L’accès aux réseaux sociaux est un droit constitutionnel selon la Cour suprême des États-Unis

La Cour suprême des États-Unis considère, dans un arrêt du 19 juin 2017, que l’accès aux réseaux sociaux est un droit constitutionnel au titre du droit à l’information et de la liberté d’expression, garantis par le premier amendement de la Constitution.

Les réseaux sociaux sont devenus de nouvelles places publiques où peuvent s’échanger des idées et des informations de toute nature. Ils intéressent autant les particuliers, qui en sont les utilisateurs les plus nombreux, que les entreprises ou mêmes les institutions, qui y déploient une bonne vitrine de leur activité. Ces mêmes contenus peuvent prendre toutes sortes de formes, et notamment textuelles, audiovisuelles, figuratives. Leur objet est lui-même diversifié, qu’il s’agisse d’informations d’ordre privé, d’opinions, de commentaires, d’avis, d’œuvres de l’esprit… Les facultés de reprise des contenus issus d’autres services de communication en ligne, notamment via les liens hypertextes d’intégration, ne font qu’enrichir cette diversité. Elles facilitent l’accès à ces mêmes contenus, et permettent de les agréger sous une nouvelle forme, dans un nouveau contexte. Le constat reste vrai, même si les utilisateurs peuvent paramétrer la portée de leur diffusion, au point d’en faire des communications privées. C’est pourquoi cette capacité d’échange pousse naturellement à considérer les réseaux sociaux comme des vecteurs de la liberté d’expression.

La Cour suprême des États-Unis vient de le confirmer dans un arrêt en date du 19 juin 20171, affirmant que l’accès à ces réseaux relevait de la liberté d’expression et du droit à l’information garantis par le premier amendement de la Constitution.

L’accès aux réseaux sociaux, un vecteur de la liberté d’expression

Les faits à l’origine de cette affaire sont les suivants : M. Packingham, condamné au début des années 2000 pour un délit sexuel, s’était vu interdire l’ouverture d’un compte sur le réseau social Facebook, en vertu d’une loi de l’État de Caroline du Nord. L’individu ayant quand même usé d’une fausse identité sur ledit réseau fut à nouveau appréhendé pour fraude et condamné à une peine de prison avec sursis.

Devant les juridictions, M. Packingham contesta la loi précitée en ce qu’elle violerait sa liberté d’expression. C’est pourquoi l’affaire fut finalement portée à la Cour suprême des États-Unis. Dans sa décision, la Cour a rappelé l’étendue du principe de liberté, telle qu’elle découle du premier amendement de la Constitution. Si cette liberté est historiquement exercée dans un contexte tangible tel que les lieux publics, elle peut aussi être exercée dans des lieux « virtuels » comme ceux qui relèvent du cyberespace. Ceux-ci offrent aux personnes des capacités d’échanges pratiquement illimitées et peu coûteuses, qu’elles peuvent employer pour des sujets aussi diversifiés que la pensée humaine. Ils permettent aussi d’exprimer des opinions avec une portée inégalée et d’engager des débats avec d’autres personnes. Ces principes, que la Cour tire de son arrêt « Reno vs ACLU2 », s’appliquent parfaitement aux réseaux sociaux. La Cour cite en exemple plusieurs d’entre eux, tels Facebook, LinkedIn et Twitter, relevant au passage la variété des contenus auxquels ils donnent accès. Ce faisant, ils constituent bien des vecteurs de la liberté d’expression.

Il importait ensuite de savoir si la loi interdisant aux délinquants sexuels d’utiliser les réseaux sociaux constituait une dérogation légitime à cette liberté. Bien que le but poursuivi par celle-ci soit légitime, à savoir protéger les mineurs des prédateurs sexuels qui utilisent les réseaux sociaux pour les piéger, l’atteinte à la liberté apparaît disproportionnée. Il est vrai que ces services peuvent être ainsi employés à des fins illicites, mais il en va de même pour toutes les nouvelles activités offertes par le progrès technique. De plus, cela ne justifie pas d’en priver totalement l’accès, y compris pour les délinquants sexuels. En effet, ces services permettent d’exercer une multitude d’activités licites, qui relèvent de la liberté d’expression. Selon la Cour, celle-ci est importante pour les délinquants ayant purgé leur peine, car elle leur permet de commencer une nouvelle vie. Cela suppose qu’ils puissent librement s’informer, débattre, communiquer avec des tiers, chercher un emploi… autant d’actes licites qu’ils peuvent accomplir à l’aide des réseaux sociaux. L’interdiction prévue par la loi de Caroline du Nord a donc un champ beaucoup trop étendu au regard de sa finalité. Elle prive les personnes visées des moyens d’exercice de l’une des plus précieuses libertés humaines. Enfin, si les réseaux sociaux semblaient principalement visés, la généralité des termes employés par la loi pourrait permettre d’étendre encore davantage son champ d’application, et d’y inclure d’autres services, comme les plates-formes de commerce électronique.

La Cour suprême confirme donc la violation alléguée, faisant du droit d’accès aux réseaux sociaux un élément de la liberté d’expression.

Du droit d’accès à internet au droit d’accès aux réseaux sociaux.

