Publicité politique et risques informationnels : règlement en Europe, self discipline aux États-Unis

Si le règlement européen sur la publicité politique encadre mieux les pratiques et limite le risque d’influences étrangères en période électorale, la désinformation à des fins politiques prospère. Les plateformes proposent leurs solutions à l’heure de l’IA générative.

Le processus fut long. Engagée dès novembre 2021 par la Commission européenne (voir La rem n°64, p.5), l’élaboration des « règles visant à rendre les campagnes électorales et référendaires plus transparentes et moins vulnérables aux ingérences » a finalement abouti le 6 novembre 2023, à la suite d’un accord en trilogue entre la Commission, le Conseil des ministres et le Parlement européen. Une fois adopté formellement, le nouveau règlement relatif à la transparence et au ciblage de la publicité à caractère politique, entrera en application dans un délai de dix-huit mois.

L’accord est donc tardif, car il ne pourra pas s’appliquer aux élections européennes de juin 2024, alors que son objectif était justement de limiter le risque d’ingérences étrangères à l’heure où l’Europe, depuis le retour de la guerre sur le continent, sait son modèle démocratique attaqué. Seules quelques mesures pourront être rendues immédiatement opérationnelles. Reste que le texte constitue la réponse européenne au scandale Cambridge Analytica (voir La rem n°48, p.90).

Les nouvelles règles pour la publicité politique s’organisent autour de quatre lignes directrices qui portent sur la transparence, sur le ciblage publicitaire, sur la liberté d’expression, sur les ingérences étrangères. En ce qui concerne l’obligation de transparence, les publicités politiques diffusées en Europe devront être signalées de manière explicite, ce qui suppose le droit pour les citoyens, pour les journalistes, pour les chercheurs, pour les associations de défense de la démocratie ou pour les autorités d’« obtenir des informations sur les personnes qui financent une publicité, leur lieu d’établissement, le montant versé et l’origine du financement » – une exigence portée par le Parlement européen qui a poussé à l’instauration d’un répertoire public en ligne géré par la Commission. Cette base de données, accessible à tous, recensera toutes les publicités politiques diffusées en Europe et ceux qui les financent, l’ensemble étant conservé pendant sept ans, c’est-à-dire l’équivalent d’un cycle électoral complet. La Commission européenne a trois mois pour préciser la nature du signalement des publicités politiques, car leur définition large inclut des pratiques d’influence rémunérées, comme des partenariats entre influenceurs et partis ou responsables politiques.

Pour éviter un nouveau Cambridge Analytica, le ciblage publicitaire sera limité aux seules données personnelles qui ont été communiquées avec un consentement explicite à des fins de publicité politique en ligne. La récolte massive de données personnelles en ligne et le profilage comportemental ne pourront donc plus être utilisés pour cibler les messages publicitaires de nature politique. Là encore, le périmètre des données qui peuvent être collectées avec consentement et les pratiques autorisées pour la publicité politique en ligne devront être précisés.

Le troisième axe de l’accord porte sur la liberté d’expression, car le risque était important d’exclure de l’espace numérique la manifestation des opinions politiques. Afin que la liberté d’expression reste garantie en ligne, seules les expressions à visée politique faisant l’objet d’une rémunération sont concernées, ce qui limite la publicité politique en ligne à l’ensemble des messages qui font l’objet d’un contrat de nature commerciale. Sont d’ailleurs exclus du périmètre de la publicité politique les communiqués et publications des partis, puisqu’il s’agit bien ici de communication politique et non de publicité politique.

Le quatrième et dernier axe de l’accord porte sur les influences étrangères. Pour les limiter au maximum, toutes les publicités politiques financées par des pays non européens sont interdites dans les trois mois qui précèdent une élection. Mais c’est sans compter, bien évidemment, sur les stratégies de désinformation qui ne passent pas par les canaux officiels que sont les contrats signés avec les régies.

Afin que ces mesures soient appliquées, le règlement européen prévoit une amende pouvant aller jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires annuel mondial pour tous les acteurs qui diffuseraient des publicités politiques frauduleuses. Enfin, pour simplifier les campagnes de publicité politique au niveau de l’ensemble de l’Union européenne, notamment dans le cadre des élections européennes, le texte autorise les contrats de nature transnationale auprès des régies. Cette simplification, alors que les partis devaient auparavant signer un contrat pays par pays, sera mise en œuvre dès les élections européennes du printemps 2024, en même temps que seront interdites les publicités politiques financées par des pays tiers.

Si le règlement européen encadre la publicité politique, il ne règle pas le problème de la désinformation, récurrent lors de chaque campagne électorale. Le rôle des plateformes restera donc primordial et les initiatives qu’elles prendront conditionneront le bon déroulement du processus démocratique dans les élections à venir, pour le Parlement européen comme pour l’élection du futur président des États-Unis fin 2024. Or, avec l’IA (intelligence artificielle) générative, les risques de désinformation sont en train de franchir un cap. Ainsi, lors de la campagne pour les élections législatives en Slovaquie du 30 septembre 2023, de faux contenus ont circulé parmi lesquels des contenus générés par l’IA avec une vidéo de Michal Šimečka, à la tête du parti Slovaquie progressiste, en train de négocier l’achat du vote des Roms. Et la plupart des plateformes les ont laissés circuler, ce que confirme un rapport du centre de lutte contre les menaces hybrides du ministère de l’intérieur slovaque, qui souligne, par ailleurs, que Telegram a échappé à toute espèce de contrainte pendant ces élections – les premières à être organisées après l’entrée en vigueur du DSA (Digital Services Act), qui impose de nouvelles obligations aux plateformes. Telegram, en effet, n’est pas concerné par les mesures renforcées du DSA portant sur les plateformes structurantes (voir La rem n°67, p.14), et il n’a pas signé le code européen de bonnes pratiques sur la désinformation (voir La rem n°63, p.10).

L’approche des élections américaines a conduit, cependant, les principales plateformes à mettre en œuvre les nouvelles mesures. Si TikTok maintient son interdiction des publicités politiques sur son réseau, il s’engage, de plus, à mieux identifier les influenceurs qui font de la publicité politique de manière déguisée. Le 28 novembre 2023, Meta a annoncé que toutes les campagnes de publicité politique en lien avec la présidentielle américaine de 2024 devront indiquer de manière explicite dans leurs messages si ceux-ci recourent à des éléments créés ou modifiés avec l’IA. Ces règles s’inspirent de celles édictées par Alphabet depuis le 7 septembre 2023 en réponse à une vidéo truquée postée sur YouTube où le candidat aux primaires républicaines, Ron de Santis, a diffusé un spot publicitaire avec une voix proche de celle de Donald Trump mais qui était générée par l’IA. Alphabet comme Meta imposent ainsi de préciser quand l’IA reproduit dans les publicités, mais de manière artificielle, une personne réelle en lui faisant dire ou faire quelque chose qu’elle n’a pas dit ou fait. Un retour donc au principe de factualité. X (ex-Twitter), qui avait été parmi les premiers à interdire les publicités politiques aux États-Unis, les autorise de nouveau depuis 2023, sous le contrôle d’Elon Musk, le réseau misant désormais sur la surveillance communautaire pour que soient dénoncées les deep fake et autres contenus mensongers générés par l’IA.

Sources :

  • « Google va exiger des publicités politiques qu’elles indiquent l’utilisation d’une IA », lesechos.fr, 7 septembre 2023.
  • Barbara Zmušková, « Élections slovaques : les réseaux sociaux « passifs » aux requêtes anti-désinformation », euractiv.fr, 25 octobre 2023.
  • Parlement européen, « Publicité politique : accord sur de nouvelles mesures de lutte contre les abus », communiqué de presse, 7 novembre 2023.
  • Shoen Céline, « L’Europe encadre davantage la publicité politique pour éviter les manipulations », la-croix.com, 10 novembre 2023.
  • Schmitt Fabienne, « Bruxelles met sous contrôle la publicité politique en ligne », Les Échos, 14 novembre 2023.
  • Cohen Claudia, « IA : les réseaux sociaux encadrent les publicités politiques », Le Figaro, 30 novembre 2023.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)