Vote décisif du Parlement européen sur la directive relative au droit d’auteur

La proposition de directive relative au droit d’auteur dans le marché unique numérique a été adoptée par le Parlement européen le 12 septembre 2018, par 438 voix contre 226. Elle doit encore passer en phase de « trilogue » avant d’être à nouveau soumise au vote des eurodéputés.

Comme l’indiquent ses « considérants », le texte est censé moderniser le droit d’auteur et plusieurs de ses exceptions en les adaptant à l’environnement numérique et transfrontière. Il vient ainsi compléter plusieurs autres directives, dont celle de 2000 dite commerce électronique et celle de 2001 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information. À ces fins, certaines dispositions tendent au renforcement des droits d’exploitation, voire à la création de nouveaux droits destinés à mieux rémunérer des opérateurs jusqu’ici victimes de pratiques peu ou pas encadrées. D’autres ont pour objet les exceptions aux droits exclusifs, et plus particulièrement celles qui concernent l’usage de contenus protégés à des fins de recherche, d’enseignement ou de conservation du patrimoine. Le droit d’auteur est en effet considéré comme un outil de promotion de la diversité culturelle et de valorisation de l’héritage culturel commun, au sens de l’article 167 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (cons. n° 2).

Plusieurs dispositions du texte proposé ont néanmoins soulevé des débats assez vifs, la proposition ayant même été rejetée une première fois par le Parlement au mois de juillet. La volonté de corriger l’écart de valeur entre les titulaires de droits et les opérateurs exploitant en ligne les contenus et de mieux répartir la rémunération afférente constitue l’un des objectifs principaux de la directive1. C’est pourquoi le vote a opposé les titulaires de droits européens aux opérateurs de plateformes, parmi lesquels figurent bien sûr les Gafam. Les promoteurs du libre accès se sont également inquiétés du texte, en ce qu’il restreindrait la capacité de certains services ouverts et des internautes d’utiliser des contenus à des fins non lucratives. Les articles 11 et 13 de la proposition de directive, relatifs au partage de la rémunération générée par la diffusion de contenus en ligne, sont certainement ceux qui ont soulevé le plus de controverses. Les autres dispositions portent davantage sur les exceptions aux droits patrimoniaux.

La création d’un droit voisin des éditeurs de presse

L’article 11 prévoit la création d’un nouveau droit voisin au profit des éditeurs de presse sur les contenus qu’ils publient. Ce droit, dont la durée serait de cinq ans à compter de la publication du contenu, aurait pour objet la reproduction et la mise à disposition du public des publications de presse dans le cadre des utilisations numériques et permettrait de percevoir une partie de la rémunération liée à ces actes de communication. Les éditeurs rejoignent ainsi la famille des auxiliaires de la création titulaires de droits voisins, aux côtés notamment des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes2. Cette mesure entend bien sûr mettre certains acteurs à contribution, et plus particulièrement ceux, comme Google, qui tirent des revenus publicitaires de la diffusion de contenus de presse. C’est pourquoi elle a pu être accusée de constituer une véritable taxation de l’accès à l’information, le risque étant que certains contenus se voient trop facilement déréférencés par les moteurs de recherche, notamment pour les éditeurs qui ne seraient pas en mesure de négocier des conditions satisfaisantes avec ces derniers.

Il est néanmoins précisé que cet article ne sera pas applicable aux liens hypertextes « simples », qui ne comportent que quelques mots clés. Cette exclusion entend préserver une certaine liberté d’usage des hyperliens et conforte la jurisprudence de la Cour de justice sur ce point. Elle préserve également le fonctionnement des services reposant sur les contributions des utilisateurs, telle l’encyclopédie Wikipédia. Seuls les opérateurs permettant de consulter le contenu seront donc concernés.

La gestion des droits par les plateformes de contenus

L’article 13 porte sur la gestion des droits relatifs aux contenus hébergés par les plateformes numériques. Celles-ci y sont désignées comme des « prestataires de services de partage de contenus en ligne qui stockent et donnent accès à un grand nombre d’œuvres et d’autres objets protégés chargés par leurs utilisateurs ». Il s’agit principalement d’acteurs tels que YouTube, Vimeo ou Dailymotion, qui s’estimaient jusqu’à présent non responsables par principe des contenus postés par leurs utilisateurs, en se fondant sur le régime d’irresponsabilité conditionnée applicable aux hébergeurs. Ces opérateurs ont néanmoins mis en œuvre des mécanismes leur permettant de classer, référencer et tirer des revenus publicitaires de ces contenus ainsi que d’identifier ceux qui auraient été mis en ligne sans l’autorisation des titulaires de droits. Aussi, la directive leur reconnaît désormais un rôle actif dans la gestion des contenus qu’ils hébergent (cons. n° 37 bis), considérant même qu’ils effectuent un acte de communication au public (cons. n° 38). C’est pourquoi ces prestataires de services devront désormais conclure des contrats de licences avec les sociétés de gestion collective et autres titulaires de droits. L’idée est bien sûr d’établir les conditions d’un partage équitable des rémunérations perçues par les plateformes. Celles-ci devront également mettre en œuvre des mesures techniques de filtrage leur permettant de bloquer les contenus qui ne seraient pas couverts par un accord. Les œuvres chargées par des utilisateurs à des fins non commerciales sont visées par cette disposition, ce qui inclurait les contenus dits « générés » par les utilisateurs, qui consistent en des reprises, mash-up ou remix d’œuvres existantes. Les contenus non protégés par le droit d’auteur ou qui relèvent d’une exception sont en revanche exclus. À ce sujet, l’article 13 prévoit la création de dispositifs de plaintes, recours et de modes alternatifs de règlement des litiges, directement mis en œuvre par les plateformes, à l’intention des utilisateurs dont les contenus auraient été injustement retirés.