L’affirmation de principe de la Cour suprême renvoie aux principes fondamentaux qui gouvernent l’exercice de la liberté d’expression et que l’on peut tirer d’autres textes et jurisprudences. Le droit d’accès aux réseaux sociaux découle ainsi du droit, plus général, d’accès à internet.

Les textes internationaux, tels que l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, définissent cette liberté comme celle d’émettre mais aussi de recevoir des idées ou informations de toute nature. Il en est de même pour l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La liberté de réception suppose naturellement l’accès le plus large possible à tous les moyens de communication, ce qui inclut la communication en ligne. À ce titre, la Cour européenne n’a pas manqué d’affirmer l’importance que revêtent les sites internet dans l’exercice de cette liberté3. Les mêmes principes peuvent être dégagés en droit de l’Union européenne4, à travers l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux. En France, le Conseil constitutionnel a fait de la liberté de réception le fondement de l’objectif à valeur constitutionnelle de pluralisme, les récepteurs devant bénéficier d’un libre choix entre plusieurs médias de tendances et de caractères différents, qu’il s’agisse de périodiques de presse ou de services audiovisuels5. Cette dimension existe aussi pour la communication en ligne, et c’est pourquoi l’accès à internet a été jugé par le Conseil comme relevant de la liberté d’expression6.

À ce titre, les services du web 2.0 abolissent les frontières traditionnelles entre les émetteurs et les récepteurs d’idées et d’informations. Tout utilisateur de ces services peut en effet diffuser et recevoir des contenus. L’accès aux procédés de communication de toute nature est donc essentiel à l’exercice de cette liberté. Par extension, l’utilisation même des services web doit être soumise au même principe de liberté. Il en va ainsi des réseaux sociaux, qui constituent un type de services à part entière. Quand bien même les contenus auxquels ils donnent accès seraient disponibles par d’autres moyens, les réseaux sociaux présentent des spécificités qui leur sont propres : capacité de personnalisation, notamment à travers le profil ; facilités des échanges interpersonnels et des communications avec des entreprises et institutions ; modulation dans l’utilisation (privée, publique, personnelle, professionnelle, publicitaire…) ; diversité des contenus accessibles.

L’accès à ces réseaux non substituables aux autres sites web doit rester libre pour que l’internaute soit capable de choisir les moyens de communication les plus adaptés à ses besoins.

Du droit d’accès aux réseaux sociaux aux limites de la liberté d’expression

La décision de la Cour suprême, si emblématique soit-elle, ne surprend guère. L’application des principes gouvernant la liberté d’expression aux réseaux sociaux ne faisait guère de doute en doctrine7. Les juges n’ont pas attendu cette confirmation pour rappeler que les limites mêmes de cette liberté y étaient applicables, notamment dans les cas d’atteintes aux droits des tiers ou à l’ordre public. Le sujet est également sensible au titre de la répression des discours haineux qui sont postés par les utilisateurs de ces réseaux. De même, la protection des mineurs constitue une limite légitime à la liberté d’expression, telle qu’elle peut s’exercer sur ces services. En l’occurrence, la décision de la Cour incline plutôt à s’orienter vers des solutions visant spécifiquement les mineurs, comme le fait de prévoir un âge minimal pour la création d’un compte. Enfin, on notera que plusieurs juges de la Cour ont exprimé une opinion différente dans le cas d’espèce. Tout en rejoignant la solution adoptée, ils ont appelé l’attention sur la nécessité de garantir certaines limites dans le cyberespace. Les capacités techniques de celui-ci ne peuvent justifier que certains droits et intérêts y soient moins bien protégés au nom de la liberté d’expression.

Sources :

  1. Packingham v. North Carolina, 582 U.S. (2017).
  2. Reno v. American Civil Liberties Union, 521 U.S. 844 (1997).
  3. Voir note. : CEDH, 4e Sect., Times Newspaper Ltd c./ Royaume-Uni (n° 1 et 2), 10 mars 2009, n° 3002/03 et 23676/03, § 27 ; CEDH, 2e Sect., Yildirim c./ Turquie, 18 décembre 2012, n° 3111/10, §§ 48-50 ; CEDH, 2e Sect., Kalda c./ Estonie, 6 juin 2016, n° 17429/10.
  4. Voir not. Directive n° 2009/140/CE du 25 novembre 2009 (§4 du préambule) ; Recommandation du Parlement européen du 26 mars 2009 à l’intention du Conseil sur le renforcement de la sécurité et des libertés fondamentales sur Internet (2008/2160(INI)).
  5. Décisions n° 84-181 DC du 10 octobre 1984 (§ 38), n° 86-210 DC du 29 juillet 1986 (§ 20) et n° 86-217 DC du 18 septembre 1986 (§ 11).
  6. Décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009 (§ 12).
  7. Voir note. : E. Derieux et A. Granchet, Réseaux sociaux en ligne – Aspects juridiques et déontologiques, Lamy Axe Droit, 2013, p. 29-30 ; M.-A.Weiss, « Liberté d’expression sur les réseaux sociaux – Regards croisés États-Unis/Europe », Documentaliste – Sciences de l’information, 2014/3 (Vol. 51), p. 21-22.
Professeur de droit privé à Aix-Marseille Université et directeur adjoint du Laboratoire interdisciplinaire de droit des médias et des mutations sociales (LID2MS).

1 COMMENTAIRE

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici