sur le droit des marques », Sandrine Cassini, La Tribune, 24 mars 2010.
- « Contrefaçon sur Internet : la justice européenne tranche en faveur de Google », Cécile Ducourtieux et Nicole Vulser, Le Monde, 25 mars 2010.