Malgré ces aménagements, la mesure est très critiquée en ce qu’elle établirait des mécanismes de filtrage que certains assimilent à de la censure. C’est surtout leur caractère automatisé qui poserait problème, les opérateurs pourraient filtrer plus de contenus que nécessaire afin de minimiser leur prise de risque. Ce relèvement des standards de filtrage pourrait aussi être encouragé par la pression des ayants droit, qui auraient tendance à vouloir étendre leur monopole au-delà des limites légales. L’expérience déjà vécue par certains utilisateurs de ces services attesterait des risques inhérents à la mise en œuvre de ces mesures. Enfin, la question du statut des contenus générés par les utilisateurs ne fait l’objet d’aucune disposition, alors même que la création d’une nouvelle exception, inspirée de celle qui existe en droit canadien3, avait pu être abordée pendant l’élaboration de la directive.

Malgré les critiques, certains défenseurs de « l’internet libre et ouvert » ont quand même pu saluer ces nouvelles mesures, dès lors que leur champ d’application est limité aux prestataires ayant une finalité lucrative ; les services non commerciaux, les encyclopédies en ligne ou les plateformes de développement de logiciels de source ouverte étant explicitement exclus (cons. n° 37 bis)4.

Autres droits exclusifs et exceptions

D’autres articles de la proposition de directive prévoient la création de nouveaux droits exclusifs. Ainsi en est-il de l’article 13 ter, relatif à un droit à rémunération sur le référencement d’œuvres visuelles effectué par les services de la société de l’information tels que les moteurs de recherche. La mesure, qui reste dans l’esprit des dispositions précitées, a déjà pu être consacrée en droit français par l’article 30 de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création (voir La rem n°40, p.21). De même, l’article 12 bis octroie un nouveau droit voisin au profit des organisateurs d’événements sportifs, celui-ci étant également inclus dans le champ d’application de l’article 13. Certains médias s’inquiètent depuis du sort des photos prises dans un stade par les supporters à l’occasion des matchs. On notera également que l’article 14 impose le principe de la rémunération proportionnelle des titulaires de droits, une obligation de transparence étant également à la charge de leurs cessionnaires et sous-cessionnaires.

La proposition de directive réserve aussi un certain nombre de ses dispositions à la modification ou à la création de plusieurs exceptions aux droits. Tel est le cas avec les articles 3, 3 bis et 4, qui précisent la portée des exceptions de fouille de données et d’utilisation dans le cadre d’activités d’enseignement. Cette dernière sera désormais applicable aux usages numériques transfrontières ; la mise en œuvre d’une compensation équitable est néanmoins laissée à la libre appréciation des États, ce qui fait craindre certaines dérives quant à la diversité éditoriale en matière éducative5. La proposition de directive comporte également une harmonisation des dispositifs relatifs à la numérisation des œuvres indisponibles (art. 7). Enfin, une exception aux droits est prévue au profit des institutions de gestion du patrimoine culturel afin de leur permettre de procéder à la numérisation des œuvres se trouvant dans leurs collections permanentes à des fins de préservation, la copie à l’identique ne pouvant conférer de nouveaux droits d’exploitation (art. 5).

Sources :

  1. « Value gap : une adaptation du droit d’auteur au marché unique numérique », Alexandra Bensamoun, D., 2018, p. 122.
  2. « Le droit voisin pour la presse s’inscrirait dans une longue tradition », Christophe Caron, Les Echos, 11 septembre 2018.
  3. Art. 29.21 de la loi sur le droit d’auteur ; « L’exception de contenu non commercial généré par l’utilisateur en droit canadien », Victor Nabhan, CPI, vol. 27, n° 3, octobre 2015, p. 1315-1329.
  4. « La directive Copyright n’est pas une défaite pour l’Internet Libre et Ouvert », Calimaq, S.I.Lex, 15 septembre 2018.
  5. « La directive sur le droit d’auteur menace la « diversité éditoriale » », Laure Besnier, actualitte.com, 17 mai 2018.
Professeur de droit privé à Aix-Marseille Université et directeur adjoint du Laboratoire interdisciplinaire de droit des médias et des mutations sociales (LID2MS).

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici