Le projet de règlement européen relatif à la transparence et au ciblage de la publicité à caractère politique

Dans son discours d’ouverture de la session plénière du Parlement européen du 16 juillet 2019, encore candidate, l’actuelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, annonçait vouloir un nouvel élan pour la démocratie européenne.

Pour ce faire, la Commission élabore en décembre 2020 un plan d’action. Pour protéger l’intégrité des élections et promouvoir la participation démocratique, quatre axes ont été tracés1 : élaborer des règles plus claires sur le financement des partis politiques européens, renforcer la coopération au sein de l’Union européenne sur les sujets électoraux, promouvoir la mobilisation et la participation démocratique et enfin assurer une meilleure transparence en matière de publicité et de communication politiques. Pour satisfaire ce dernier objectif, la Commission européenne a publié une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la transparence et au ciblage de la publicité à caractère politique le 25 novembre 2021, texte adopté en première lecture par le Parlement européen le 2 février 2023.

L’objet du règlement, identifiable dans son intitulé ainsi que dans son article premier, est d’établir des obligations harmonisées, d’abord pour ce qui concerne la transparence de la publicité à caractère politique, ensuite sur l’utilisation des techniques de ciblage et d’amplification de la diffusion de ces contenus. Cette volonté d’agir en matière de publicité politique est issue de la conjonction de plusieurs circonstances. La première, la plus évidente, est l’organisation des élections du Parlement européen de 2024. À l’approche de cette échéance, la Commission souhaite encourager le débat démocratique et protéger l’intégrité des élections, notamment de toute tentative de manipulation des comportements de vote. Cette méfiance vis-à-vis de l’instrumentalisation de l’électorat est issue d’une deuxième circonstance : l’évolution technologique. De nouveaux types d’ingérence dans la démocratie, nationale ou européenne, sont directement liés à l’appa­rition et à la multiplication des médias numériques. Ceux-ci permettent la circulation d’informations à plus grande échelle, par-delà les frontières, et à grande vitesse. L’offre et la demande en termes de publicité à caractère politique s’en sont trouvées amplifiées, avec pour conséquence une perte de contrôle des autorités compétentes mise en lumière lors de divers scandales.

La Commission cite à ce titre, dans son exposé des motifs, l’affaire Cambridge Analytica de 2018 (voir La rem n°48, p.90) à la suite des élections présidentielles de 2016 aux États-Unis. Ce scandale avait révélé que différents acteurs étaient, et sont toujours capables d’avoir un impact direct sur des élections. Ils peuvent exploiter les données personnelles de millions d’utilisateurs afin de cibler l’envoi de contenus, notamment publicitaires, dans le but de manipuler leur opinion. L’objectif de la Commission est de répondre à ce type de manipulation par des mesures qui protégeront les citoyens européens de ces opérations parasitaires et dangereuses pour la démocratie.

À cela s’ajoute une dernière circonstance, celle de l’adoption du Digital Services Act (DSA). L’Union euro­péenne affiche sa volonté d’encadrer les plateformes et les services qu’elles proposent2. Le texte, applicable à partir de février 2024, a pour objet d’établir des règles communes garantissant un environnement en ligne « sûr, prévisible et fiable » facilitant l’innovation et protégeant les droits fondamentaux, notamment des consommateurs3. Le DSA, qui définit tant les services de la société de l’information que les plateformes en ligne, leur impose des règles spécifiques en matière d’obligations et de responsabilité, renforçant notamment la transparence de la publicité en ligne4. La proposition de la Commission relative à la transparence et au ciblage de la publicité à caractère politique apparaît alors comme un complément du DSA permettant d’affiner et d’adapter les mesures aux spécificités de ce type de publicités, particulièrement impactantes en période électorale.

Des définitions uniformisées pour un encadrement transfrontière des publicités à caractère politique

Dans son exposé des motifs, la Commission mettait l’accent sur la diversité des définitions de la publicité à caractère politique comme obstacle à l’organisation d’un processus démocratique équitable. Elle souhaite une définition harmonisée afin de faciliter le contrôle du respect des obligations qui incomberont aux services de publicité à caractère politique. Ainsi, le projet de règlement européen relatif à la transparence et au ciblage de la publicité à caractère politique adopte la première définition européenne de cette dernière5. En son article 2, alinéa 1, paragraphe 2, la proposition de règlement la caractérise comme « l’élaboration, le placement, la promotion, la publication, la distribution ou la diffusion, par tout moyen, d’un message par ou pour un acteur politique ou pour son compte, sauf s’il s’agit d’un message à caractère purement privé ou commercial, ou susceptible d’influencer le résultat d’une élection ou d’un référendum, un processus législatif ou réglementaire ou un comportement de vote ». Cette définition se veut très large puisqu’une publicité à caractère politique peut correspondre à toute annonce susceptible d’influencer les comportements de vote. Ainsi, comme annoncé, elle couvre une large gamme de moyens et de modes de communication, ainsi que de nombreuses formes de publicité au sein de l’Union européenne. Une exclusion est tout de même à noter : la publicité à caractère politique ne comprend pas les messages émanant de sources officielles quand ils sont strictement limités soit à l’annonce d’élections ou de référendums, soit aux modalités de participation à des élections ou à des référendums.

La proposition de règlement vient également définir ce qu’elle considère être un acteur politique. La notion comporte les partis et alliances politiques, les candidats, les élus ou encore les organisations chargées de mener les campagnes politiques ainsi que toute personne qui représente ou agit pour la promotion d’objectifs politiques. S’ajoute à cela la définition de parraineur, soit « la personne physique ou morale pour le compte de laquelle une publicité à caractère politique est élaborée, placée, promue, publiée, distribuée ou diffusée »6 qui traite avec l’éditeur de publicité à caractère politique, défini comme « un prestataire de services de publicité à caractère politique qui place, promeut, publie, distribue ou diffuse de la publicité à caractère politique sur tout type de support »7.

Dans un amendement à la proposition, le Parlement européen a souhaité apporter des précisions sur les éléments à prendre en compte pour identifier si une publicité comporte un caractère politique. Doivent ainsi être pris en considération le contenu du message, son parraineur, les paroles et écrits utilisés pour le transmettre, la forme qu’il prend, le public qu’il cible, son contexte comme son objectif8.

L’harmonisation d’une définition offre l’avantage aux prestataires de services de publicité à caractère politique de pouvoir déterminer avec plus de précision le caractère des annonces qu’ils diffusent et de leur appliquer un traitement identique dans tous les États membres de l’Union européenne. Cela a pour effet d’engendrer un gain d’efficacité pour chacun des acteurs, et permet aussi une meilleure collaboration des différentes autorités de contrôle.

De nouvelles obligations de transparence pour les services de publicité à caractère politique

L’obligation principale qui va incomber aux services de publicité à caractère politique est la transparence. Ces dernières années, ce levier d’action est privilégié par le pouvoir normatif sur une échelle étendue à quasiment toutes les activités des plateformes numériques avec, par exemple, la transparence des algorithmes. Ainsi, la Commission va exiger que, pour tout service de publicité à caractère politique, la transparence commence dès les premiers échanges entre prestataires de service de publicité et parraineurs. Les seconds devront déclarer si le service de publicité demandé au prestataire est un service à caractère politique. La proposition précise que ce partage d’informations peut être ordonné dans les contrats conclus entre les différents acteurs. On peut imaginer que de nouvelles clauses intitulées « transparence de la publicité à caractère politique » voient le jour, selon lesquelles les prestataires demanderaient aux parraineurs de répondre, dans un temps adéquat, à toute éventuelle question au sujet de la publicité à caractère politique, mais aussi de fournir les informations claires, transparentes et exactes requises par le règlement européen. Les prestataires, quant à eux, seront tenus de conserver un registre d’information qui recensera l’annonce publicitaire en elle-même, le service spécifique fourni, les montants facturés, l’identité et les coordonnées du parraineur9.

Une obligation de transparence va également s’imposer sur l’annonce publicitaire qui devra comporter la mention qu’il s’agit d’une annonce publicitaire à caractère politique, l’identité du parraineur et de l’entité contrôlant ce dernier ainsi qu’un avis de transparence. Ce nouvel avis devra afficher l’identité du parraineur et ses coordonnées, la période de diffusion de l’annonce publicitaire, des informations sur la contrepartie perçue pour les services liés à l’annonce, le type d’élection ou de référendum lié à la publication ou encore le type de personnes visées et les sources des données à caractère personnel potentiellement utilisées pour ce faire. En outre, une nouvelle obligation de moyens va également incomber aux diffuseurs de publicité à caractère politique, puisqu’ils devront faire en sorte que les utilisateurs puissent signaler si une annonce n’est pas conforme au règlement.

