Google sanctionné par la Commission européenne

Condamné après huit ans de procédure pour abus de position dominante dans l’affaire Google Shopping, Google devra repenser ses résultats de recherche, alors que des enquêtes sont toujours en cours concernant Android et la publicité en ligne.

La multiplication des avertissements aura finalement conduit la Commission européenne à sanctionner une première fois Google le 27 juin 2017, et cette sanction ne concerne que l’une des trois enquêtes ouvertes par la Commission européenne. À chaque fois, Google se voit reprocher de possibles abus de position dominante, du fait de sa part de marché écrasante dans la recherche en ligne ou encore dans les systèmes d’exploitation pour smartphone : en Europe, plus de 80 % des recherches en ligne passent par Google Search et plus de 90 % des applications téléchargées sous Android le sont depuis Google Play, Android disposant par ailleurs d’une part de marché sur les systèmes d’exploitation pour smartphone supérieure à 80 %. Ces chiffres témoignent de la performance des services édités par Google et du plébiscite des internautes, mais ils masquent aussi, pour la Commission européenne, des pratiques qui se révèlent contraires au droit de la concurrence.

Actuellement, deux enquêtes sont encore en cours. La première porte sur Android, une communication de griefs ayant été transmise à Google le 20 avril 2016 (voir La rem n°38-39, p.26). La Commission européenne reproche notamment au moteur de recherche des pratiques anticoncurrentielles qui pénalisent l’innovation sur le marché des applications. En l’occurrence, Google est soupçonné d’imposer aux fabricants recourant à Android d’installer par défaut certaines de ses applications phares, Google Chrome (navigateur) et Google Search (moteur de recherche). Il s’opposerait à l’utilisation de « forks », des versions d’Android non développées par Google, mais pour autant légales dans la mesure où Android est proposé en open source (à cette fin, Google conditionnerait l’accès à ses applications phares à l’installation préalable de sa version d’Android). Enfin, la Commission européenne soupçonne Google de proposer aux fabricants des contreparties financières en échange de l’installation par défaut de Google Search. À l’évidence, l’enjeu est de taille pour Google dont le chiffre d’affaires repose à 90 % sur la publicité. Construit dans l’univers du PC « fixe », avec le moteur de recherche qui s’est imposé par défaut comme page d’accueil des navigateurs du monde entier, le modèle publicitaire de Google doit migrer sur mobile où bascule l’essentiel des connexions.

On comprend dès lors l’importance qu’il y a pour Google à développer la recherche sur mobile pour ne pas laisser à d’autres le contrôle de la navigation des internautes, par exemple à Facebook, dont l’application est omniprésente dans l’univers mobile. C’est d’ailleurs cet argument qu’avance Google, qui rappelle qu’Android a d’abord été un moyen de réintroduire la concurrence sur le marché des smartphones dominé à l’origine par Apple et son système propriétaire, et que personne n’est obligé de passer par Google Play pour installer une application. La seconde enquête en cours a débuté le 14 juillet 2016 avec une communication de griefs portant cette fois-ci sur AdSense, la régie en ligne de Google chargée de commercialiser des liens sponsorisés sur des sites tiers. Quand les sites tiers ont un partenariat avec Google Search pour leur moteur de recherche interne, Google les forcerait à ne pas recourir à des régies concurrentes pour l’affichage sur leurs pages de publicité contextuelle (voir La rem n°40, p.14).

Si ces enquêtes sont encore en cours, celle qui fut lancée en 2010 au sujet de Google Shopping est désormais close. Déjà, le 14 juillet 2016, l’envoi à Google d’une seconde communication de griefs indiquait que la Commission européenne était allée au bout du dossier, la jurisprudence prévoyant toujours une deuxième communication de griefs une fois le dossier étayé, pour permettre à l’entreprise de formuler une réponse à partir des éléments les plus récents. La Commission européenne y indiquait ainsi être arrivée à la « conclusion préliminaire selon laquelle Google a abusé de sa position dominante en favorisant systématiquement son service de comparaison de prix dans ses pages de résultats ». Google était pourtant presque parvenu à trouver un accord avec la Commission européenne sur Google Shopping, en proposant d’identifier clairement celui-ci en dehors des résultats du référencement naturel, tout en faisant une place aux comparateurs concurrents dans l’espace dédié aux résultats de recherche thématique ou « verticale », affichés au sein du moteur généraliste (voir La rem n°30-31, p.18). Finalement, l’accord amiable aura buté sur les réticences de la France et de l’Allemagne qui, avec le renouvellement de la Commission européenne, ont vu l’enquête relancée par la nouvelle commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager (voir La rem n°33, p.10).

