Aux Etats-Unis, la FCC propose un accès internet par paliers

Une bataille juridique de longue haleine s’engage entre les partisans et les opposants à la neutralité du réseau, à la suite d’une proposition de la FCC d’autoriser un traitement préférentiel entre les services internet. Cette mesure déstabiliserait davantage les nouveaux entrants que les grands groupes déjà bien implantés sur le web.

Ala suite d’une décision de justice, rendue en janvier 2014, remettant en cause l’Open Internet Order, réglementation adoptée par la FCC (Federal Communication Commission) en 2010 et garantissant la neutralité du réseau (voir REM n°29, p.53), l’Autorité américaine de régulation des télécommunications a finalement renoncé à porter l’affaire devant la Cour suprême des Etats-Unis. Sa marge de manœuvre, néanmoins, est étroite. Compter sur l’amendement du Telecommunications Act de 1996 afin de conférer à la FCC un pouvoir de régulation, qu’elle n’a pas, sur les services d’information, auxquels sont assimilés les fournisseurs d’accès à internet, est une solution qui prendrait plusieurs années, d’autant que cette volonté politique n’est pas assurée au Congrès américain. Considérer les fournisseurs d’accès à internet comme de simples transporteurs, à l’instar des compagnies de téléphone, serait les exposer à une réglementation trop complexe sur les prix et les services, aboutissant à un contrôle excessif du secteur, auquel le président de la FCC, Tom Wheeler, n’est pas favorable.

Néanmoins, dans sa décision, la Cour d’appel reconnaît à la FCC un pouvoir de régulation sur l’accès au haut débit. Profitant de cette marge d’action, la FCC a donc choisi de proposer de nouvelles règles de régulation, applicables au cas par cas. Ainsi, trois membres appartenant au Parti démocrate sur les cinq que compte la FCC, contre deux républicains farouchement opposés à toute régulation dans ce domaine, ont adopté le 15 mai 2014 « un projet sur la neutralité de l’internet ».

Garantissant une égalité de traitement dans l’accès internet, quels que soient l’émetteur, le destinataire et le contenu, la décision de la FCC interdit à un fournisseur d’accès de bloquer ou de limiter le flux d’un site internet trop gourmand en débit. Mais, parallèlement, la FCC prévoit d’autoriser les fournisseurs d’accès à facturer plus cher les fournisseurs de contenus afin d’obtenir une vitesse de trafic plus rapide.

La sauvegarde de la neutralité du Net passe donc, selon la FCC, par l’établissement d’accords commerciaux afin de la contourner. La FCC précise toutefois qu’elle examinera chaque accord afin d’en contrôler la tarification, appelée à être « commercialement raisonnable ». Cette nouvelle règle permettrait une plus grande transparence du fonctionnement de l’internet, les internautes étant ainsi mieux informés sur les conditions de gestion du trafic mises en place par leurs fournisseurs d’accès. Ces derniers pourront, le cas échéant, adresser leurs plaintes à un médiateur chargé d’enquêter et d’assurer la mise en œuvre de meilleures prestations de service.

Malgré la déclaration de la FCC de ne pas renoncer totalement à l’idée de gérer l’internet comme un service public, comme l’eau et l’électricité, secteurs où les compagnies sont soumises à une régulation beaucoup plus sévère, ce projet d’un internet à deux vitesses a déclenché, avant même son annonce officielle, les foudres de l’ensemble des acteurs américains du web. Plus de 150 entreprises du secteur (Amazon, eBay, Facebook, LinkedIn, Twitter,Google, Yahoo!, Microsoft, Netflix, Kickstarter, Zynga, Mozilla, Dropbox, BitTorrent…) ont signé, le 8 mai 2014, un appel contre ce qui représente selon eux « une grave menace envers internet ». Les propositions de la FCC constituent à leurs yeux « une discrimination à la fois technique et financière contre les sociétés internet » de la part des fournisseurs d’accès qui leur imposeront par là même de nouvelles taxes. Ils ajoutent que « l’innovation que nous avons connue jusqu’ici est arrivée dans un monde sans discrimination. Un internet ouvert est aussi une plate-forme pour la liberté d’expression et une opportunité pour des milliards d’utilisateurs ».

Les grands groupes internet comme Netflix ou YouTube, qui engendrent à eux deux plus de la moitié du trafic américain en soirée, ont les moyens de s’adapter à cette nouvelle régulation. C’est en tout cas ce qu’indique l’accord commercial signé en février 2014 par la plate-forme de vidéo en streaming par abonnement avec le câblo-opérateur Comcast, accord permettant un accès direct à ses infrastructures (sans passer par un réseau intermédiaire), afin de bénéficier du haut débit. Le groupe Apple a entamé, lui aussi, des négociations avec le même câblo-opérateur pour son service Apple TV, qui offrirait ainsi la même qualité de transmission que les chaînes de câble. Quant à Google, il a déjà pris les devants en déployant un réseau en fibre optique – une technique encore très peu utilisée aux Etats-Unis – afin d’offrir à un prix défiant toute concurrence un accès internet 100 fois plus rapide que le câble dans une trentaine de villes d’ici à 2015.

En revanche, malgré la volonté de Tom Wheeler, président de la FCC (ancien lobbyiste des fournisseurs d’accès), « de ne jamais laisser compromettre une richesse nationale comme un internet ouvert », les start-up sans moyens financiers compteront parmi les premières victimes. Un internet à deux vitesses favorise immanquablement les acteurs existants au détriment des nouveaux entrants. « Imaginez si MySpace avait pu payer pour limiter le développement de Facebook », explique Marvin Ammori, membre du think tank New America Fondation, tout en précisant très opportunément qu’il est plus facile pour un internaute de se rendre sur un autre site que de changer de fournisseur d’accès.

Sa décision étant ouverte au débat public, la FCC devra prendre en compte les arguments de l’ensemble des parties concernées, avant de publier des règles définitives prévues pour la fin de l’année 2014. Place sera faite alors à d’autres formes de débat, dans l’enceinte des tribunaux. Comme le résume le vice-président de l’opérateur télécom AT&T, « quelqu’un doit payer ».

Sources :

  • « Court Tosses Rules of Road for Internet », Gautham Nagesh and Amol Sharma, online.wsj.com, January 14, 2014.
  • « Netflix accepte de rémunérer un câblo-opérateur », Karl De Meyer, Les Echos, 25 février 2014.
  • « Pourquoi Google veut devenir fournisseur d’accès à Internet »,Jérôme Marin, Le Monde, 12 mars 2014.
  • « Le régulateur américain prêt à enterrer la neutralité du Net », Jérôme Marin, Le Monde, 25 avril 2014.
  • « Etats-Unis : 150 entreprises du secteur technologique signent un appel à garder “un internet libre et ouvert” », La Correspondance de la Presse, 9 mai 2014.
  • « Le régulateur américain ouvre la voie à un internet à deux vitesses », AFP, tv5.org, 15 mai 2014.
  • « Les Etats-Unis ouvrent la porte à un Internet à deux vitesses »,Le Monde.fr, 15 mai 2014.
  • « Coup de canif du régulateur américain à la neutralité du Net », Karl De Meyer, Les Echos, 16-17 mai 2014.
  • « Aux Etats-Unis, l’autorité de régulation ouvre la voie à un internet à deux vitesses », Stéphane Lauer, Le Monde, 18-19 mai 2014.

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