PQR : transformations et restructurations marquent la fin d’un cycle

Baisse accélérée des ventes papier, baisse des recettes publicitaires, déficits aggravés, présence en ligne souvent faible… la PQR se réorganise pour accélérer sa transition numérique en misant sur les nouveaux formats, sur le renforcement de ses offres éditoriales ou sur la diversification, sans savoir quelle stratégie sera la plus pertinente.

Protégée par les habitudes de son lectorat âgé, la presse quotidienne régionale (PQR) a pu retarder plus longtemps que la presse quotidienne nationale (PQN) son entrée dans le monde numérique. En effet, du début des années 2010 au début des années 2020, la diffusion des quotidiens nationaux papier a été divisée par quatre quand celle de la PQR a reculé de « seulement » 40 %. Cet avantage s’est toutefois transformé en inconvénient. Tandis que la PQN a développé ses offres en ligne pour générer des abonnements numé­riques qui représentent désormais près de 70 % de son chiffre d’affaires, la PQR affichait, fin 2022, un faible 15 % de chiffre d’affaires réalisé grâce aux abonnements numériques. Mise plus tôt en ligne, la PQN a également capté une partie de l’audience des territoires, en ciblant parfois l’information locale comme le fait le Groupe Figaro qui a ouvert en janvier 2023 des bureaux à Bordeaux, Lyon, Nantes et Nice. La PQR est par ailleurs confrontée au développement des médias d’information locaux, pure players thématiques ou généralistes radio et TV (France Bleu / France 3 Régions) et nouveaux entrants multimédias (chaînes et sites de BFM TV en région). Son lectorat vieillissant comme les nouveaux venus de l’information locale lui interdisent donc de s’imposer très facilement en ligne. Et la crise sanitaire de 2020 n’a pas arrangé les choses : sans trop en faire, la presse locale a pu bénéficier d’une augmentation sans précédent de ses audiences en ligne, qu’il est désormais nécessaire de fidéliser et de convertir à l’abonnement. Mais ce repositionnement stratégique suppose des investissements importants que les recettes issues du papier doivent financer le temps de la transition. Or, la hausse brutale des coûts du papier (engorgement logistique et priorité donnée aux cartons du e-commerce) comme celle des coûts de distribution, du fait de l’envolée des prix de l’énergie, a fortement contraint les titres. S’ajoute une baisse des revenus publicitaires depuis la crise sani­taire, la presse étant le média qui a, plus que tous les autres, échoué à reconquérir les budgets publicitaires perdus. Entre le papier, souvent rentable mais en déclin, et les investissements à consentir dans le numérique, les stratégies des groupes de PQR sont très disparates (voir La rem n°64, p.98) et leurs conséquences risquent de faire émerger des gagnants et des perdants sur le terrain de l’information locale.

Le journal papier est souvent le premier perdant. Les poli­tiques de réduction des coûts se multiplient et s’accompagnent parfois d’une diminution de l’offre éditoriale. En parallèle, les groupes sont de plus en plus contraints de procéder à une hausse du prix de vente du journal. Sans surprise, l’érosion des ventes papier s’accélère, les signaux adressés au lectorat étant plutôt négatifs entre hausse des prix et baisse de la pagination. S’ajoutent également les difficultés de recrutement des porteurs, qui dégradent cette fois-ci la qualité de la distri­bution des titres auprès des abonnés. Le papier semble ainsi en sursis, même s’il reste essentiel, car la transition vers le numérique des titres est loin d’être achevée.

Cette stratégie de baisse des coûts peut passer par des plans sociaux, comme ce fut le cas en 2023 pour La Voix du Nord (groupe Rossel) et Midi Libre (groupe La Dépêche) quand Sud-Ouest a décidé de ne pas renouveler une partie de ses journalistes en CDD. Disposer de moins de journalistes entraîne souvent une réduction de l’offre éditoriale, bienvenue dans un contexte de forte hausse des coûts du papier. La Voix du Nord a réduit sa pagination et a supprimé certaines de ses éditions locales (passant de 17 à 13 éditions), quand Nice Matin a opté pour un journal « plus compact ». Sud-Ouest a lui aussi limité sa pagination en même temps qu’il augmentait le prix de vente de son journal de 10 centimes en juillet 2023. D’autres stratégies de baisse des coûts sont également mises en œuvre qui ne portent pas sur l’offre éditoriale, mais sur une amélioration de l’outil industriel, comme dans l’accord entre Nice Matin et La Provence pour construire une imprimerie commune (voir La rem n°63, p.43).

