Annoncé le 2 décembre 2007, le rachat par Vivendi de l’américain Activision, numéro 3 mondial du jeu vidéo, constitue la première opération d’ampleur dans un secteur économique en forte croissance. Le seul précédent sur ce secteur, mais de portée plus limitée, remontait à 2004, le leader du secteur, Electronic Arts (EA Games), s’étant alors emparé de 15 % du capital du français Ubisoft et de 25 % de ses droits de vote. Depuis, le secteur du jeu vidéo restait figé, les grands acteurs cherchant soit à se redresser, soit à consolider leurs positions.
En 2004 également, Vivendi Games amorçait sa résurrection. La filiale jeux vidéo du groupe français de communication lançait son jeu en ligne massivement multijoueur World of Warcraft. Longtemps déficitaire, la société Vivendi Games s’est spectaculairement redressée grâce à World of Warcraft, qui compte aujourd’hui quelque 9,3 millions d’abonnés payants à travers le monde. Développé par le studio Blizzard Entertainment, World of Warcraft a dégagé près de 520 millions de dollars de bénéfices en 2007, faisant de Vivendi le numéro un mondial du secteur des jeux massivement multijoueurs MMO (massively multiplayer online), alors que les activités de jeux sur console de Vivendi Games, regroupées dans la filiale Sierra, sont encore déficitaires. A cet égard, le rapprochement avec Activision est stratégique. Avec 28,7 % de parts de marché, Activision est le leader des jeux sur consoles aux Etats-Unis, grâce notamment à son positionnement sur les consoles de jeu de nouvelle génération (Wii de Nin- tendo, Xbox 360 de Microsoft et PlayStation 3 de Sony).
Le rapprochement des deux sociétés, qui devrait être effectif au premier semestre 2008, crée ainsi le leader mondial du secteur, positionné tant sur les MMO que les jeux sur consoles. Baptisé Activision Blizzard, la nouvelle entité est valorisée 18,9 milliards de dollars (12,8 milliards d’euros). L’opération de rapprochement sera réalisée en deux temps. Vivendi apportera dans un premier temps sa filiale Vivendi Games, valorisée à 8,1 milliards de dollars, ainsi que 1,7 milliard de dollars en numéraire, ce qui lui permettra de détenir d’abord 52 % du capital de la nouvelle entité.
Dans un deuxième temps, Activision Blizzard, cotée au Nasdaq, lancera une offre publique d’achat (OPA) sur ses propres titres pour un montant de 4 milliards de dollars, Vivendi en achetant pour 700 millions de dollars, ce qui devrait lui permettre de monter sa participation dans Activision Blizzard à un maximum de 68 % du capital.
Pour l’année 2007, l’ensemble Activision Blizzard représente un chiffre d’affaires de 3,8 milliards de dollars, juste devant les 3,7 milliards de dollars d’Electronics Arts. Mais ses perspectives de croissance sont en revanche bien plus fortes que celles de son concurrent direct. En effet, la croissance d’Activision avoisine 50 % et celle de Vivendi Games 30 %, des performances bien supérieures à celles d’Electronic Arts. Par ailleurs, Activision Blizzard possède en toute propriété les jeux qui représentent 70 % de ses ventes, un élément essentiel à l’heure où le coût des droits dans les jeux vidéo s’envole. Le rapprochement des deux groupes permettra également un transfert de compétences, Activision comptant sur Blizzard pour se développer dans les jeux MMO et Vivendi Games ayant besoin de s’imposer sur le marché des consoles. Enfin, les activités des deux groupes sont complémentaires d’un point de vue géographique, Activision étant leader aux Etats-Unis quand Vivendi Games est très présent en Europe et en Asie. La nouvelle entité réalisera ainsi la moitié de son chiffre d’affaires en Amérique du Nord, un quart en Europe et un quart en Asie, territoire où le groupe compte se développer pour conforter sa nouvelle position de leader.
Ce rapprochement ouvre en outre de nouvelles perspectives à Activision Blizzard, qui jouit désormais d’une taille critique pour réaliser les investissements nécessaires, tant en termes de développement que de marketing, sur un marché de plus en plus concurrentiel où un oligopole est en train de se constituer. Le marché du jeu vidéo arrive en effet à maturité et im- pose des investissements de plus en plus conséquents, le développement d’un jeu étant passé en moyenne de 8 millions à 15 millions d’euros en cinq ans seulement, ce qui oblige les éditeurs à produire des blockbusters commercialisés à l’échelle mondiale pour s’assurer d’un retour sur investissements. L’acquisition d’une taille critique est donc nécessaire et les opérations de rachat devraient se multiplier, les éditeurs dont le chiffre d’affaires avoisine le milliard d’euros devenant des cibles stratégiques, comme le français Ubisoft ou les américains Take Two Interactive et THQ.
L’adossement d’Activision Blizzard à un groupe mondial de communication aura également son intérêt : Activision, qui est devenu numéro un aux Etats-Unis grâce à son jeu Guitar Hero, où l’on joue de la musique avec une guitare interactive, pourra sans aucun doute bénéficier d’un accès facilité au catalogue d’Universal Music, numéro un mondial de l’édition musicale.
Enfin, ce rapprochement concerne le seul marché du divertissement en très forte croissance. En effet, le marché mondial des jeux vidéo, y compris ventes de consoles, qui pesait 32 milliards de dollars en 2006, devrait s’élever à quelque 49 milliards de dollars en 2011, selon le cabinet PriceWaterhouseCoopers. Avec un taux de croissance annuel moyen de 9 %, grâce notamment aux jeux sur les nouvelles consoles, aux jeux en ligne et aux jeux sur téléphones mobiles, le marché du jeu vidéo dépasse de loin les performances des autres secteurs du divertissement, qui dépendent pour beaucoup d’un marché publicitaire de plus en plus tendu. A titre d’exemple, et pour prendre toute la mesure du succès des jeux vidéo, 18,5 millions de consoles Wii ont été vendues dans le monde fin 2007 après seulement un an de commercialisation.
Sources :
- « Avec Activision, Vivendi crée le premier éditeur mondial de jeux vidéo », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 3 décembre 2007.
- « Vivendi devient leader mondial des jeux vidéo », Enguérand Renault, Le Figaro, 3 décembre 2007.
- « Vivendi devient le premier éditeur mondial de jeux vidéo », Eric Lesser, Le Monde, 4 décembre 2007.
- « Avec Vivendi, Activision veut être la grande « major » du jeu vidéo », Laetitia Malhes, Les Echos, 3 janvier 2008.