Le 27 juin 2017, le verdict tombait : Google est accusé d’abus de position dominante parce qu’il a couplé des résultats de Google Shopping avec les résultats de Google Search, profitant de la puissance de ce dernier sur la recherche en ligne pour imposer son comparateur de prix face à celui de ses concurrents. Du fait de « l’ampleur et la durée » de l’abus de position dominante, constaté depuis 2008, l’amende atteint le montant record de 2,42 milliards d’euros, une somme jusqu’ici jamais exigée de la part de la Commission européenne. Google a 90 jours pour mettre fin à ces pratiques, faute de quoi l’entreprise sera soumise à des pénalités quotidiennes. Sur le fond, la décision européenne est historique parce qu’elle entérine définitivement la position dominante de Google Search dans la recherche en ligne. Dès lors, toute enquête associée à la recherche s’inscrira immédiatement à l’intérieur de ce périmètre, ce qui menace la stratégie de Google qui enrichit de plus en plus ses résultats de recherche de réponses apportées par ses « verticales », c’est-à-dire ses moteurs de recherche spécialisés (Maps, Images, Voyages pour les billets d’avion, etc.). Or, des plaintes comparables ont été portées concernant Maps et Images. Autant dire que la Commission européenne vient de se donner les moyens de contraindre Google à favoriser une pluralité d’acteurs dans la recherche verticale, quelles que soient à l’avenir les modalités d’affichage qui seront retenues pour ce type de résultats dans les interfaces de recherche des internautes.

Reste à savoir si limiter de telles pratiques ne revient pas à assécher les potentialités de la recherche en ligne, donc aussi une certaine innovation, parce que le moteur anticipe les besoins de son utilisateur qui, par une requête généraliste, cherche finalement le meilleur prix pour un bien ou encore un itinéraire que seul un moteur spécialisé peut lui proposer. C’est désormais la ligne de défense de Google qui indique que le marché des comparateurs de prix n’est pas en lui-même pertinent, puisque la recherche de prix et leur comparaison passe aussi par les sites d’e-commerçants et les places de marché. Si l’on élargit ainsi le périmètre, Google Shopping n’est plus qu’un service d’annonces publicitaires quand Amazon risque la position dominante sur les comparateurs de prix, preuve de la complexité du dossier.

Le 11 septembre 2017, Google a d’ailleurs introduit un recours en annulation devant la Cour de justice de l’Union européenne, retardant ainsi de nouveau l’issue de ce dossier. Et parfois, la Cour de justice de l’Union européenne n’hésite pas à faire durer encore plus les contentieux : le 6 septembre 2017, elle a annulé l’arrêt qui condamnait Intel à une amende de 1,06 milliard d’euros et demandé au Tribunal de reprendre le dossier dont le traitement avait fait apparaître des manquements. Si cette décision ne remet pas en question la condamnation d’Intel pour abus de position dominante et l’amende décidée en 2009, au moins retarde-t-elle plus encore le moment où le différend sera finalement réglé.

Sources :

  • « Avec Android, Bruxelles ouvre un deuxième front contre Google », Gabriel Grésillon, Les Echos, 20 avril 2016.
  • « Le ton monte entre Bruxelles et Google », Jean-Jacques Mével, Le Figaro, 19 avril 2016.
  • « Android : les trois abus dont Bruxelles rend responsable Google », Gabriel Grésillon, Les Echos, 21 avril 2016.
  • « La concurrence européenne épingle Google », Elsa Bembaron, Le Figaro, 21 avril 2016.
  • « Publicité en ligne : Bruxelles ouvre un troisième front contre Google », Gabriel Grésillon, Les Echos, 15 juillet 2016.
  • « Mis en cause par Bruxelles, Google contre-attaque », Derek Perrotte, Les Echos, 4 novembre 2016.
  • « Android rejette les accusations de Bruxelles », Derek Perrotte, Les Echos, 14 novembre 2016.
  • « L’Europe inflige à Google une amende record de 2,42 milliards d’euros », Derek Perrotte, Les Echos, 28 juin 2017.
  • « Bruxelles inflige une amende de 2,4 milliards d’euros à Google », Elsa Bembaron, Le Figaro, 28 juin 2017.
  • « La justice européenne relance le feuilleton Intel », S. Dum., Les Echos, 7 septembre 2017.
  • « Amende européenne record : Google dépose un recours en annulation », lemonde.fr / AFP, 11 septembre 2017.

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