Quand la réduction des coûts industriels et de structure a déjà eu lieu parce qu’elle était la réponse la plus simple à apporter, dans un premier temps, à la baisse tendancielle des ventes de journaux papier, les groupes de PQR doivent alors trouver les moyens d’investir dans leurs nouvelles activités. Le Crédit Mutuel, qui contrôle le groupe EBRA, a recapitalisé plusieurs de ses titres durant l’été 2023, pour un montant de 300 millions d’euros, afin d’assainir leur situation comptable qui s’était dégradée suite à la mise en œuvre d’un grand plan de réorganisation (dont un plan de départs). 160 millions d’euros supplémentaires sont prévus pour développer de nouvelles offres, en ligne mais aussi sur papier. En effet, parce que les ventes papier restent essentielles aujourd’hui dans le modèle d’affaires des groupes de PQR, les quotidiens régionaux font régulièrement l’objet d’investissements. Le titre le plus important du groupe EBRA, Le Dauphiné Libéré, a pu ainsi proposer une nouvelle maquette à ses lecteurs en mai 2023, plus centrée sur la proximité, alors que la nouvelle offre en ligne n’a été lancée qu’en septembre 2023, preuve que la priorité donnée au web first n’interdit pas d’investir aussi, et en amont, dans le papier.

Si la baisse des coûts et les nouvelles maquettes font partie des choix retenus par la plupart des groupes, les stratégies divergent en revanche quand il s’agit de penser le positionnement numérique des actifs de la presse régionale ou la diversification des activités. La plupart des groupes cherchent à renforcer leurs offres en ligne afin d’attirer des lecteurs plus jeunes, ce qui passe notamment par le développement de la vidéo et une présence accrue sur les réseaux sociaux numériques, sans garantie pour autant que les nouveaux lecteurs soient les abonnés de demain. La stratégie de Nice Matin illustre parfaitement cette priorité donnée au numérique et à la réorganisation des rédactions avec l’adoption d’une interface de publication bimédia (papier et numérique) utilisée par les trois déclinaisons du titre, Nice Matin, Var Matin et Monaco Matin. La nouvelle interface de publication a été fournie par Le Monde, contrôlé également par Xavier Niel, le titre ayant accompli depuis dix ans sa mue numérique. S’ajoutent un nouveau studio vidéo et la création d’un pôle image. Ce positionnement stratégique qui renforce l’intégration numérique de l’offre et encourage le recours à de nouveaux formats a des conséquences organisationnelles profondes dans certains titres. Quand La Voix du Nord met en œuvre son plan social, elle communique simultanément sur la création de cinquante nouveaux postes, principalement des rédacteurs et des éditeurs web : il ne s’agit donc pas de journalistes. La même démarche est adoptée par La Provence qui, depuis la prise de contrôle du titre par la CMA CGM, a lancé une nouvelle maquette et remplacé une partie de ses effectifs qui ont quitté le titre à la faveur de la clause de cession (59 salariés pour La Provence et 11 pour Corse Matin). Les nouveaux venus sont aussi des spécialistes des données, des community managers et des spécialistes de la vidéo. Le titre accuse en effet un retard dans son développement numérique. Là encore, il n’y a pas de remplacement poste à poste des journalistes, au profit de spécialistes du marketing et de la communication en ligne.

À l’inverse, d’autres misent sur internet en donnant la priorité au renforcement éditorial de l’offre d’infor­mations en ligne. C’est le cas de Ouest-France qui a développé une couverture de l’actualité nationale et internationale avec une approche locale, mais sur des sujets qui ne sont pas ceux liés au territoire du titre papier, à tel point que son audience en ligne est désormais composée à 70 % d’internautes ne résidant pas dans la zone géographique du quotidien régional. Il s’agit en revanche de visiteurs occasionnels car cette répartition ne se retrouve pas chez les abonnés, dont 10 % seulement ne résident pas dans l’ouest de la France. Cette conquête des audiences en ligne au niveau natio­nal s’est traduite, à rebours d’autres régionaux, par une augmentation des effectifs de la rédaction. Elle témoigne de la transgression d’une règle tacite dans la PQR qui voulait que chaque titre soit maître chez soi et que la concurrence ne s’exerce qu’aux frontières des zones de recouvrement des titres des régions voisines. Le groupe Centre France (qui détient notamment La Montagne) a, lui aussi, misé sur le renforcement de son offre éditoriale en ligne, mais cette fois-ci en donnant la priorité aux articles plus développés, tout en réduisant de 40 % le volume des articles produits pour ses sites web. Les stratégies d’abonnements conduisent ici à délaisser l’information en quasi direct, sous forme de brèves, qui a été longtemps privilégiée quand il s’agissait, grâce à un bon référencement dans les moteurs de recherche, d’attirer le maximum de visiteurs occasionnels pour augmenter les recettes publicitaires.

Parfois, les activités de diversification dans la communication évènementielle et sportive donnent l’occasion, elles aussi, aux groupes de presse régionale de sortir des frontières qui sont celles de leur zone de diffusion.

Le Télégramme est un exemple parfait de cette stratégie, sous des marques différentes. En général, le développement de ces nouvelles activités s’opère d’abord sur le territoire des titres, comme c’est le cas pour Nice Matin, Midi Libre ou encore Sud-Ouest. L’enjeu, comme a su le faire La Provence avec des évènements sous sa marque et ses hubs, est de parvenir à accompagner ses clients annonceurs sur d’autres activités où l’appui rédactionnel du titre, à travers des équipes de rédacteurs dédiés, donne au groupe de presse régionale un avantage compétitif par rapport aux agences locales de communication. Mais ces activités de diversification dépendent grandement de la puissance de la marque du titre qui, s’il ne bénéficie pas d’investissements suffisants, peut paradoxalement être pénalisé par la priorité donnée à de nouveaux métiers. C’est finalement tout l’enjeu de ces paris sur l’évènementiel et le numérique. Doivent-ils permettre aux groupes de presse régionale de compenser les pertes du papier, au risque de changer progressivement de métier pour se transformer en groupes de communication, ou au contraire ces activités relèvent-elles d’une diver­sification qui n’a de sens qu’adossée à des titres bénéficiaires capables d’étendre progressivement leur influence auprès d’un lectorat élargi et en direction de nouveaux annonceurs ? À l’évidence, les pertes constatées dans la plupart des titres, y compris le leader Ouest-France en 2022, indiquent que cette situation ne pourra être que transitoire et que certains groupes devront finalement choisir entre leur métier historique et leurs nouvelles activités. Au moins la presse quotidienne régionale dans son ensemble a-t-elle procédé à sa révolution stratégique qui l’oblige à se repositionner, parce qu’elle partage un constat sans équivoque : la force des habitudes du lectorat fidèle au papier, longtemps protectrice, est désormais en train de s’émousser.

Sources :

  • Debouté Alexandre, « La presse régionale enclenche une nouvelle étape de sa mutation numérique », Le Figaro, 8 janvier 2021.
  • Loignon Stéphane, « Le « Midi Libre » veut tailler dans ses effectifs », Les Échos, 12 décembre 2022.
  • Cohen Claudia, « En crise, la PQR peine à trouver son modèle », Le Figaro, 21 décembre 2022.
  • Larroque Philippe, « Le Figaro renforce sa couverture de l’information en région », Le Figaro, 15 janvier 2023.
  • Cohen Claudia, Larroque Philippe, « Un nouveau plan d’économies à La Voix du Nord », Le Figaro, 18 janvier 2023.
  • Benedetti Valentini Fabio, Loignon Stéphane, « Sous pression, Ouest-France change pour rebondir », Les Échos, 27 avril 2023.
  • Larroque Philippe, « Le quotidien Le Dauphiné libéré investit 2 millions d’euros pour se « réinventer » », Le Figaro, 4 mai 2023.
  • Larroque Philippe, « Xavier Niel accélère la transformation de Nice Matin », Le Figaro, 11 mai 2023.
  • Larroque Philippe, Cohen Claudia, « Première étape du renouveau de La Provence », Le Figaro, 31 mai 2023.
  • Cohen Claudia, Larroque Philippe, « Le groupe Sud Ouest accélère son plan d’économies », Le Figaro, 22 juin 2023.
  • Alcaraz Marina, Loignon Stéphane, Benedetti Valentini Fabio, « Le quotidien « La Provence » accélère sa transformation », Les Échos, 27 juin 2023.
  • Loignon Stéphane, Madelin Thibault, « Le Crédit Mutuel recapitalise son groupe de presse à hauteur de 460 millions d’euros », Les Échos, 24 août 2023.