L’Arcep, gendarme de la neutralité de l’internet

Le 10 juillet 2013, le Conseil dEtat sest prononcé en faveur de l’Arcep dans le règlement d’un contentieux qui opposait l’autorité de régulation des télécommunications et les opérateurs AT&T et Verizon (voir REM n°24, p.10). La plus haute juridiction administrative autorise la collecte par l’Arcep, auprès des opérateurs, d’informations sur les conditions techniques et tarifaires de l’interconnexion et de l’acheminement de données.

Liées au fonctionnement économique et technique de l’internet, les deux activités – interconnexion et acheminement de données – sont sources de conflits entre les différents acteurs concernés, fournisseurs d’accès, services de contenus et opérateurs de transit. Les filiales françaises des opérateurs américains AT&T et Verizon contestaient cette initiative annoncée par l’autorité de régulation en mars 2012. Afin d’assurer son rôle d’arbitre, l’Arcep a reçu l’aval du Conseil d’Etat. Elle est donc en droit d’attendre des opérateurs de communications électroniques, soumis à une obligation de déclaration auprès de l’autorité de régulation pour exercer leur activité sur le territoire national, qu’ils lui fournissent un relevé semestriel de leurs données d’interconnexion. En outre, l’Arcep se réserve le droit d’adresser ponctuellement la même demande aux opérateurs établis à l’étranger, dès lors qu’ils interagissent avec les opérateurs du marché français, ainsi qu’aux fournisseurs de services en ligne accessibles en France. Cette démarche est inédite dans l’univers de la régulation des télécoms.

Confortée ainsi dans l’exercice de sa mission de règlement des conflits entre acteurs du Net, l’Arcep a donné raison, fin juillet 2013, au fournisseur d’accès Free, en conflit depuis de nombreux mois avec la plate-forme vidéo YouTube (voir REM n°24, p.10). Pour résoudre les problèmes d’embouteillages aux heures de pointe sur le réseau dont les internautes sont les premières victimes, Google, propriétaire de la plate-forme vidéo, refusait de payer plus cher l’augmentation nécessaire des capacités d’interconnexion, tandis que Free avait riposté, en janvier 2013, bloquant l’acheminement des publicités, notamment celles transmises par la régie publicitaire de Google, grâce à un logiciel installé sur les box de ses abonnés. Constatant que « les capacités d’inter-connexion de Free, comme c’est le cas pour l’ensemble des fournisseurs d’accès à Internet […] sont congestionnées aux heures de pointe », affectant ainsi l’ensemble des sites internet passant par le même tuyau que YouTube, « sans distinction de nature, d’origine ou de destination », l’Arcep a estimé que le fournisseur d’accès Free n’avait pas enfreint le principe de la neutralité de l’internet, principe selon lequel les contenus et les services doivent être acheminés sans discrimination. En matière de gestion de trafic, différents cas de figurent existent. Ainsi, la plate-forme française de partage de vidéos DailyMotion assure la qualité de l’acheminement de ses contenus auprès des abonnés de Free en passant par un opérateur intermédiaire, Neo Telecom. Fin 2013, l’Arcep publiera les premières conclusions de son observatoire de la qualité du service délivré par les fournisseurs d’accès à l’internet fixe.

Dans son projet de révision de la réglementation européenne baptisée « paquet télécom », présenté le 12 septembre 2013, la Commission européenne définit la neutralité de l’internet comme « l’obligation pour les fournisseurs d’accès internet de fournir une connexion sans entrave à tous les contenus, applications ou services accédés par les utilisateurs finaux, tout en régulant l’usage des mesures de gestion de trafic par les opérateurs pour ce qui est de l’accès général à Internet. Dans le même temps, le cadre légal pour les services spécialisés est clarifié ». Afin de garantir aux utilisateurs l’accès à un internet ouvert, indépendamment du coût ou de la vitesse prévus par leur abonnement, la Commission européenne veut interdire le blocage et la limitation des contenus et des services. Elle autorise néanmoins les opérateurs à pratiquer une « gestion de trafic raisonnable », de manière « transparente et non discriminatoire », pour des raisons de sécurité ou pour décongestionner l’accès au réseau.

La Commission européenne souhaite que les entreprises aient toujours la possibilité de fournir des « services spécialisés à qualité de service garantie », tels que la télévision par internet (IPTV), la vidéo à la demande, des applications d’imagerie médicale ou encore des services informatiques en nuage, mais sans dégrader pour autant « de façon récurrente ou continue » la qualité de l’accès à l’internet dans sa totalité. Les consommateurs pourront dénoncer leur contrat si un fournisseur d’accès ne leur assure pas la rapidité des flux promise. Les éditeurs de services générant des volumes importants de données, comme YouTube et Facebook, pourront donc passer des accords avec les opérateurs afin d’être distribués sur une voie d’accès réservée, avec une qualité définie en volume ou en débit. Par ailleurs, les opérateurs devront assurer une égalité de traitement entre leurs propres services et ceux de leurs concurrents.

Pour les associations de défense des libertés sur l’internet, comme la française La Quadrature du Net, militant pour un internet ouvert, les règles édictées par la Commission européenne autorisent expressément « la discrimination commerciale par le biais de la priorisation de certains services ». Ces associations redoutent la mise en place d’un internet à deux vitesses : la création de voies rapides aura pour conséquence de rendre l’exploitation du reste du réseau moins rentable pour les opérateurs, alors que ces derniers devraient investir pour accroître la capacité technique de l’internet dans son ensemble plutôt que de gérer ses insuffisances. Selon la Commission européenne, « la qualité de l’internet « best effort » [sans garantie de débit] s’améliorera grâce à l’introduction d’une règle explicite de non-discrimination et une interdiction du blocage. De plus, les services [gérés] ne doivent pas être présentés ou utilisés largement comme un substitut aux services d’accès à l’internet « normaux » ». En outre, comme l’affirme la Commission, les régulateurs nationaux sont là pour imposer le respect de la neutralité du Net : en contrôlant la qualité de l’accès à l’internet, ils empêcheront les opérateurs de « sous-investir ». Pour sa part, La Quadrature du Net attend du Parlement européen « qu’il sanctuarise enfin la neutralité du Net ». Un procès est en cours aux Etats-Unis, où le fournisseur d’accès Verizon conteste le pouvoir de la FCC (Federal Communications Commission) qui assure le respect de la neutralité du transport des services sur l’internet.

Sources :

  • « L’ARCEP rend publique sa décision relative à la collecte d’informations sur les conditions techniques et tarifaires de l’interconnexion et de l’acheminement de données », communiqué de presse, ARCEP, arcep.fr, 30 mars 2012.
  • « L’Arcep pourra enquêter sur le Net », Guillaume de Calignon, Les Echos, 11 juillet 2013.
  • « Le régulateur des télécoms blanchit Free dans son litige contre YouTube », Guillaume de Calignon, Les Echos, 22 juillet 2013.
  • « Les eurodéputés appelés à retoucher le Paquet Télécom pour sauver la neutralité du Net », Julien L., numerama.com, 12 septembre 2013.
  • « Comment l’UE définit la « neutralité du Net » », Guénaël Pépin, lemonde.fr, 16 septembre 2013.
  • « Le débat sur la neutralité du Net relancé aux Etats-Unis », Guénaël Pépin et Laurent Checola, Le Monde, 22-23 septembre 2013.
Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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