Couvert par l’exception du fair use, Google Books est légal aux Etats-Unis

Aux Etats-Unis, les poursuites engagées en 2005 contre le projet Google Books par le représentant des auteurs ont à nouveau été rejetées par la cour d’appel de New York, qui estime que Google Books est légal, ce service étant couvert par l’exception du fair use.

Depuis décembre 2004, Google construit la plus grande bibliothèque en ligne du monde, Google Books : « Aujourd’hui, c’est à la fois un outil de recherche intra-texte, de consultation de livres en ligne ou sur appareil mobile, de constitution de collections personnelles, et de téléchargement d’ouvrages libres de droits ; c’est aussi une librairie en ligne via la boutique Google Play, un outil permettant de trouver où emprunter un exemplaire de livre en bibliothèque, et un fournisseur d’informations complémentaires (métadonnées) sur les œuvres. Le nom du programme Google Books désigne communément plusieurs éléments distincts : le service de recherche « Google Book Search« , le « Google Book Partner Program » qui permet aux éditeurs d’inclure ou non leurs ouvrages dans la base de données de Google, et le « Google Books Library Project » qui regroupe les partenariats avec les bibliothèques », selon Wikipédia.
En numérisant des millions de livres sans demander l’accord des auteurs et des éditeurs pour ceux qui ne sont pas tombés dans le domaine public, Google s’est attiré les foudres de leurs représentants, un peu partout dans le monde, notamment en France et aux Etats-Unis. Dès 2006 en France, les éditions Lamartinière, rejointes par le Syndicat national de l’édition et la Société des gens de lettres, s’estimaient victimes de contrefaçon de droits d’auteur.
Dans une décision de septembre 2009, Google s’était vu interdire par le tribunal de grande instance de Paris de numériser des ouvrages sans l’autorisation de leurs éditeurs. Après avoir interjeté appel, Google était finalement parvenu, à un accord de numérisation avec la maison d’édition avant le verdict en août 2011. De nombreux procès suivirent, opposant Google à Gallimard, à Flammarion, ou encore à Albin Jeunesse.
Aux Etats-Unis, dès 2005, l’Authors Guild et l’Association of American Publishers (AAP), organisations représentant les ayants droit et les éditeurs, avaient engagé des poursuites contre Google pour atteinte à la loi sur le copyright (voir La REM n°9, p.30).Entre septembre 2006 et novembre 2009, des négociations entre les parties débouchent sur un accord baptisé « Google Book Settlement », validé sur le principe le 17 novembre 2008 par le juge alors chargé du dossier, John E. Sprizzo. Cet accord concernait, entre autres, l’exploitation par Google de cette « zone grise », qui vise des ouvrages encore soumis au régime du copyright, mais indisponibles dans le commerce.
De vastes débats ponctuèrent l’affaire aux Etats-Unis et en Europe et, en juillet 2009, le ministère américain de la justice ouvrit une enquête sur le projet d’accord et demanda au juge fédéral new-yorkais Denny Chin d’invalider l’accord pour vice de procédure, violation de loi antitrust et atteinte aux droits d’auteur, notamment à propos de cette zone grise. En mars 2011, le juge Denny Chin rejette l’accord conclu entre les protagonistes, qui prévoyait notamment le versement aux auteurs d’un pourcentage des revenus générés sur Google Books par l’intermédiaire d’un organisme indépendant de gestion les représentant (voir La REM n°18-19, p.10).
Cet accord aurait pu conférer à Google un monopole de fait. Entre-temps, en octobre 2012, Google et l’Association des éditeurs américains (AAP) annoncèrent avoir trouvé un accord à l’amiable, permettant aux éditeurs de demander le retrait de leurs titres numérisés, mais aussi de collaborer avec Google, ce qui solda la procédure judiciaire. En ce qui concerne l’Authors Guild, qui n’était pas parvenue à un accord avec Google, la cour d’appel des Etats-Unis rendit finalement un jugement favorable à Google, le 14 novembre 2013, considérant que son programme Google Books pouvait bénéficier de l’exception légale au respect du copyright dite fair use, le dispensant ainsi d’obtenir l’autorisation préalable des auteurs pour numériser leurs ouvrages (voir La REM n°29, p.52).
Le syndicat des auteurs américains a alors fait appel de cette décision, dont le verdict a été rendu le 16 octobre 2015 : couvert par l’exception du fair use, Google Books est donc légal aux Etats-Unis. Les juges de la cour d’appel fédérale de New York ont en effet confirmé leur précédente décision, au motif que « la création par Google d’une copie numérique pour assurer une fonction de recherche est un usage transformatif qui améliore les connaissances du public en rendant les informations sur les livres des plaignants, disponibles au public. […] Un usage transformatif communique quelque chose de nouveau et de différent de l’original et étend son utilité, servant ainsi l’objectif global du copyright, qui est de contribuer à la connaissance du public ».
De plus, pour les livres numérisés et protégés par le copyright, le fait que soient seulement disponibles « de minuscules fragments discontinus, d’un total de 16 % du livre ne menace pas les titulaires de droits d’une perte significative de la valeur de leurs droits ni ne diminue les revenus liés à leur copyright ». En juin 2014, la même cour d’appel avait déjà débouté l’Authors Guild d’une plainte contre l’HathiTrust Digital Library (HDL), une bibliothèque en ligne constituée de presque 10 millions d’ouvrages numérisés, née d’un consortium regroupant des universités et des bibliothèques américaines et européennes ainsi que Google Books et Internet Archive.
Sur le principe, l’organisation représentant les auteurs ne serait pas opposée à Google Books, mais chercherait à rémunérer les auteurs. Selon Roxana Robinson, présidente de l’Authors Guild, « les auteurs ont en réalité appris à Google à lire. Nos ouvrages ont aidé le moteur à mieux reconnaître et répondre dans un langage naturel, ce qui est essentiel à la réussite de sa fonction de recherche. Google a sans doute bien profité de nos livres pour ses utilisations internes, mais il n’a pas eu la décence de reverser un centime aux auteurs, ni de leur demander la permission ». L’Authors Guild a d’ores et déjà annoncé qu’elle tenterait un ultime recours devant la Cour suprême des Etats-Unis, dont on saura si elle se saisit de l’affaire au printemps 2016.
Circonscrite au seul territoire américain, cette décision est cependant une victoire pour Google qui, depuis 2004, aurait déjà numérisé plus de 20 millions de livres. En effet, la plupart des législations européennes en matière de droit d’auteur ne reconnaissent pas cette exception du fair use.
Sources :
  • « Numérisation des livres : la justice américaine valide Google Books », AFP, Lesechos.fr 16 octobre 2015.
  • « Google Book est légal », Juliette Ancelle, Blogs.letemps.ch, 29 octobre 2015.
  • « End of the Line for Google Books Lawsuit ? », Carl Straumsheim, InsideHigherEd.com, january 5, 2016.
  • « Google Livres », Wikipedia.fr, consulté le 4 février 2016.
Docteur en sciences de l’information et de la communication, enseignant à l’Université Paris-Panthéon-Assas, responsable des opérations chez Blockchain for Good

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici