Au titre des « exceptions et limitations » aux droits des auteurs et des titulaires de droits voisins, la directive européenne 2001/29/CE, dite « droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information », du 22 mai 2001, pose que « les Etats membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations au droit de reproduction » et notamment « lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable ». Obligation est ainsi faite aux différents Etats membres de l’Union européenne de « transposer » cette règle dans leur droit interne. Ils bénéficient en cela d’une certaine marge de détermination et d’appréciation, sous le contrôle cependant de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
Des contestations de non-conformité sont susceptibles d’être formulées par des justiciables devant les juridictions nationales. En cas d’incertitude, celles-ci peuvent, par la voie d’une « question préjudicielle », saisir la Cour de justice, avant de faire éventuellement application des dispositions en cause, si elles sont déclarées conformes.
C’est ainsi que, dans un litige opposant la société Amazon à une société autrichienne de gestion collective des droits, ladite Cour, dans un arrêt du 11 juillet 2013 (CJUE, 11 juillet 2013, C-521/11, Amazon.com International Sales Inc. c. Austro- Mechana Gesellschaft), a été amenée à se prononcer sur plusieurs éléments de contestation.
Après avoir fait rappel des dispositions de la loi autrichienne, seront considérées les appréciations de la Cour de justice de l’Union européenne sur les différents éléments qui lui ont été soumis.
Au-delà de ce seul cas d’espèce, la portée de la décision vaut pour les différentes lois nationales qui ont le même objet et qui, en raison de l’harmonisation découlant de la directive, sont fondamentalement semblables et donc susceptibles du même genre de contestations.
Dispositions de la loi autrichienne
L’article 42 de la loi autrichienne sur le droit d’auteur pose, en son paragraphe 1, que « chacun peut réaliser des copies isolées, sur papier ou sur un support similaire, d’une œuvre pour son usage personnel ».
En son paragraphe 4, il est précisé que « toute personne physique peut réaliser des copies isolées d’une œuvre sur des supports autres que ceux visés au paragraphe 1 pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales ». Sont ainsi implicitement visés les supports d’œuvres et de prestations sonores et audiovisuelles.
Pour tenir compte de l’impact de telles copies privées sur l’exploitation commerciale des œuvres et des prestations qui en sont l’objet et compenser le manque à gagner qui en découle pour les titulaires de droits, l’article 42 b) de la même loi dispose que ceux-ci ont « droit à une rémunération appropriée » lorsque des supports d’enregistrement vierges « sont mis en circulation sur le territoire national à des fins commerciales et à titre onéreux ». Il précise qu’est tenue « au paiement de la rémunération » la personne qui y procède.
Les sommes en question ne peuvent être prélevées et gérées que par des sociétés de gestion collective. Indication y est encore faite que la part de ladite rémunération doit être remboursée « à la personne qui exporte vers l’étranger » de tels supports d’enregistrement et à celle qui les utilise « pour une reproduction avec le consentement » des ayants droit, donnant généralement lieu à rémunération. Obligation est enfin faite aux « sociétés de gestion collective qui se prévalent d’un droit à rémunération » au titre des supports vierges « de créer des établissements à but social ou culturel et de leur verser 50 % du montant total des recettes générées par cette rémunération ».
Dans le litige opposant la société Amazon à la société de gestion collective autrichienne, certaines de ces dispositions étaient contestées et ont donné lieu à la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne.
Appréciations de la Cour de justice
Amazon ayant mis des supports d’enregistrement vierges en circulation sur le territoire autrichien, la société de gestion collective lui réclamait le versement de la rémunération correspondante. Pour s’y opposer, la société de commerce en ligne souleva divers arguments que la juridiction nationale saisie transmit, dans le cadre des questions préjudicielles, à la CJUE. Celles-ci portaient notamment sur les utilisations non concernées par le prélèvement de la rémunération ; la présomption d’usage privé des supports d’enregistrement ; le financement, par les sommes prélevées, d’activités sociales et culturelles ; et enfin le fait qu’une redevance ait déjà été payée, pour le même support, dans un autre Etat membre.
– Utilisations non concernées
Le prélèvement de la redevance sur tous les supports vierges, y compris sur ceux qui sont acquis « à des fins manifestement étrangères à celle de copie privée », ne serait pas conforme aux exigences de la directive européenne. Dans l’impossibilité de déterminer, au moment de leur vente, l’usage qui en sera fait, se pose la question d’un « droit au remboursement de la redevance payée ».
La Cour répond que la directive « ne s’oppose pas à la réglementation d’un État membre qui applique sans distinction une redevance pour copie privée à la première mise en circulation sur son territoire […] de supports d’enregistrement susceptibles de servir à la reproduction, tout en prévoyant, en même temps, un droit au remboursement des redevances payées dans l’hypothèse où l’utilisation finale de ces supports » sert à des usages autres que de copie privée et pour lesquels une rémunération directe est donc versée aux titulaires de droits.
– Présomption d’usage privé
La Cour de justice estime que « dans le cadre de la marge d’appréciation dont disposent les Etats membres […] il leur est loisible de prévoir des présomptions » d’usage privé. En effet, elle considère que « la simple capacité des supports d’enregistrement à réaliser des copies suffit à justifier l’application de la redevance pour copie privée ».
Elle conclut que « compte tenu des difficultés pratiques liées à la détermination de la finalité privée de l’usage d’un support d’enregistrement susceptible de servir à la reproduction, l’établissement d’une présomption réfragable d’un tel usage lors de la mise à disposition de ce support auprès d’une personne physique est, en principe, justifié et répond au « juste équilibre » à trouver entre les intérêts des titulaires du droit exclusif de reproduction et ceux des utilisateurs d’objets protégés ».
– Financement d’activités sociales et culturelles
La loi autrichienne prévoit qu’une partie des sommes ainsi prélevées, au titre de la compensation pour usages privés des supports d’enregistrement, devra servir au financement d’activités sociales et culturelles.
Saisie de ce point, la CJUE conclut que cela « n’est pas en soi contraire à l’objet de ladite compensation ».
– Redevance payée dans un autre Etat
Compte tenu du fait que, s’agissant de sites tels qu’Amazon, la commercialisation de ces supports d’enregistrement peut se faire d’un Etat vers un autre Etat, était posée la question de l’application d’un prélèvement pour copie privée à l’égard d’un support sur lequel il aurait déjà été effectué dans le pays d’origine.
La CJUE estime que « le fait qu’une redevance destinée à financer » la rémunération pour copie privée « ait déjà été payée dans un autre Etat membre ne saurait être invoqué pour écarter le paiement » dans l’Etat de mise à disposition et d’utilisation du support d’enregistrement.
Elle ajoute cependant que « la personne qui a payé préalablement cette redevance dans un Etat membre qui n’est pas compétent », parce que la copie privée dont il s’agit de compenser ainsi les effets n’aurait pas été réalisée sur son territoire, doit pouvoir « lui demander le remboursement de celle-ci ».
La question de la rémunération pour copie privée constitue, dans un monde sans frontières, une illustration de l’apport de l’harmonisation des législations nationales par les directives européennes, harmonisation destinée tout à la fois à élever le niveau de protection des droits de propriété intellectuelle et à garantir la libre circulation des produits et le respect des droits des consommateurs, dans des conditions qui peuvent apparaître, parfois, délicates et incertaines sinon conflictuelles et nécessiter ainsi, dans le cadre de questions préjudicielles, l’éclairage et l’appréciation de la Cour de justice de l’Union européenne.