Cass. civ., 1ère, 12 juillet 2012, SNEP c. Stés Google France et Google Inc.
La fonctionnalité « Google Suggestions », du moteur de recherche Google, signalait automatiquement et systématiquement aux internautes les références de sites d’échanges tels que Torrentz, Megaupload ou Rapidshare, accolées aux réponses à leurs requêtes sur des noms d’artistes ou des titres de chansons.
Représentant les intérêts des sociétés de production phonographique, le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP), considérant que leurs droits de propriété intellectuelle (droit d’auteur et droits voisins) étaient violés par ceux qui, se connectant à ces sites, téléchargeaient les œuvres, prestations ou productions protégées, saisit la justice afin qu’il soit ordonné aux sociétés Google (Google France et Google Inc.) de cesser d’en faire mention. Il se fondait sur les dispositions de l’article L. 335-4 du code de la propriété intellectuelle (CPI), qui réprime « toute fixation, reproduction, communication ou mise à disposition du public […] d’un phonogramme […] réalisée sans l’autorisation » des titulaires de droits, et sur celles de l’article L. 336-2 du même code, aux termes duquel, « en présence d’une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne », les juges peuvent « ordonner à la demande des titulaires de droits […] ou des organismes de défense professionnelle […] toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier ».
Faisant sienne l’argumentation des sociétés Google, la cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 3 mai 2011, a retenu notamment que « la suggestion de ces sites ne constitue pas en elle-même une atteinte au droit d’auteur dès lors que, d’une part, les fichiers figurant sur ceux-ci ne sont pas tous nécessairement destinés à procéder à des téléchargements illégaux, qu’en effet, l’échange de fichiers contenant des œuvres protégées notamment musicales sans autorisation ne rend pas ces sites en eux-mêmes illicites, que c’est l’utilisation qui en est faite par ceux qui y déposent des fichiers et les utilisent qui peut devenir illicite, que, d’autre part, la suggestion automatique de ces sites ne peut générer une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin que si l’internaute se rend sur le site suggéré et télécharge ». Elle en conclut que « les sociétés Google ne peuvent être tenues pour responsables du contenu éventuellement illicite des fichiers échangés figurant sur les sites incriminés ni des actes des internautes recourant au moteur de recherche ». En conséquence, elle refusa de satisfaire la demande du SNEP.
A l’inverse, la Cour de cassation estime que, « en se déterminant ainsi quand, d’une part, le service de communication au public en ligne des sociétés Google orientait systématiquement les internautes, par l’apparition des mots-clés suggérés en fonction du nombre de requêtes, vers des sites comportant des enregistrements mis à la disposition du public sans l’autorisation des artistes-interprètes ou des producteurs de phonogrammes, de sorte que ce service offrait les moyens de porter atteinte aux droits des auteurs ou aux droits voisins, et quand, d’autre part, les mesures sollicitées tendaient à prévenir ou à faire cesser cette atteinte par la suppression de l’association automatique des mots-clés avec les termes des requêtes, de la part des sociétés Google qui pouvaient ainsi contribuer à y remédier en rendant plus difficile la recherche des sites litigieux, sans, pour autant, qu’il y ait lieu d’en attendre une efficacité totale, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». En conséquence, elle annule la décision contestée et renvoie devant une autre cour d’appel qui devra statuer en tenant compte des principes dégagés par la Cour de cassation.
Bien que n’étant pas elles-mêmes directement responsables des atteintes portées aux droits de propriété intellectuelle, en raison des suggestions faites, par elles, des différents sites de télécharge- ment, les sociétés Google, en s’abstenant d’en faire mention, sont cependant en mesure d’en atténuer la menace et l’impact. En application de l’article L. 336-2 CPI et selon l’interprétation qu’en fait la Cour de cassation, elles devraient donc pouvoir être considérées comme susceptibles « de contribuer à y remédier » en se voyant ordonner de prendre « toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte ». On attend la décision de la Cour de renvoi.