La CPPAP refuse au site francesoir.fr le renouvellement de son numéro d’inscription

TA Paris, 13 janvier 2023, Sté Shopper Union France.

En cette affaire, la société Shopper Union France, éditrice du site francesoir.fr, se prévalant notamment du principe de liberté de communication – tel que consacré par la Constitution et par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme – et d’une situation d’urgence, compte tenu de l’impact financier d’une perte des aides de l’État, demandait au juge des référés d’ordonner, provisoirement et jusqu’à ce qu’il soit statué au fond :
– la suspension de la décision de la CPPAP refusant de renouveler l’inscription de francesoir.fr en qualité de service de presse en ligne, en raison du contenu du site, considéré comme contraire à « l’intérêt général quant à la diffusion de la pensée », et notamment du reproche qui lui a été fait d’avoir diffusé des thèses complotistes relatives à la pandémie de la Covid-19, portant ainsi atteinte à la protection de la santé publique ;
– et le renouvellement de ladite inscription.

En effet, l’admission à certaines des modalités d’aide de l’État à la presse (publications périodiques imprimées et services de presse en ligne) est subordonnée à l’obtention d’un numéro d’inscription à la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) attestant, selon des critères déterminés par le code général des impôts, du caractère d’intérêt général de la publication en cause. En cas de refus, un recours est ouvert, à la société éditrice, devant les juridictions administratives afin d’assurer le plein respect du droit. Sur la base des critères de l’article 72 de l’annexe III au code général des impôts (CGI), l’ordonnance de référé dudit tribunal, du 13 janvier 2023, en fournit une illustration.

Critères de l’article 72 de l’annexe III CGI

L’article 72 de l’annexe III au CGI dispose que, « pour bénéficier des avantages fiscaux prévus à l’article 298 septies » dudit code (relatif aux taux de TVA de 2,1 % applicable au prix de vente au public) et, par renvois à cet article, de divers autres avantages et particularités économiques et fiscales, « les journaux et écrits périodiques présentant un lien direct avec l’actualité, apprécié au regard de l’objet de la publication, doivent :
I. 
présenter un contenu original composé d’informations ayant fait l’objet d’un traitement à caractère journalistique, notamment dans la recherche, la collecte, la vérification et la mise en forme de ces informations […] réalisé par une équipe rédactionnelle composée de journalistes professionnels […].
II. Remplir les conditions suivantes : 1° avoir un caractère d’intérêt général quant à la diffusion de la pensée : instruction, éducation, information, récréation du public 
[…]. 8e n’être pas susceptible de choquer le lecteur par une représentation dégradante de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence ou présentant sous un jour favorable la violence ».

Ces critères – ouvrant la voie à des interprétations et applications assurément contradictoires – sont appréciés par ladite Commission paritaire (composée, pour moitié, de représentants de l’administration et de représentants des entreprises éditrices) et sous le contrôle des juridictions administratives.

Application au cas d’espèce

En l’espèce, la société éditrice du site avait saisi le juge des référés du tribunal administratif, le 22 décembre 2022, en estimant que la CPPAP, en l’occurrence, avait méconnu les principes d’impartialité, d’indépendance administrative et de procédure contradictoire. Soulignant l’ancienneté du titre de presse, le tribunal considéra de prime abord que la condition d’urgence était remplie, le non-renouvellement de l’agrément privant l’accès au régime des aides à la presse, notamment la défiscalisation des dons et l’accès aux subventions du Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP).

Le juge des référés a considéré que la CPPAP n’avait pas statué en toute impartialité, lors de sa séance du 30 novembre 2022, invoquant le fait que la présidente de la Commission, interrogée par la Commission sur la désinformation et le complotisme, alors présidée par le sociologue Gérald Bronner, avait estimé que le site en ligne francesoir.fr présentait un « défaut d’intérêt général », parce qu’il comportait des propos susceptibles de porter atteinte à la protection de la santé publique, tout en précisant que la CPPAP devrait disposer, en pareille occurrence, de compétences particulières quant au danger présenté par certains propos propagés.

Le tribunal décide de suspendre la décision de non-­renouvellement de l’inscription du site francesoir.fr dans les registres de la CCPAP, en qualité de « service de presse en ligne, site d’information politique et générale », inscription qui lui avait été reconnue en avril 2021.

L’éditeur du site a, par ailleurs, demandé au tribunal administratif de transmettre au Conseil d’État une question prioritaire de constitutionalité (QPC), dans la perspective d’un examen de celle-ci par le Conseil constitutionnel.

Outre la transmission, au Conseil d’État, de ladite QPC concernant les dispositions de l’article 1er de la loi n° 86-897, du 1er août 1986, portant définition des services de presse en ligne – « tout service de communication au public en ligne édité à titre professionnel par une personne physique ou morale qui a la maîtrise éditoriale de son contenu, consistant en la production et la mise à disposition du public d’un contenu original, d’intérêt général, renouvelé régulièrement, composé d’informations présentant un lien avec l’actualité et ayant fait l’objet d’un traitement à caractère journalistique » – et prévoyant « les conditions dans lesquelles un service de presse en ligne peut être reconnu, en vue notamment de bénéficier des avantages qui s’y attachent », précision étant apportée que, « pour les services de presse en ligne présentant un caractère d’information politique et générale, cette reconnaissance implique l’emploi, à titre régulier, d’au moins un journaliste professionnel » ; le juge des référés a – de manière provisoire, « jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur la légalité de la décision » contestée – ordonné la suspension de « l’exécution de la décision […] par laquelle la CPPAP a refusé le renouvellement de l’inscription du site francesoir.fr en qualité de service de presse en ligne », et « enjoint la CPPAP de rétablir le régime d’aide dont bénéficiait le titre de presse préalablement à la décision refusant le renouvellement de son agrément ».

Par de telles décisions juridictionnelles (transmission d’une QPC et suspension – jusqu’à ce qu’il soit statué sur la légalité des dispositions appliquées – de la mesure contestée de refus de renouvellement de l’inscription à la CPAP), toutes les garanties de la liberté de communication – qui, dans un système libéral, n’implique pas le bénéfice d’aides de l’État – sont ici accordées à la société éditrice du site francesoir.fr… qui, d’une façon pouvant apparaître comme trompeuse pour le public, n’a plus que le nom de l’ancien quotidien d’information populaire à la mémoire duquel il semblerait ainsi porter atteinte.

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