Anti-concentration : les groupes européens veulent de nouvelles marges de manœuvre

Mediaset s’impose progressivement au capital de ProSiebenSat.1 et construit sa holding européenne de l’audiovisuel. En France comme en Allemagne, le groupe Bertelsmann s’inquiète des dispositifs anti-concentration qui lui interdisent des opérations de consolidation.

Le 14 février 2020, Nicolas de Tavernost, président du directoire du Groupe M6, filiale de RTL Group, lequel est contrôlé par l’allemand Bertelsmann, sonnait la charge dans Les Echos : « En France, et plus globalement en Europe, les réglementations nous empêchent de bâtir de puissants groupes audiovisuels capables de rivaliser avec les nouveaux acteurs type Netflix ou Amazon ». Il avançait, exemples à l’appui, que ces contraintes empêchent son groupe de se développer en France. Ainsi, le Groupe M6 est astreint à des obligations de production indépendante et ne peut pas s’appuyer sur la production audiovisuelle pour compenser des difficultés sur ses activités de télévision, ce que fait ITV au Royaume-Uni. La réglementation encadre les relations entre diffuseurs et producteurs, pas encore entre producteurs et plateformes de SVOD : Netflix gèle les droits des producteurs sur 18 ou 25 ans quand M6 sait que les programmes qu’elle finance iront sur d’autres chaînes et d’autres supports dans les 18 mois suivants. Autre exemple avancé, celui de la plateforme française commune Salto. Si l’Autorité de la concurrence a donné son accord, c’est au terme d’un examen à partir d’un marché considéré comme pertinent, celui du marché de la télévision, qui dès lors génère des contraintes spécifiques pour les partenaires, les chaînes françaises, sommées de ne pas favoriser l’entreprise commune qu’elles ont créée. En limitant l’examen au seul marché pertinent de la télévision et en excluant donc les offres de SVOD de l’analyse concurrentielle, l’Autorité de la concurrence protégerait donc Netflix, Amazon Prime ou Disney+ d’une concurrence efficace de la part des acteurs locaux.

Le 16 février 2020, c’était le PDG de Bertelsmann, Thomas Rabe, qui appelait, dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung, à une réforme de la réglementation en Europe pour que « des coopérations significatives, voire des fusions plus importantes, soient autorisées afin de créer des champions nationaux ». Thomas Rabe évoquait même un rapprochement de RTL et de ProSiebenSat.1 afin de faire émerger un concurrent national solide face aux plateformes américaines de SVOD. L’argument est fécond outre-Rhin où le débat sur les dispositifs anti-concentration s’est récemment durci depuis que ProSiebenSat.1, le TF1 allemand, a vu Mediaset et le tchèque Daniel Kretinsky monter à son capital (voir La rem n°53, p.36), une prise de contrôle par Mediaset étant désormais probable.

En effet, alors que le groupe de la famille Berlusconi avait, en mai 2019, pris une participation de 9,6 % dans ProSiebenSat.1, il a profité de la crise liée au coronavirus et de la chute de l’action du groupe allemand pour monter jusqu’à 20 % dans son capital. Daniel Kretinsky a lui aussi doublé sa participation dans ProSiebenSat.1, passée de 4 à 10 %. Autant dire que ProSiebenSat.1 n’est déjà presque plus une entreprise allemande. D’ailleurs, son management évolue : le 26 mars 2020, le conseil de surveillance de ProSiebenSat.1 annonçait le remplacement immédiat de son PDG, Max Conze. La stratégie évolue aussi : le groupe va céder ses activités dans le numérique pour se concentrer sur le divertissement, donc principalement les activités télévisuelles sur ses trois principaux marchés, l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse où ProSiebenSat.1 édite quinze chaînes. Le groupe reste en revanche présent dans la SVOD, ProSiebenSat.1 étant l’un des partenaires de Joyn, le « Salto » allemand, aux côtés de Discovery et des deux chaînes publiques ARD et ZDF. Reste que le nouveau profil du groupe, recentré sur l’audiovisuel, permet d’envisager un rapprochement avec Mediaset qui milite pour l’émergence d’un grand groupe européen de la télévision et du divertissement.

Si ce grand groupe n’a pas pu se faire avec Vivendi, le projet de Netflix du Sud ayant avorté (voir La rem n°41, p.65), il se fera, espère Mediaset, à travers la holding néerlandaise MediaForEurope (MFE). Déposé aux Pays-Bas en juin 2019 pour y fusionner les actifs espagnols et italiens de Mediaset et bloquer le pouvoir de Vivendi au sein de Mediaset (voir La rem n°53, p.36), le projet MFE a franchi une nouvelle étape. Alors que les autorités espagnoles de la concurrence doivent encore l’autoriser et que Vivendi multiplie les procédures judiciaires à son encontre, Mediaset a confirmé, le 17 février 2019, avoir enregistré les statuts de sa future holding aux Pays-Bas et disposer désormais de six mois pour y loger ses activités, ce qui lui laisse le temps d’épurer ses contentieux. MFE pourra donc être la structure qui accueillera également à terme les actifs de ProSiebenSat.1, si Mediaset finit par asseoir sa domination sur le groupe allemand. Un géant européen de la télévision aura ainsi émergé, présent sur trois des cinq grands marchés européens, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne. À ce jour, seul Bertelsmann dispose véritablement d’une présence européenne dans la télévision en clair grâce à RTL Group et ses filiales française, espagnole et en Europe de l’Est.

Sources :

  • « Il faut favoriser les regroupements européens de médias », interview de Nicolas de Tavernost, Président du directoire de M6, par Nicolas Madelaine, Fabienne Schmitt, Les Echos, 14 février 2020.
  • « L’allemand Bertelsmann rêve d’une fusion entre RTL Group et ProSiebenSat.1 », Nathalie Steiwer, Les Echos, 18 février 2020.
  • « Le groupe de télévision ProSiebenSat.1 se recentre sur son cœur de métier », Ninon Renaud , Les Echos, 30 mars 2020. 
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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