Tribunal UE, 10 novembre 2021, aff. T-612/17.
Les moteurs de recherche permettent aux internautes utilisateurs d’accéder aux différentes offres de produits qui sont susceptibles de leur être faites et de répondre ainsi à leur attente. Pour un juste fonctionnement du marché, et dans l’intérêt des consommateurs, il importe que les règles de la libre concurrence soient respectées.
L’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) pose qu’« est incompatible avec le marché intérieur et interdit […] le fait, pour une ou plusieurs entreprises, d’exploiter de façon abusive une position dominante », notamment en limitant les débouchés, « au préjudice des consommateurs », et en appliquant, à « des partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence ».
Par un jugement du 10 novembre 2021, aff. T-612/17, le Tribunal de l’Union européenne a rejeté le recours de Google contre la sanction pécuniaire de 2 424 495 000 euros prononcée le 27 juin 2017 par la Commission européenne à son encontre. En application des dispositions visées, reproche lui a été fait d’avoir, sur le marché de la recherche générale sur internet, abusé de sa position dominante en favorisant son propre comparateur de produits, par rapport aux comparateurs de produits concurrents.
Décision de la Commission
La Commission européenne avait été saisie de plaintes de différentes entreprises et associations de consommateurs. Elles imputaient à Google des pratiques anticoncurrentielles dans le placement et l’affichage plus favorables qu’elle accordait, dans ses pages de recherche générale, à son propre service de comparaison de prix qu’aux services concurrents.
Dans sa décision, la Commission retint que Google occupait une position dominante sur tous les marchés de recherche générale d’informations relatives aux offres de produits et aux prix pratiqués. Elle estima que Google commettait un abus sur le marché des services de recherche en réservant, sur ses pages de résultats, un placement et un affichage plus favorables à son propre service de comparaison de prix qu’aux services concurrents. Reproche était fait à Google de détourner le trafic des services de comparaison de prix concurrents vers le service de comparaison de prix de Google, dans des conditions susceptibles d’avoir des effets anticoncurrentiels sur les marchés des services de comparaison de prix. Pour la Commission, le placement et l’affichage plus favorables réservés par Google à son propre service de comparaison de prix détournait le trafic provenant des services concurrents. Elle établit que le comportement de Google avait des effets anticoncurrentiels susceptibles notamment d’éliminer des services concurrents et de réduire la capacité des consommateurs à accéder aux services de comparaison de prix les plus pertinents.
Considérant qu’il convenait que Google mette un terme à l’abus reproché et s’abstienne de tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou équivalent, la Commission, par la décision C (2017) 4444, du 27 juin 2017, lui a infligé une condamnation pécuniaire d’un montant de 2 424 495 000 euros (voir La rem n°44, p.14). Google saisit le Tribunal d’un recours en annulation de cette décision.
Décision du Tribunal
Dans une très longue décision (de 706 paragraphes), le Tribunal a décrit le fonctionnement des moteurs de recherche et les pratiques dénoncées, avant, par le jugement du 10 novembre 2021, aff. T-612/17, de rejeter le recours de Google contre la décision de la Commission.
Rappel y est d’abord fait que les moteurs de recherche permettent aux internautes utilisateurs de trouver et d’atteindre, au moyen de liens hypertextes, les sites internet qui répondent à leurs demandes, et que d’autres moteurs de recherche que celui de Google offrent les mêmes services de comparaison de produits et de prix.
Sont ensuite examinés les différents points qui ont fondé la décision de la Commission et qui l’ont amenée à considérer que Google positionnait et mettait en valeur son comparateur de produits, sur ses pages de résultats, de manière plus favorable que les comparateurs de produits concurrents, augmentant ainsi le trafic vers son comparateur de produits et diminuant le trafic vers les comparateurs de produits concurrents.
Le Tribunal a été conduit à se prononcer sur les six moyens d’annulation soulevés par Google à l’encontre de la décision de la Commission. Reproche était notamment fait à celle-ci : d’avoir conclu que Google favorisait son service de comparaison de produits et d’avoir ainsi détourné le trafic de recherche ; d’y avoir vu des effets anticoncurrentiels ; d’avoir qualifié, à tort, de pratiques abusives des améliorations qualitatives qui représentent une concurrence fondée sur les mérites ; d’avoir prononcé une condamnation sans motifs.
Développant son argumentaire, la société Google a tenté de faire valoir : que la décision de la Commission n’identifie pas, dans son comportement qui a consisté à mettre en place des améliorations qualitatives de son service de recherche sur internet, d’éléments qui s’écartent de la concurrence par les mérites ; que les pratiques incriminées constituent des améliorations qualitatives relevant de la concurrence par les mérites et qui ne sauraient être qualifiées d’abusives ; que la Commission ne pouvait pas exiger de Google qu’elle accorde aux comparateurs de produits concurrents l’accès aux services résultant de ses améliorations en matière de comparaison de produits ; que les faits qui lui étaient reprochés auraient été présentés de manière erronée, alors qu’elle aurait introduit les groupes de résultats pour produits afin d’améliorer la qualité de son service et non pour diriger le trafic vers son propre service de comparaison de produits ; qu’elle inclut déjà les comparateurs de produits concurrents, de telle sorte qu’il ne pouvait pas y avoir de favoritisme ni d’effets anticoncurrentiels ; et que l’amende qui lui a été infligée par la Commission aurait été calculée de manière erronée.
Pour statuer, le Tribunal a notamment retenu : qu’incombe à l’entreprise qui détient une position dominante, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par son comportement à une concurrence effective et non faussée, et que l’abus peut prendre la forme d’une différence de traitement non justifiée ; que la Commission a estimé que le comportement abusif reproché à Google était constitué par des éléments objectifs, à savoir le positionnement et la présentation plus favorables, dans les résultats de recherche générale de Google, du comparateur de produits de Google, que des comparateurs concurrents, et que cela contribuait à le favoriser ; que l’objectif d’une concurrence non faussée des articles 101 et 102 du TFUE implique que la concurrence s’exerce sur des bases loyales qui ne sont pas altérées par des comportements unilatéraux d’entreprises dominantes abusant de leur pouvoir sur le marché pour restreindre ou éliminer la concurrence ; qu’un abus de position dominante peut notamment correspondre à un comportement ayant pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant ou au développement de celle-ci.
Considérant que la Commission a estimé à juste titre que Google avait abusé de sa position dominante sur les marchés nationaux de la recherche de produits, le Tribunal conclut que le recours doit être rejeté et qu’il n’y a pas lieu de modifier le quantum de la sanction pécuniaire infligée à Google.
Les principes du droit européen conduisent les instances (Commission et Tribunal) de l’Union européenne à contrôler le respect des exigences relatives notamment à la libre concurrence, par les plateformes en ligne de dimension mondiale, à l’égard tout au moins des services qu’elles offrent aux personnes et aux entreprises qui exercent, tant en qualité de producteurs que de consommateurs, leurs activités sur le territoire de l’un des États membres, et d’en sanctionner les faits de violation. En l’espèce, le montant de la condamnation pécuniaire prononcée devrait être de nature à assurer désormais ce respect, sous réserve cependant de la confirmation, par la Cour de justice de l’Union européenne, du présent jugement dont Google a fait appel.