De nouvelles obligations en matière de ciblage et de diffusion de la publicité à caractère politique

La première des dispositions prises par la Commission en matière de ciblage de la publicité à caractère politique est de limiter l’utilisation de certaines données personnelles, notamment lorsqu’il s’agit de données ayant trait à des mineurs n’ayant pas l’âge minimum pour voter. Le Parlement a, quant à lui, limité les techniques de ciblage et de diffusion d’annonces publicitaires à caractère politique au traitement de données à caractère personnel explicitement fournies par la personne concernée avec son consentement et uniquement à des fins de publicité politique en ligne10. La proposition veut empêcher les services de publicité à caractère politique d’utiliser les données sensibles telles que celles permettant d’identifier les croyances religieuses ou l’orientation sexuelle si ces personnes n’ont pas donné leur consentement explicite11. Ce consentement spécifique à la publicité à caractère politique devra pouvoir être distingué des autres consentements.

À l’image des obligations classiques imposées par le RGPD (règlement général sur la protection des données) aux responsables de traitement, la proposition de règlement demande aux services de publicité à caractère politique ayant recours à des techniques de ciblage de tenir un registre de l’utilisation faite des données, mentionnant les paramètres appliqués à leur collecte ou encore la source de ces dernières. Les méthodes et techniques employées pour le ciblage devront donc être décrites clairement et simplement.

La Commission souhaite enfin que les éditeurs de publicité à caractère politique utilisant des méthodes de ciblage fassent figurer dans les messages publicitaires une référence aux moyens dont disposent les personnes pour exercer leurs droits sur leurs données12.

La proposition de règlement confie d’ailleurs aux autorités de contrôle au sein des États membres le pouvoir de surveiller l’application de ses dispositions. Elles peuvent enquêter sur les cas de violation du règlement et infliger des sanctions en cas de non-respect des obligations imposées.

En France, plusieurs mesures s’appliquent déjà aux publicités à caractère politique. La loi sur la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 200413 oblige toute publicité à être identifiée comme telle et doit rendre « clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée ». La loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse précise que « tout article de publicité à présentation rédactionnelle doit être précédé de la mention « publicité » ou « communiqué » ». La France a également installé des dispositifs de lutte contre la manipulation de l’information qui imposent des exigences supplémentaires en matière de transparence de l’information pendant les périodes électorales14. Les nouvelles obligations prévues dans la proposition de règlement visant en particulier la publicité à caractère politique apparaissent alors comme un complément, voire comme des précisions au cadre législatif et à la régulation préexistants en France.

L’objectif de mettre fin à la fragmentation des dispositions nationales en matière de publicité à caractère politique avant 2024 semble sur la bonne voie. L’utilisation de la voie réglementaire est adéquate pour éviter tout risque d’interprétations discordantes. L’unification des définitions et des obligations liées aux services de publicité à caractère politique évitera que des annonces provenant de pays permissifs soient publiées au sein de l’Union européenne où les règles sont plus strictes. Dans un contexte où la plateforme Twitter a annoncé, en ce début d’année, vouloir assouplir sa politique en matière de publicités engagées et politiques15, il semble opportun d’adopter des mesures visant à responsabiliser ces acteurs. En dirigeant son action sur la transparence et l’encadrement du ciblage, la proposition de règlement ne devrait pas faire obstacle à la diffusion des messages politiques protégés par la liberté d’expression et indispensables en démocratie. Au contraire, elle procure une certaine latitude aux citoyens européens, leur offrant un rôle plus actif et éclairé.

Sources :

  1. Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions relative au plan d’action pour la démocratie européenne, Bruxelles, le 3 décembre 2020.
  2. Règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE (règlement sur les services numériques).
  3. Ibid., chapitre 1, article premier.
  4. Ibid., chapitre 3, section 3, article 26.
  5. Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la transparence et au ciblage de la publicité à caractère politique, Bruxelles, le 25 novembre 2021, considérant 15.
  6. Ibid., article 2, alinéa 1, paragraphe 7.
  7. Ibid., article 2, alinéa 1, paragraphe 11.
  8. Amendements du Parlement européen, adoptés le 2 février 2023, à la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la transparence et au ciblage de la publicité à caractère politique, amendement 145 sur l’article 5 bis (nouveau).
  9. Ibid., article 6.
  10. Telles que définies à l’article 4, paragraphe 11, du règlement (UE) 2016/679.
  11. Ibid., article 12, paragraphe 1.
  12. Ibid., article 12, paragraphe 5.
  13. Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, article 20.
  14. Loi n° 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information.
  15. Tweet du 3 janvier 2023 disponible à l’adresse suivante : https://twitter.com/TwitterSafety/status/1610399203481784320?s=20

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